Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

sculpture (suite)

Si l’immédiat après-guerre est profondément marqué par ces trois personnalités, auxquelles s’ajoutera, longtemps méconnu, le pionnier de la sculpture de fer, Julio González*, un autre mouvement se dessine, loin de Paris, dans la Russie révolutionnaire. Bien qu’éphémère, il laissera une empreinte profonde sur les décennies suivantes. Le Manifeste réaliste signé par A. Pevsner* et Naoum Gabo en 1920 reprend et codifie puissamment des idées émises dès avant la guerre non seulement par le futurisme italien, mais aussi par quelques fortes individualités telles qu’Archipenko*, qui institue dès 1912 le « contre-volume » et joint en 1913 la polychromie chère aux cubistes au dynamisme futuriste, et Tatline*, qui s’engage dans la voie du « contre-relief » dès 1915. Le constructivisme fut l’un des rares mouvements artistiques qui appartint d’abord en propre aux sculpteurs. Cette fantastique réconciliation de l’espace et du temps trouve ses premières concrétisations dans le Monument à la IIIe Internationale, dont Tatline élabore la maquette en 1919, et dans cette étrange lame d’acier à laquelle un moteur électrique fait décrire un volume, que réalise Gabo en 1920. Dès 1922, le Hongrois László Moholy-Nagy* complète ces premières recherches de cinétisme en y adjoignant des effets lumineux dans son Modulateur lumière-espace (Lichtrequisit). Ainsi se trouvent fortement ébranlées les conceptions traditionnelles de la sculpture, auxquelles d’autres assauts ont déjà été administrés par Marcel Duchamp*, avec ses ready-mades, l’urinoir ou le sèche-bouteilles de 1915, ou par un pionnier de l’abstraction géométrique comme le Belge Georges Vantongerloo (1886-1965).

Mais ces « révolutions » ne doivent pas masquer la large survie d’une sculpture beaucoup plus traditionnelle, qui n’est qu’un temps ébranlée par le cubisme et qui trouve dans l’imperturbable exemple de Maillol la justification de son académisme. Ainsi en France les nombreux bustes de Charles Despiau* connaissent un succès certain. Cet ancien collaborateur de Rodin gardera, contre vents et marées, le goût des formes pleines, souples ; seule une touche de naturalisme moderniste vient affecter cette harmonie toute classique. Les mêmes caractéristiques se retrouvent chez Marcel Gimond (1894-1961) et chez toute une pléiade de sculpteurs contemporains dont le benjamin est Antoniucci Volti (né en 1915). Académisme aussi du côté des grands sculpteurs officiels, tel Paul Landowski (1875-1961), qui reçoivent une foule de commandes pour des monuments aux morts, ou pour égayer de quelque nudité les fontaines publiques.

Particulièrement révélatrice est la sculpture allemande de l’entre-deux-guerres. Après avoir été dominée, au début du siècle, par les théories fortement conservatrices d’Adolf von Hildebrand (1847-1921), puis par un expressionnisme* à tendances symboliques, elle aurait pu profiter de l’essor du Bauhaus*. Mais celui-ci se tourne délibérément vers l’architecture ou le « design », la peinture servant de banc d’essai théorique. Cette attitude est significative de la non-adaptation de la sculpture à vivre l’épopée moderniste. Ses pesanteurs, son ancrage dans les traditions passéistes la rendent à la fois étonnamment résistante et vulnérable. Elle se situe soit à contre-courant, tentant de perpétuer une imagerie tout à fait révolue, soit en avant, en détruisant ses composantes essentielles, en acceptant une rupture qui fait figure d’effondrement : ainsi en est-il pour le constructivisme russe et pour le travail mobilier des architectes du Bauhaus. Après la prise de pouvoir d’Adolf Hitler en 1933, le « Kampfbund für deutsche Kultur » (Union de combat pour la culture allemande), dirigé par Alfred Rosenberg, n’admet qu’un art clairement laudatif à l’égard du régime, répondant aux critères raciaux en vigueur et glorifiant le Führer. C’est à Arno Breker (né en 1900) que revient la lourde tâche d’être le sculpteur officiel du régime : il multipliera les statues où l’on retrouve des accents de la frise de Pergame nouvellement installée à Berlin, mais caricaturés par une volonté de dureté dans la stylisation.

Pour une bonne part, cette évolution de la sculpture allemande, tributaire d’un régime politique totalitaire, se retrouve en U. R. S. S., en Italie (en dépit de l’originalité d’un Arturo Martini*) et, finalement, dans l’ensemble de l’Europe. La sculpture, qui, par nature, est conduite au monumental, est la première victime des « durcissements » politiques. Sa dimension sociale et les investissements qu’elle nécessite la désignent comme première victime de l’autoritarisme culturel. Cette chape de plomb qui s’abat sur l’Europe à la veille de la Seconde Guerre mondiale étouffe les courants novateurs qui s’y dessinaient. Seule l’Angleterre sera quelque peu épargnée, permettant à Henry Moore* (et, à côté de lui, à Barbara Hepworth*) de s’imposer. Dès 1924, Moore s’empare du thème qui lui sera le plus cher : « la mère et l’enfant ». Si l’on peut songer alors à la statuaire mexicaine pour le sens de la masse, le hiératisme de l’attitude, la solidité et l’ampleur des rythmes, la sculpture de Moore se laisse petit à petit investir par le vide. Le bloc s’entrouvre, l’atmosphère peut dès lors y circuler, allant jusqu’à polir les formes qu’elle effleure. Et pourtant ces formes n’échappent pas à un certain académisme, qui mêle aux réminiscences précolombiennes et cycladiques celle d’un Arp*. Chez Moore, plus l’invention se tarit, plus la gloire devient considérable. Les commandes et les honneurs s’abattent sur lui avec une rare profusion, ses œuvres monumentales enorgueillissent la plupart des grandes villes du monde. Là encore se retrouvent des caractères propres à la sculpture : Moore, sacré sculpteur par excellence du xxe s., non seulement bénéficie du soutien actif de toute une nation et, au moins, de ses institutions les plus efficaces, mais encore, par le conformisme de ses thèmes et une facture aux références claires, sait à merveille allier le modernisme à un art officiel que les autorités municipales ou nationales ne peuvent soupçonner de subversion.