Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Schisme d’Orient (suite)

Les événements de 1054

La dislocation de l’Empire carolingien et l’affaiblissement de la papauté mettent en sommeil durant plus d’un siècle les dissensions entre Rome et Constantinople ; elles vont réapparaître et se durcir à l’extrême au milieu du xie s. Peut-être faudrait-il accorder plus d’importance qu’on ne l’a fait à une rupture provoquée vers 1028 par le refus du pape Jean XIX (1024-1032) de reconnaître le titre d’« œcuménique » au patriarche de Constantinople. Mais ce sont les raideurs et les maladresses réciproques du patriarche Michel Keroularios — ou Cérulaire — (1043-1059) et du cardinal Humbert de Moyenmoutier († 1061), légat du pape alsacien Léon IX (1048-1054), qui provoqueront l’irréparable. Au départ, il y a une futile querelle provoquée par le refus d’un condottiere d’origine lombarde, Argyros, gouverneur de l’Italie byzantine, d’abandonner le rite latin et l’usage du pain azyme pour la communion. Keroularios y voit, comme dans l’usage latin de jeûner le samedi, des signes d’hérésie judaïque. Au début de 1053, il fait fermer les églises latines de Constantinople et pousse l’archevêque bulgare d’Ohrid, Léon, à dénoncer dans un violent manifeste les hérésies latines.

Mais, à la suite d’une défaite d’Argyros par les Normands qui affaiblit les positions byzantines en Italie, Keroularios lui-même tente une réconciliation avec Léon IX. Malheureusement, le secrétaire du pape, le cardinal Humbert, homme érudit et connaissant le grec, mais altier et intransigeant, rédige une réponse cassante au manifeste de Léon d’Ohrid. Or, c’est lui qui est choisi comme chef de l’ambassade envoyée en 1054 à l’empereur Constantin IX Monomaque en vue d’une alliance contre les incursions normandes. Dès la première entrevue avec le patriarche, une contestation protocolaire prend de part et d’autre figure d’offense personnelle. Surtout, le ton de la lettre remise au nom de Léon IX fait considérer celle-ci par Keroularios comme falsifiée sous l’influence d’Argyros. Enfin, Humbert publie une traduction grecque de sa Réfutation de Léon d’Ohrid, s’attirant ainsi une violente riposte d’un moine du Stoudios, Nicétas Stéthatos. Humbert y répond en mêlant l’ironie à l’indignation et, bien maladroitement, reprend à l’égard des Grecs l’accusation d’avoir falsifié le Credo en supprimant le Filioque. L’empereur tente de s’entremettre ; Nicétas accepte de se rétracter (24 juin 1054), mais Michel Keroularios, se refusant toujours à une nouvelle entrevue avec les légats, ceux-ci, le 16 juillet, déposent solennellement sur l’autel de Sainte-Sophie une sentence d’excommunication du patriarche.

Or, Léon IX est mort en avril, et il est douteux qu’Humbert ait pu ignorer que sa légation se trouvait, de ce fait, interrompue ; on n’a d’ailleurs aucune trace que cette sentence ait jamais été confirmée par la suite. En fait, à la demande de l’empereur, les légats acceptent de retourner à Constantinople, qu’ils viennent de quitter le 18 juillet ; mais un accord ne peut être trouvé, Humbert et ses compagnons quittent définitivement la ville impériale, l’émeute gronde. Le 20 juillet, Michel Keroularios convoque le synode permanent et lance l’anathème contre « le libelle impie » et ses auteurs. La sentence est solennellement confirmée le 24 juillet à Sainte-Sophie. Le texte alors rédigé n’est en rien une rupture avec l’Église de Rome et son chef, mais un énoncé des erreurs multiples reprochées aux Latins ; quant à la suppression du nom du pape sur les « diptyques » de l’Église de Constantinople — signe traditionnel d’absence de communion ecclésiastique —, on se contente de la mentionner comme une situation établie depuis fort longtemps et donc sans gravité majeure.

Ramené à ses justes proportions, l’événement de 1054 aurait pu n’être qu’un incident de parcours comme on en compte bien d’autres. Le patriarche d’Antioche, Pierre III, se hâte d’ailleurs de tenter d’y porter remède. Mais bientôt les croisades*, en multipliant avec les rencontres entre Grecs et Latins les occasions de mésentente, vont creuser le fossé.


Aggravation progressive de la rupture et tentatives de réconciliation

L’élément sans doute le plus décisif est constitué par la création de principautés « franques » sur les territoires appartenant de droit à l’Empire byzantin, et cela malgré les engagements solennels pris lors de la première croisade (1095-1099). À Antioche, à Jérusalem et même théoriquement à Alexandrie, les patriarches orientaux, de tradition byzantine (melkites), doivent céder la place à des titulaires latins, ce qui est — non sans raison — considéré comme une ingérence inadmissible du patriarcat de Rome ; les controverses se multiplient au cours desquelles sont ressassés tous les vieux griefs, auxquels s’en ajoutent de nouveaux, non moins futiles. La mesure est comble lorsque, pour payer aux Vénitiens le prix de leur passage, les chefs de la quatrième croisade s’emparent de Constantinople (1204), en pillent les trésors et les reliques, obligent l’empereur byzantin à s’enfuir pour céder la place à un Latin et enfin obtiennent du pape la désignation d’un patriarche latin.

Certes, les tentatives d’union, qui avaient été déjà nombreuses, ne seront pas abandonnées. Dès qu’ils ont pu récupérer leur capitale (1261), les empereurs byzantins s’efforcent de renouer avec Rome ; mais ces tentatives sont menées sous la pression de la conjoncture politique et sans qu’un effort réel de compréhension réciproque soit effectivement entrepris ; en particulier, rien n’est fait pour surmonter les préjugés entretenus de part et d’autre dans l’ensemble de la chrétienté. Il n’est pas étonnant en conséquence que les actes d’union qui pourront être signés n’aient aucun retentissement et soient bientôt dénoncés. C’est le cas de celui qui est négocié au concile de Lyon (1274) et surtout de celui — pourtant beaucoup mieux préparé — qui est acquis au concile de Florence (juill. 1439), alors que déjà les Turcs menacent Constantinople, dont ils s’empareront en 1453.

L’union est dénoncée dès 1443 par les patriarches d’Alexandrie, d’Antioche et de Jérusalem, réunis dans la ville sainte, comme elle l’avait déjà été à Moscou en 1441.

Le nouveau patriarche de Constantinople, Gennadios II (1454-1456), désigné par Mehmed II Fatih comme chef de tous les orthodoxes* de l’Empire ottoman, rejette également l’union en 1454 et, en 1484, un office pour la réconciliation des Latins entrant dans la communion orthodoxe leur impose de rejeter le concile de Florence et ses décisions.