Schwitters (Kurt) (suite)
Les poèmes phonétiques d’Arp, de Hausmann, lui inspirent sa Ursonate publiée en 1932. Dans le domaine de la peinture, Schwitters refuse la limitation des couleurs fournies dans le commerce et de leur application concertée sur la toile : « Au fond, dit-il en 1928, je ne comprenais pas pourquoi on ne pouvait pas utiliser dans un tableau, au même titre que les couleurs fabriquées par les marchands, des matériaux tels que vieux billets de train, bouts de ficelle, rayons de vélo, bref tout le vieux bric-à-brac qui traîne dans les débarras et sur les tas d’ordures. » Ceci implique la généralisation de la technique du collage*, employée épisodiquement par les cubistes, les futuristes, les dadaïstes ; c’est surtout l’utilisation à des fins esthétiques du rebut, du déchet, pratique qui devait se généraliser au début des années 60 (Robert Rauschenberg*, le nouveau réalisme*...).
Parallèlement, il y a répudiation de la sculpture traditionnelle. Marcel Duchamp* y avait substitué l’objet avec ses ready-mades ; Schwitters reprend plutôt les visées esthétiques des premiers assemblages de Picasso* (cf. son Breite Schnurchel de 1923), mais, surtout, il agrandit ces assemblages à l’échelle d’un environnement*, perçant sa maison à Hanovre de la cave au grenier pour créer, à partir de 1920, un espace mystérieux : c’est le Merzbau, « cathédrale des misères érotiques », qui sera détruit pendant la Seconde Guerre mondiale, repris en des versions nouvelles, mais inachevées, pendant son exil en Norvège (1935) et en Grande-Bretagne.
L’essentiel de l’œuvre plastique conservé réside donc dans les tableaux de petits et de moyens formats : jusqu’à sa mort, en 1948, Schwitters agence avec patience et minutie des tickets de transports, des emballages et des papiers officiels déchirés, des tissus et des objets (pièces de monnaie, ficelle, bouts de bois), jouant sur des compositions très élaborées, combinant surtout avec un art consommé les couleurs — souvent éteintes et indécises — et les textures diverses de chaque fragment. « Tableaux » comme il n’en avait jamais été conçu jusque-là et auxquels Schwitters applique le terme générique de Merz, formé d’une suite de lettres qui étaient restées lisibles, une fois, après déchirure et collage d’une publicité de la Commerz und Privatbank. Toute la production de Schwitters se fit désormais sous ce sigle étrange : ses constructions s’appellent Merzbau, sa revue, Merz (1923-1927), ses poèmes, partie importante de son œuvre, Merzdichtung et Merzgedicht ; ses articles traitent de Merzmalerei (1919) ou de Merztableau (1932). Attitude significative, opposant aux œuvres figuratives — qui apparaissent comme détachées de leur auteur — les créations authentiques de Schwitters, celles qui reflètent avec une cohérence quasi obsessionnelle un univers intérieur étroitement refermé sur la sensibilité propre de l’artiste.
M. E.
Schwitters. Collages (Berggrün, 1954). / W. Schmalenbach, Kurt Schwitters (Cologne, 1967).