Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Seldjoukides (suite)

La civilisation est plus urbaine que villageoise, ce qui ne veut pas dire que l’agriculture, même turque, est inconnue. Les villes sont des places fortes, entourées d’enceintes au début du xiiie s., des centres religieux, commerciaux et culturels. L’industrie y est florissante (tapis, céramiques, métaux). Les artisans sont groupés en corporations puissantes d’inspiration religieuse (ahî). Des marquisats (uc) sont installés sur les frontières. La vie religieuse est assez paradoxale. L’État est sunnite, mais le chī‘isme domine. Il sert à abriter tout ce qui est hétérodoxe et étranger à l’islām. En guerre, on ne parle que de pourfendre l’infidèle, qu’on maudit. En paix, on s’allie avec lui, on le fréquente et l’on oublie tout fanatisme. Les ordres religieux, militaires ou paramilitaires, sont influents. Le mysticisme est à l’honneur. Il s’exprime de plusieurs façons et par l’intermédiaire de divers maîtres, mais surtout par celui de Mevlānā Djalāl al-Dīn Rūmī (Mevlānā Celâleddin Rûmî, 1207-1273), le fondateur de l’ordre des Derviches Tourneurs (Mevlevî) et l’un des plus grands poètes de langue iranienne. À lui, et à tout ce qu’il représente, s’oppose le personnage naïf et roublard, l’humoriste volontiers sceptique qu’est Nasreddin hoca (1208-1284) d’Akşehir. La gloire de celui-ci (et le souvenir de ses plaisanteries) sera si durable qu’il incarne aujourd’hui encore un des aspects du génie turc. Le grand essor commercial est dû partiellement à la position privilégiée de l’Empire, mais il l’est aussi à l’excellente organisation commerciale, fondée sur les caravanes, les marchés, les caravansérails. Des Italiens ont installé des comptoirs. Les Turcs importent peu, se contentent de leurs produits, mais ils exportent beaucoup : bois, résines, métaux précieux et cuivre, coton, sésame, miel, olives et produits fabriqués (tapis, nattes, cuivres). Le persan est la langue officielle et la langue de culture ; l’arabe, langue religieuse, est peu connu. Le turc demeure parlé par les masses et produit une littérature poétique ou épique de qualité inégale, mais parfois remarquable. De nos jours, Yunus Emre (v. 1238 - v.ā1320) est considéré à juste titre comme un très grand poète. L’activité artistique est intense : l’islām a tout à faire dans une Anatolie qu’il n’a pas encore touchée. Il a ses impératifs, mais ceux-ci n’empêchent pas la formation d’un style original réalisé par synthèse des apports byzantins, anatoliens, iraniens, arabes et turcs. En architecture, la primauté semble donnée aux caravansérails (han), véritables basiliques du commerce, puis aux établissements d’enseignement et de science (madrasa [en turc medrese] : hôpitaux et observatoires). Des centaines de mausolées, sous toit conique, couvrent le pays. Des palais, somptueusement décorés de céramiques et de sculptures, souvent figuratives, il ne reste que des ruines.


Les émirats

Dès la fin du xiiie s., les émirats (beylik) sont indépendants du gouvernement de Konya et principalement les marquisats (uc). Les Mongols ne s’intéressent guère qu’aux régions orientales de l’Anatolie et ils laissent ces émirats se développer à peu près librement au nord, au sud et surtout à l’ouest, puisque ceux-ci, bien qu’hostiles à leur pouvoir, se gardent de prendre ouvertement parti contre eux. Souvent en guerre contre Byzance, les émirats se surveillent avec jalousie et s’épuisent en luttes intestines. Les États de Saruhan et d’Aydın, maîtres d’une flotte qui peut menacer Constantinople, paraissent plus redoutables que les autres aux Byzantins, qui portent contre eux leurs efforts, laissant le champ libre à celui de Germiyan et encore plus aux Ottomans. La maison d’Osman, particulièrement bien dirigée et en position géographique privilégiée, ne tarde pas à supprimer ses rivaux, d’abord dans les régions occidentales, puis progressivement, ailleurs. Au sud, les princes de Karaman occupent l’ancienne capitale seldjoukide, Konya, et reprennent pour eux le titre de sultan. Libérés des Mongols, ils seront parmi les derniers à se laisser englober dans l’immense Empire turc en voie de formation.

Les principautés ont joué un rôle assez éminent dans la formation de la Turquie classique, et il n’est que juste de leur rendre une partie de la gloire qu’elle lui doit et qu’on accorde, en général, trop uniquement aux Ottomans.


Les Seldjoukides de Kermān (1041-1186)

Les Seldjoukides de Kermān forment le rameau le moins brillant de la famille. Ils descendent d’un fils de Tchagri Beg (Çagrı Bey), donc d’un cousin de Toghrul Beg (Tuğrul Bey), Qara Arslan Qāwurd (Kara Arslan Kavurd, 1041-1073), parti avec un groupe d’Oghouz pour le sud de l’Iran et que l’esprit aventureux amènera à franchir le golfe d’Oman et à intervenir en Arabie. Devenus indépendants dès l’accession au pouvoir de Toghrul Beg, ils constituent un État sans grand renom, qui peut se maintenir jusqu’à la fin du xiie s., époque où il fut détruit par une incursion de nomades oghouz.


Les Seldjoukides d’Iraq (1118-1194)

À la mort de Muḥammad Ier (1118), son fils Maḥmūd (1118-1131) fut proclamé souverain de tout l’Empire, à l’exception du Khorāsān et des régions avoisinantes où régnait Sandjar. En fait, son royaume se limita à l’Iran occidental et à l’Iraq, ce pourquoi on préfère considérer que les Grands Seldjoukides s’arrêtent avec Sandjar et que les descendants de Muḥammad Ier constituent la branche des Seldjoukides d’Iraq. Dans cette famille, la coutume s’établit de confier l’éducation des enfants à des gouverneurs, considérés comme des seconds pères et nommés atabeks. Dès le règne de Dāwūd (Davud, 1131-32), ces atabeks acquièrent la réalité du pouvoir, et les légitimes souverains ne sont plus que des instruments dans leurs mains. Presque tous, d’ailleurs, montent sur le trône encore mineurs et trouvent une mort précoce. Le calife Aḥmad al-Nāṣir (1180-1225) profite de cette dégénérescence pour devenir le véritable souverain indépendant de Bagdad, qu’il entreprend alors de reconstruire. Certains atabeks interviendront dans les affaires de Syrie, où ils seront appelés à jouer un rôle prépondérant.