Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Scarlatti (Alessandro) (suite)

Plus intéressantes sont les cantates de chambre à une, deux et trois voix, écrites à l’intention d’un auditoire de connaisseurs dédaigneux du succès populaire. Improvisées le plus souvent par un poète dans les académies italiennes, elles sont mises en musique et exécutées aussitôt. En l’absence de scène, elles tiennent leurs qualités uniquement de leur valeur musicale et atteignent une intensité dramatique rarement réalisée au théâtre. La fabuleuse production de Scarlatti fait de lui le principal compositeur de la forme à son époque et donne la meilleure idée de l’étendue de son génie. Son imagination traduit tous les sentiments par une admirable caractérisation mélodique et les souligne à l’aide d’audacieuses progressions harmoniques, surtout dans les récitatifs. Scarlatti échange avec Francesco Gasparini (1668-1727) des cantates expérimentales sur le même texte. Il satisfait ainsi son goût de la recherche expressive, qui exclut tout orgueil. Il compose deux fois la cantate Andate o miei sospiri, d’abord in idea umana, c’est-à-dire dans son meilleur style d’opéra, puis in idea inumana, c’est-à-dire dans un style « expérimental » qui vise à déconcerter l’interprète par ses modulations à des tons éloignés et des accidents bizarres. En ce sens, les cantates furent pour Scarlatti une merveilleuse école d’expression ; elles permirent à l’artiste de mieux prendre conscience des effets qu’il pouvait exploiter dans ses opéras. En associant aux merveilleuses ressources du chant celles des instruments, soit groupés pour l’accompagnement, soit traités en solistes en y déployant une réelle virtuosité, les cantates montrent d’une manière encore plus évidente que les opéras le renouvellement constant du style de Scarlatti.

A. V.

 E. J. Dent, Alessandro Scarlatti. His Life and Works (Londres, 1905 ; 2e éd., 1960). / C. Van den Borren, Alessandro Scarlatti et l’esthétique de l’opéra napolitain (Éd. de la Renaissance d’Occident, 1921). / U. Prota Giurleo, Alessandro Scarlatti, il Palermitano (Naples, 1926). / A. O. Lorenz, A. Scarlattis Jugendoper (Augsbourg, 1927 ; 2 vol.). / C. Sartori, Gli Scarlatti. Note e documenti sulla vita e sulle opere (Sienne, 1940). / M. Fabbri, Alessandro Scarlatti e il principe Ferdinando de’ Medici (Florence, 1961).

Scarlatti (Domenico)

Compositeur et claveciniste italien, fils d’Alessandro (Naples 1685 - Madrid 1757).



La vie

Contemporain de J.-S. Bach et de G. F. Händel, qui voient le jour la même année, Domenico Scarlatti étudie la musique avec son père. À seize ans (1701), il devient organiste et compositeur de la chapelle royale de Naples. C’est en 1702, après un séjour de quatre mois à la cour de Toscane avec Alessandro, qu’il fait représenter ses premiers opéras, Giustino (1703) et Ottavia ristituita al Trono (1703). Il va à Venise en 1705 ; il y travaille avec Francisco Gasparini (1668-1727) et y rencontre le compositeur anglais Thomas Roseingrave (1690-1766) et G. F. Händel, avec lesquels il se lie d’amitié. En 1709, il est à Rome ; il entre au service de la reine Marie-Casimire de Pologne et écrit pour son théâtre le drame pastoral La Silvia (1710) et les opéras Tolomeo e Alessandro (1711), L’Orlando (1711), Tetide in Sciro (1712), Ifigenia in Aulide (1713), Ifigenia in Tauride (1713) et Amor d’un Ombra (1714). La reine ayant quitté Rome en 1714, il devient maître de chapelle au Vatican et chez le marquis de Fontes, ambassadeur du Portugal. Il n’abandonne pas le théâtre lyrique (Ambleto, 1715 ; Berenice, 1718), mais compose aussi des œuvres religieuses, un Miserere et un Stabat Mater à dix voix. Au cours de l’été de 1719, il quitte la chapelle Giulia pour se rendre, a-t-on dit, en Angleterre. Mais ce voyage, que certains biographes ont accrédité en se fondant sur le fait que Roseingrave fit représenter à Londres en 1720 une version révisée d’Amor d’un Ombra (sous le titre Narciso), n’a probablement jamais eu lieu.

Il semble que les relations que Domenico entretenait avec le marquis de Fontes aient alors favorisé son établissement à Lisbonne, où il est, en 1720, maître de chapelle de Jean V de Portugal et professeur de musique de l’infante. C’est pour cette royale élève qu’il compose la plus grande partie de ses sonates de clavecin, auxquelles il doit sa célébrité. Domenico s’installe alors définitivement dans la péninsule Ibérique ; il ne s’absentera que deux fois pour se rendre en Italie en 1724, puis en 1728, année où il épouse à Rome Maria Catalina Gentile, dont il aura cinq enfants. En 1729, il accompagne en Espagne l’infante, qui épouse Fernando, fils du roi Philippe V et prince des Asturies, appelé à régner en 1746 sous le nom de Ferdinand VI. Il est fait, en 1738, chevalier de l’ordre portugais de Santiago et remercie Jean V en lui dédiant ses Essercizi per gravicembalo, recueil de ses trente premières sonates. Domenico ne quitte plus la cour espagnole et l’accompagne dans ses diverses résidences du Pardo, du Buen Retiro, de l’Escorial et d’Aranjuez. Après la mort de sa femme (1739), il se remarie avec Anastasia Ximenes, qui lui donnera quatre autres enfants. Vers la fin de sa vie, il abandonne la composition. Il laisse deux autres œuvres religieuses, une messe à quatre voix, qui n’a pu être datée, et un Salve Regina, considéré comme sa dernière œuvre.


L’œuvre

Au cours de sa carrière, Scarlatti s’est essayé dans tous les genres, mais ses œuvres vocales ne peuvent rivaliser avec celles de son père. Par contre, sa musique instrumentale pour le clavecin le désigne comme le maître des compositeurs de sa génération. Écrites dans l’ensemble après son départ d’Italie, ses 555 sonates, dont une dizaine, pour violon et basse, publiées seulement au début du xxe s. dans leur quasi-totalité par Alessandro Longo chez Ricordi (11 vol., 1906 ; rééd., 1947-1951), affirment son incontestable suprématie. Le terme de sonates, auquel il substitue fréquemment celui d’essercizi, ne correspond à aucun type bien défini. Scarlatti qualifie lui-même ses pièces d’« ingénieux badinages » destinés à amener à la maîtrise du clavecin (Préface des Essercizi). Les sonates ont en général un seul mouvement, plus rarement deux. Les plus anciennes usent des procédés de l’imitation ; quelques-unes sont des fugues, construites sur un sujet simple. (La célèbre « fugue du chat » fut ainsi baptisée après la mort de Domenico à cause de son curieux thème.) Dans l’ensemble, les sonates ont la forme binaire des danses de la suite, avec deux reprises symétriques, mais évoluent vers le classicisme. Scarlatti, conservateur sur le plan formel, innove avec une complète liberté sur le plan stylistique. C’est ainsi que nombre de pièces ont parfois un second thème, présenté à la dominante mineure, comme chez C. P. E. Bach : dans ce cas, la première idée a une texture polyphonique, tandis que celle de la seconde est homophonique. Un tel contraste deviendra de règle à l’époque classique où la polyphonie ne s’impose plus et est considérée comme un second langage toujours à la disposition du compositeur. Autre innovation : la seconde partie de la sonate développe harmoniquement le premier thème ou bien en fait surgir un nouveau qui supplante le précédent. Un certain nombre de sonates sont avant tout des « études » ; elles développent un moyen technique : arpèges, trilles, croisement de mains, notes répétées, gammes et trémolos ; ces derniers exigent l’alternance rapide des deux mains dans un même registre. Outre les ressources inhérentes au clavier, auxquelles il faut ajouter la basse d’Alberti, Scarlatti s’inspire de quelques traits caractéristiques (thèmes, développements) de la sonate pour clavecin et violon, du style orchestral de l’ouverture napolitaine et du concerto, qui influencent alors profondément la musique. Il tire parti aussi du riche langage harmonique de la cantate et de l’opéra, joue avec sobriété mais efficacité des ornements, qui provoquent des attaques vigoureusement dissonantes (acciacatura). Enfin, il emploie des accords mordants, souvent cinglants, qui suggèrent la technique de la guitare et de la mandoline et plus généralement les rythmes trépidants de la danse populaire espagnole. Domenico, dans quelques sonates, donne ainsi l’impression de s’évader dans un monde exotique. On ne peut cependant le considérer comme un compositeur espagnol. S’il a quelque dette à l’égard de son pays d’adoption, il reste italien par l’esprit, le lyrisme, la fraîcheur et la vivacité. Il eut cependant une influence importante sur les compositeurs espagnols du xviiie s., notamment sur le père Antonio Soler (1729-1783), dont les pièces de clavecin, différentes des siennes par leur contenu, épousent l’immuable forme binaire.