Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

secte

Le mot vient du latin secta, qui peut dériver soit de secare (« couper »), soit de sequi (« suivre »). La première de ces deux étymologies insiste sur le caractère de sécession d’un petit groupe par rapport à une grande institution religieuse : non différencié à l’origine, l’emploi du mot a pris de plus en plus une coloration spécifique ; désormais, c’est par analogie avec l’histoire des religions que l’on parle de « secte » en politique ou en philosophie, par exemple, ou d’« esprit sectaire » d’une école pédagogique ou d’une tendance artistique. La seconde étymologie souligne la volonté unitaire et le caractère uniforme de la doctrine et du comportement du groupe de fidèles suivant le maître, le prophète, l’inspiré, le théologien, cause ou prétexte de la rupture.


Il est important de noter que le mot et ses emplois sont chargés de caractères fortement affectifs, voire passionnels : en général, c’est la communauté dont s’est séparé le petit groupe qui, se considérant comme authentique et offrant seule la plénitude de la doctrine et des moyens de grâce, parle avec une certaine pitié méprisante des sectaires. À cette condescendance s’ajoute parfois une bonne dose de hargne, tant il est vrai que, souvent, la secte présente impitoyablement à la religion installée le miroir de ce qu’elle n’est plus : une fraternité vivante et chaleureuse, dynamique et conquérante.

Et du coup, les positions et prétentions se renversent. La secte donne une valeur absolue aux éléments de la doctrine et de la vie qu’elle a remis en honneur face aux déformations ou scléroses de l’institution. Elle a de plus en plus tendance à se considérer, elle, comme « la véritable Église » et à présenter comme secte l’institution par rapport à laquelle s’est effectuée la rupture : se contentant encore, à la fin du xvie s., de prétendre que leur théologie et leur ecclésiologie pratique sont dans le droit fil de la tradition catholique, les protestants, au cours des polémiques des xviie et xviiie s., se durcissent sous les condamnations et les persécutions et finissent par identifier le pape à l’Antéchrist et l’Église romaine à la « synagogue de Satan ». Le livre de l’Apocalypse offre un arsenal inépuisable d’arguments et de qualificatifs aux sectaires chrétiens et à leurs adversaires.

Le mot grec néo-testamentaire correspondant au latin est hairesis, qui — après avoir signifié, de façon purement neutre et descriptive, « le parti » (par exemple, dans les Actes des Apôtres, v, 17 ; xv, 5 ; xxvi, 5 : les partis politico-religieux des pharisiens et des sadducéens, deux des grands courants à l’intérieur du judaïsme contemporain de Jésus) — prend progressivement une nuance péjorative ; par rapport à ce même judaïsme, le groupe des premiers chrétiens se fait désigner comme la « secte des nazaréens » (Actes, xxiv, 5) ou même de façon absolue (à la mesure des inquiétudes suscitées par leur existence et des menaces objectives qu’ils vont engendrer) : « la secte » (Actes, xxiv, 14 ; xxviii, 22).

Insensiblement, l’adhésion au « parti » devient synonyme de « déviationnisme doctrinal » : ainsi naît la notion d’« hérésie », qui jouera un rôle tellement décisif dans l’histoire religieuse, le groupe majoritaire considérant comme son droit, et même de son devoir, de faire rentrer dans l’ordre — ou, à défaut, de faire disparaître — les dissidents, en employant les moyens de la contrainte et de la violence.

Dès lors, on ne peut esquiver la question décisive : secte, hérésie, par rapport à quoi ? Ou, si c’est l’inévitable et vertigineux concept de « vérité » qui est au cœur de l’affirmation spirituelle et de l’institution religieuse : qu’est-ce que la vérité ? Dès l’origine de tout mouvement de recherche communautaire d’un sens donné par référence à un sujet divin et dans l’aventure d’une foi ou d’une mystique, il y aura deux réponses radicalement contradictoires : l’une pour qui la vérité ne saurait être saisie en dehors de la soumission à l’autorité institutionnelle, l’autre pour qui l’institution et son autorité se définissent par rapport à la vérité telle que l’attestent les textes ou témoignages originels du mouvement.

Pour la première, c’est l’unité sous le gouvernement de l’autorité institutionnelle qui est primordiale ; pour l’autre, la fidélité inconditionnelle à un message primitif et actuel remet en question incessamment les traditions et organismes les plus vénérables. On définit ainsi deux types de théologie et de piété, aux caractères « catholiques » et « protestants », et l’on voit, dans chacune des deux hypothèses, où se situe la communauté authentique et où est la secte.

Les inconvénients des deux positions apparaissent immédiatement. D’un côté, c’est le raidissement institutionnel, l’autoritarisme dogmatique, les excommunications et les procès d’hérésie, la question et les bûchers, à la limite : l’infaillibilité d’un pontife suprême, personnification de la tradition vivante et seule mesure de l’unité, bref, une façade majestueuse et séculaire derrière laquelle des courants contraires et des tendances opposées s’affrontent : Églises à prétention d’unicité universelle, dont les centres peuvent être Rome, Constantinople ou Addis-Abeba... De l’autre côté, c’est le morcellement à l’infini des différentes branches de la famille « protestante », l’institution paraissant négligeable, voire méprisable, au regard de ce que l’on définit comme étant la vérité ; d’où une propension au « congrégationalismc », c’est-à-dire à l’individualisme de chaque cellule ecclésiale, avec, à l’intérieur, un fréquent rigorisme doctrinal et moral ; le sens de l’universel et de la continuité historique semble parfois se perdre au bénéfice de l’instantané et de l’événementiel et, à la limite, on rencontre une autre forme d’infaillibilité, l’autorité souveraine de l’« homme de Dieu », exégète indiscuté ou pasteur patriarcal ; dans les communautés enthousiastes d’Amérique latine, cette forme de regroupement autour de véritables chefs inspirés prend le nom significatif de caudillismo et il naît, par fractionnement des groupes existants ou par évangélisation, autant d’« Églises » qu’il se lève de nouveaux « prophètes », « apôtres » ou prédicateurs « charismatiques ».