Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Schuman (Robert) (suite)

Le 9 mai, il rend public ce que l’on appellera par la suite le « plan Schuman » (bien que son inspiration soit due à Jean Monnet). C’est à la fois le coup d’envoi de la construction de l’Europe* et un exposé des principes qui doivent y présider : « L’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble. Elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait. » R. Schuman conçoit la construction de l’Europe « brique à brique », et son intention est de créer un état d’esprit européen en favorisant dans un premier temps le rapprochement franco-allemand. Ce projet prend forme avec la mise sur pied, en 1951, de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (C. E. C. A.), qui prévoit la mise en commun de la production de charbon et d’acier de la France et de l’Allemagne, auxquelles d’autres pays européens pourront se joindre s’ils le désirent. À tous points de vue, l’entreprise est un précédent, d’abord du fait de l’abandon par des États européens d’une part de leur souveraineté au bénéfice d’un organisme supranational, la Haute Autorité de la C. E. C. A., et ensuite de par son succès qui préfigure la signature du traité de Rome (25 mars 1957) et la création du Marché commun.

Toutefois, lorsqu’il entreprend de faire passer la coopération avec l’Allemagne du simple domaine de la production de charbon et d’acier au domaine militaire, R. Schuman se heurte à l’opposition résolue d’une grande partie de l’opinion française, où se retrouvent mêlés aussi bien communistes que gaullistes du R. P. F., avec des motivations d’ailleurs totalement différentes. Il ne réussit pas à faire adopter le principe de la création d’une armée européenne, appelée Communauté européenne de défense (C. E. D.).

Lorsque l’Assemblée nationale rejette définitivement la C. E. D. (août 1954), il consacre déjà depuis deux ans une part essentielle de son activité à parcourir l’Europe et à y développer infatigablement des idées d’unification. Ce « pèlerin de l’Europe » trouve néanmoins le temps de participer aux travaux de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée et de présider la délégation française à l’O. N. U. (1955).

En 1955, il est ministre de la Justice dans le cabinet Edgar Faure, mais c’est la dernière fois qu’il occupe un fauteuil ministériel. En 1960, il renonce à présenter de nouveau sa candidature à la présidence du Parlement européen, dont il est le titulaire depuis la création de cet organisme (1958). Un an après son retrait de la vie parlementaire (nov. 1962), il meurt dans le village où il s’est retiré.

Cet homme d’allure humble, qui dissimulait sous une apparence contenue une grande fraîcheur d’esprit, était un orateur ennuyeux, mais qui convainquait ses interlocuteurs à force de persévérance et d’honnêteté. En butte tout au long de sa carrière ministérielle à l’hostilité tant de l’extrême droite que de l’extrême gauche, il a joui, en revanche, d’une grande estime dans les milieux du centre et des modérés. Il reste, aux côtés de Konrad Adenauer et d’Alcide De Gasperi, le « père de l’Europe », étranger à tout nationalisme, au point que l’on a pu le dépeindre en ces termes : « Luxembourgeois de naissance, germanique d’éducation, romain de toujours et français de cœur. »

C. M.

➙ Europe / Mouvement républicain populaire / République (IVe).

 L. Hermann, Robert Schuman. Ein Porträt (Freudenstadt, 1968 ; trad. fr. Robert Schuman. Un portrait, Dalloz, 1969). / R. Hostiou, Robert Schuman et l’Europe (Cujas, 1968). / R. Rochefort, Robert Schuman (Éd. du Cerf, 1968).

Schumann (Robert)

Compositeur allemand (Zwickau, Saxe, 1810 - Endenich, près de Bonn, 1856).



Aperçu psychologique

La biographie de Schumann est la source des pires malentendus, et ceux-ci se sont répercutés sur les interprétations que l’on a données de son œuvre. On veut y voir surtout un amour romantique exemplaire pour Clara et un déséquilibre psychique typiquement romantique, où l’on exalte l’instabilité du génie. Ce brillant avers de médaille, où figurent la passion et la divination du fantastique, donne ainsi un revers morose de sentimentalité bourgeoise et de tendance dépressive menant à l’impuissance créatrice. Deux attitudes aussi déplorables l’une que l’autre sont nées de là : celle qui donne un ton de romance à tant d’interprétations de sa musique et celle qui tient pour négligeables ses dernières compositions. Schumann serait le musicien privilégié des âmes sensibles, qui n’aurait pas survécu à sa jeunesse (voir le cruel portrait de « vieille fille » qu’en a fait Nietzsche). Deux marques essentielles de cette originalité de Schumann échappent à cette représentation figée : Schumann est un des visionnaires les plus extraordinaires de la musique romantique, avec Berlioz et Liszt, et son œuvre présente l’un de ces très rares cas où l’art révèle quelque chose de ce terrible mystère qu’est la mort dans la vie — l’au-delà de la raison. Toute approche anecdotique ou scolastique le condamne ainsi à une demi-incompréhension.

Schumann, aux yeux de la psychiatrie et de la psychanalyse modernes, est un cas de psychose maniaco-dépressive caractérisée par une alternance cyclothymique de crises d’exaltation et de dépression. Ce mal, sans doute en partie héréditaire, a été aggravé par une succession de chocs nerveux, de deuils répétés et d’un épuisant combat affectif pour choisir et acquérir son métier et son amour. La « perte de l’objet aimé », cause de cette psychose selon Freud, remonte probablement à son enfance. La mort d’un père favorable à la carrière artistique, lorsque Schumann n’a que seize ans, et la lutte contre une mère tendrement aimée pour décider de cette carrière expliquent aussi la situation dramatique du trio Wieck-Clara-Robert, leurs rapports passionnés et ambigus (pour Robert, Clara est à la fois mère et sœur, et F. A. Wieck à la fois père et rival). Malgré son énergie qui l’a fait surmonter ces obstacles affectifs, gagner Clara et être compositeur, l’homme finit par succomber à la régression infantile — sensible dans une partie de son œuvre ultime, à la fois par la simplification du langage, son archaïsme et les prétextes puérils —, se retrancher de la vie par le mutisme, la tentative de suicide dans le Rhin, la démission et la mort dans la folie. Les caractères obsessionnels, hallucinés, dépressifs et la densité affective de sa musique prennent une autre dimension lorsqu’on les voit ainsi. Le fantasme du « double », exactement reflété dans son langage musical, symptôme d’une division psychique du moi (Eusebius et Florestan), est non moins essentiel et appartient aussi à la description clinique de sa psychose. L’expression de la passion dans sa musique est celle d’une recherche insatiable ; celle de l’instable, un terrible combat des forces de la vie contre la mort. La sentimentalité et le déclin du pouvoir créateur appartiennent aux petits chroniqueurs.