Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Schütz (Heinrich)

Compositeur allemand (Köstritz, près de Gera, 1585 - Dresde 1672).



Une biographie sans anecdotes

Rarement biographie n’a offert aussi peu d’attraits romanesques ou anecdotiques que celle de Heinrich Schütz. Séparée de son œuvre, elle ne présente pas de réel intérêt. Replacée dans son contexte de créativité, elle projette sur sa production un éclairage essentiel à sa compréhension. La vie quasi monacale du Kapellmeister de Dresde, consacrée à un labeur acharné et incessant, est enracinée en une foi qu’aucune des dures épreuves familiales ou professionnelles qu’il subira ne parviendra à ébranler. Entièrement orientée vers l’expression concrète d’une croyance constamment « ressourcée » à la lecture et la méditation des textes saints, elle témoigne toujours d’une rare charité. Elle est exclusivement et intimement liée à l’élaboration d’un message autant spirituel que musical. Indissociable de sa vie, l’œuvre de Schütz, telle un miroir, en reflète l’image idéale.


Un archaïque et un novateur

Aîné de la trinité qu’il forme avec Samuel Scheidt (1587-1654) et Johann Hermann Schein (1586-1630), Heinrich Schütz en est de loin le plus représentatif. C’est à ce titre qu’il doit être considéré comme le fondateur de l’école allemande, laquelle, au début du xviiie s., va engendrer l’un des plus grands génies de tous les temps : Jean-Sébastien Bach*.

Schütz se situe à la croisée de deux époques et de deux cultures. Héritier de Giovanni Gabrieli* et de Claudio Monteverdi*, il se rattache davantage à l’esthétique de la pensée allemande, qui le maintient curieusement en retrait du modernisme de ses propres maîtres. Séduit maintes fois par le baroque, il revient finalement à l’expression grandiose, mais quelque peu austère du langage renaissant, qui s’accorde mieux à son rigorisme religieux.

Il est archaïque, certes, mais il est aussi novateur dans l’élaboration d’une expression musicale entièrement soumise aux exigences de la liturgie luthérienne, sans toutefois — et paradoxalement — se référer jamais au choral. Novateur encore dans la synthèse, qu’il sera le premier à réaliser, d’une ample polyphonie linéaire en imitation et d’un lyrisme madrigalesque italien, dont l’épanchement naturel et les élans démonstratifs sont modérés par une réserve toute germanique.


Un grand symboliste

Cette esthétique musicale, qui bannit toute facilité et toute vulgarité, engendre chez Schütz un langage d’une dimension profondément personnelle, en tant qu’elle allie symbole religieux et symbole musical dans un message à l’inépuisable contenu.

Certes, l’expérience symbolique n’est pas neuve. L’homme a besoin de « mythes conducteurs » (Nietzsche). Les partitions musicales médiévales ou renaissantes, riches d’éléments évocateurs, le montrent bien. Ce fut en effet le souci constant des compositeurs de vivifier le sens de certains mots ou de certaines phrases, en tant que le symbole, au contraire de la simple idée descriptive avec laquelle il serait faux de le confondre, est avant tout fécondant.

Débiteur en cela des madrigalistes italiens, qui ont magnifiquement exploité ce principe expressif, Schütz se conforme à la règle. De ce point de vue, il est un des plus grands précurseurs de Bach. Dès les madrigaux italiens de 1611 se précise chez leur auteur cette volonté d’une symbolique qui ira en s’amplifiant dans ses œuvres religieuses. Aussi convient-il de cerner par quels moyens Schütz se crée son propre univers symbolique. Ces moyens sont multiples, étendus, variés, subtils et nuancés, en un mot intrinsèques à la langue musicale. C’est, par exemple, un enchaînement harmonique inattendu, une instrumentation choisie, une courbe mélodique imagée, un rythme évocateur ou encore la tension douloureuse d’un chromatisme, le climat d’une tonalité inhabituelle... Tant d’évocations dont l’atmosphère peut être amplifiée par l’interprétation, dont Schütz, dans la préface de ses recueils, a toujours souligné la réelle importance.

Pour le fondateur de l’école allemande, cette puissance symbolisante de la musique religieuse permet à tout homme d’accéder à cette communion qu’il désire avec son Créateur.


Un compositeur fécond

Ce n’est que lentement, et après de nombreuses hésitations, que Schütz se décida à embrasser la carrière de musicien. Aussi faut-il attendre 1611 pour qu’il publie sa première œuvre, Il Primo Libro de Madrigali, dix-huit madrigaux italiens à cinq voix, en hommage au landgrave Maurice de Hesse-Cassel, à qui il doit son séjour auprès du célèbre G. Gabrieli et sans doute sa destinée musicale. Mais, jusqu’en 1671, une année avant sa mort, ce sont quelque cinq cents compositions essentiellement vocales et en majorité religieuses qui naîtront sous sa plume. Si l’on excepte les madrigaux, la totalité de sa production profane, comprenant en particulier Dafne, le premier opéra allemand (1627), est aujourd’hui perdue.

Après sa première tentative madrigalesque, très influencée par les modèles italiens, Schütz passe directement au somptueux style concertant, avec la publication, en 1619, à Dresde, de l’important recueil des Psaumes de David (Psalmen Davids). Ces vingt-six « psaumes allemands écrits à la manière italienne » constituent, en même temps que son premier opus religieux, le point de départ d’un style fortement personnalisé. La disposition de plusieurs chœurs puissamment contrastés s’inspire de la pratique polychorale vénitienne. Mais l’innovation réside surtout ici dans la déclamation verticale in stile recitativo de la langue allemande, dont le verbe engendre à la fois le rythme et l’harmonie, aux recherches symboliques parfois poussées. Avec ces Psaumes, un style proprement germanique est né.

Désireux de toujours conquérir de nouveaux modes d’expression, Schütz écrit en 1623 un oratorio qui allie à la nouvelle monodie l’ancienne forme du motet : l’Histoire de la résurrection du Christ (Auferstehungshistorie). Le compositeur caractérise chacun des personnages par un accompagnement approprié, tandis que la narration de l’évangéliste évolue entre une déclamation libre et mesurée qui renforce les points essentiels du texte.