Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Séfévides (suite)

Chāh ‘Abbās Ier* le Grand (1587-1629)

Quand Chāh ‘Abbās devint roi, sa faible autorité était menacée par les deux ennemis héréditaires des Séfévides, à savoir les Ottomans et les Ouzbeks. Il réalisa qu’il ne pouvait pas combattre tous ses adversaires, ceux de l’extérieur et ceux de l’intérieur, en même temps. Il se résolut donc, tout en éliminant à tour de rôle ceux qui s’opposaient à son autorité, à signer une paix humiliante avec les Ottomans et à leur céder nombre de grands territoires en Azerbaïdjan, en Arménie, en Géorgie et au Kurdistān (traité de Constantinople, 1590). Puis, s’inspirant de l’exemple ottoman, il entreprit la constitution d’une armée composée principalement d’éléments géorgiens, arméniens et circassiens convertis au chī‘isme et directement attachés à sa personne. Cette dépendance directe distinguait ces guerriers des Kızıl Bach, qui, appartenant à des cadres tribaux, relevaient en vérité au premier degré de l’autorité de leurs chefs et au deuxième degré, à travers ceux-ci, de celle du roi. Dans ces conditions, le premier résultat de cette entreprise fut naturellement l’affaiblissement considérable des émirs Kızıl Bach. Ainsi, Chāh ‘Abbās réussit peu à peu à les soumettre. Ils furent remplacés aux postes clés par des hommes sortis des rangs de ce nouveau corps d’élite qu’on nomma les rholāms. Le plus connu d’entre eux fut sans doute le puissant Allāhverdi Khān (Allāhwardī Khān), gouverneur général du Fārs.

En 1598, la mort d’Abdullah bin Iskender et l’assassinat de son fils et successeur Ubeydullah facilitèrent du côté oriental la reconquête du Khorāsān, à peine commencée. Le nouveau khān ouzbek essaya de s’opposer à Chāh ‘Abbās, mais son armée fut anéantie près de Harāt (1599). Cette importante victoire permit au souverain de concentrer son attention sur les Ottomans. Il renforça ses troupes et parvint, grâce à l’emploi d’armes à feu et en déployant tous ses moyens, à leur infliger défaite sur défaite, les obligeant à quitter, en 1606, jusqu’à la dernière parcelle des territoires qu’ils occupaient en Iran depuis l’époque de Muḥammad Khudābanda.

Le règne de Chāh ‘Abbās vit également la fin de la première tentative coloniale d’une puissance occidentale en terre iranienne. Jouant les États occidentaux les uns contre les autres, le souverain obtint l’aide de quelques bâtiments de la marine britannique, et son général favori, Allāhverdi Khān, anéantit les forces portugaises qui, depuis le début du xvie s., occupaient les points stratégiques commandant l’entrée du golfe Persique : l’île et la forteresse de Ormuz. Les autres puissances occidentales, quant à elles, recherchaient constamment l’alliance de Chāh ‘Abbās contre le Turc. La grande distance séparant la Perse de l’Europe et les difficultés de communication furent un obstacle à la concrétisation, sur le plan militaire, de telles alliances. Il reste cependant que celles-ci contribuèrent à encourager les relations d’ordre commercial entre les pays européens et la Perse.

Le règne de Chāh ‘Abbās se caractérisa par de grandes entreprises dans tous les domaines. Avant tout, ce prince sauva la dynastie séfévide en la rétablissant si fermement que, malgré la médiocrité de bon nombre de ses rois, elle put se maintenir au pouvoir encore un siècle. Cette stabilité dynastique permit à l’Iran d’acquérir et de garder de nombreux traits de sa personnalité, encore vivace actuellement, et de fixer en partie les limites géographiques de l’entité politique qu’il représente.

Chāh ‘Abbās, dès le début de son règne, choisit pour capitale, au lieu de Qazvin, Ispahan*, dont il fit l’une des plus belles villes du monde d’alors. Son effort se porta essentiellement sur l’ensemble architectural du Meydān-e Chāh, conçu autour d’une grande place : celle-ci fut flanquée d’une part de deux belles mosquées (Māsdjid-e Chāh, commencée en 1612, et la mosquée du Cheykh Lotfollāh, commencée en 1602-03) et d’autre part du palais royal (‘Alī Qāpu) et du portail du bazar (Qeysariyè). Le souverain accorda une attention particulière à la grande avenue-jardin de Tchahār Bārh et aux ponts d’Ispahan (Khadju et Sih o se pol). Ailleurs en Iran, il érigea d’innombrables constructions de caractère public telles que des mosquées, des caravansérails, des ponts, des routes, etc. Les arts dits « mineurs » bénéficièrent aussi de ses faveurs : les miniatures, les mosaïques, les tapis et les textiles de cette époque jouirent dès lors d’une réputation de qualité et de beauté mondialement reconnue.


Les successeurs de Chāh ‘Abbās et la chute de la dynastie

Chāh ‘Abbās mourut en 1629. Durant sa vie, il avait, parfois injustement, éprouvé quelque méfiance envers ses fils et les avait fait soit assassiner soit aveugler. Ce fut donc son petit-fils Sām Mīrzā qui lui succéda sous le nom de Chāh Ṣafī (1629-1642). Avec son avènement débuta la décadence séfévide, momentanément freinée sous le règne d’‘Abbās II (1642-1667). Celui-ci entreprit même des conquêtes territoriales et reconquit Kandahar (ou Qandahār) [1648], tombé dix ans auparavant sous l’autorité des Moghols* de l’Inde. Sous son successeur, Chāh Sulaymān (1667-1694), le processus de désintégration du pouvoir royal s’accéléra à cause de l’affaiblissement croissant des combattants et des émirs Kızıl Bach, qui ne venait pas compenser un affermissement du pouvoir des rholāms.

À cela venait s’ajouter l’incapacité de gouverner du roi lui-même, qui laissait le champ libre aux eunuques du harem. Le fils et successeur de Chāh Sulaymān, Chāh Ḥusayn (1694-1722), fut l’un des plus médiocres rois de l’Iran. Sous son règne éclata une guerre civile consécutive à la révolte de certains de ses sujets afghans opprimés (v. Afghānistān). La situation se détériora lors de la prise de Kandahar (1709) par Mir Veys (Mīr Ways). L’inexistence d’autorité et d’organisation dans l’empire avait permis à Mir Veys de n’être jamais sérieusement inquiété. À sa mort (1715), son fils Maḥmūd prit la tête de l’insurrection et réussit sans grand effort à encercler Ispahan après avoir écrasé les misérables troupes royales (8 mars 1722). La famine s’installa dans la ville, et le roi abdiqua en faveur de Maḥmūd le 12 octobre 1722. Cette date peut être considérée comme marquant la fin réelle de la dynastie séfévide et l’avènement des chefs iraniens d’origine afghane. Cependant, ces nouveaux chāhs ne contrôlèrent jamais entièrement le pays, ce qui permit à l’un des fils de l’ex-chāh de se proclamer roi, le 10 novembre 1722 à Qazvin, sous le nom de Ṭahmāsp II.