Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

savon (suite)

La fabrication


Procédé marseillais

L’industrie marseillaise s’est, depuis longtemps, spécialisée dans la fabrication du savon, la situation de la ville sur la Méditerranée lui permettant de recevoir directement les matières premières des pays tropicaux, notamment le groupe « coprah-palmiste », dont une certaine teneur dans le mélange lipidique utilisé est indispensable pour obtenir un produit moussant.

Le savon de ménage, dit savon de Marseille, doit contenir 62 p. 100 de son poids en acides gras. Il est débité au sortir de l’usine en pains de 500 g, ce qui correspond à 315 g d’acides gras. Il est admis que son poids diminue au cours du stockage (perte d’humidité par dessiccation), mais le « morceau » commercialisé doit manifester à l’analyse la présence de 315 g d’acides gras.

Le procédé traditionnel comprend plusieurs stades.
1. La saponification proprement dite nécessite un contact intime entre la matière première oléagineuse et la solution alcaline ; ce contact est impossible à réaliser spontanément, car les deux phases ne sont pas miscibles. Il faut donc utiliser un agent émulsionnant, le nègre, solution savonneuse séparée dans une opération antérieure. La réaction étant exothermique, on est conduit à charger progressivement le chaudron par des apports partiels successifs de lipides et de solution alcaline. Cette première phase dure de dix à douze heures.
2. Afin de récupérer la majorité de la glycérine libérée, on ajoute alors du sel marin, qui provoque un « relargage » du savon et la séparation de la masse en deux parties : une couche savonneuse, qui surnage, et une solution glycérineuse, qui se rassemble au fond de la cuve. Cette solution est évacuée vers l’atelier dans lequel elle sera purifiée par lavages successifs avec de l’eau salée, puis concentrée et enfin distillée.
3. Pour parfaire la saponification et la pousser à son terme, une nouvelle addition de lessive alcaline est introduite dans la cuve, dont le contenu est porté à l’ébullition pendant quelques heures grâce à une circulation de vapeur dans des serpentins plongés dans la masse. Après quelques heures, on procède à un nouveau relargage au moyen de sel marin, et la solution glycérineuse rejoindra celle qui a été obtenue dans la première phase pour subir la même purification.
4. Il est alors nécessaire de « laver » le savon avec des solutions de chlorure de sodium pour éliminer l’excès d’alcali. En fait, une très légère alcalinité doit subsister pour éviter une dégradation du savon lors de sa conservation. C’est cette solution de lavage plus ou moins savonneuse que l’on appelle le nègre et qui est utilisée pour amorcer la saponification des matières premières en les émulsionnant.
5. Il faut ensuite liquider le savon, c’est-à-dire l’appauvrir en électrolytes, en excès d’alcali et en impuretés diverses. L’opération est délicate, bien que fort simple, puisqu’il s’agit d’une addition d’eau qui provoque la séparation du « savon lisse » en limitant au maximum une solubilisation qui pèserait sur le rendement du produit final.
6. Le savon lisse est évacué dans des « mises » et abandonné au refroidissement, puis découpé en barres et enfin moulé, ce qui exige que sa surface ait acquis une certaine dureté par passage dans une étuve tubulaire, dans laquelle la barre de savon avance plus ou moins rapidement.

L’art du maître savonnier jouait un grand rôle dans cette suite d’opérations, demeurées longtemps empiriques, mais suivies aujourd’hui dans les grandes entreprises au moyen d’examens de laboratoire sur des prélèvements régulièrement pratiqués.


Fabrication en continu

Le procédé marseillais exige beaucoup de temps et une main-d’œuvre abondante. On a donc cherché à travailler en continu. La première solution proposée a été de permettre la séparation des phases en accélérant la décantation au moyen d’une centrifugation.

• Le procédé Scharples utilise des mélangeurs continus qui provoquent une division poussée de la matière première, ce qui permet une action rapide de la soude et la séparation des lessives glycérineuses très peu alcalines, le passage en centrifugeuse accélérant la séparation du mélange. La saponification est achevée par un nouvel apport de lessive et de sel. Une seconde centrifugation suivie de nombreux lavages conduit au savon lisse.

• Le procédé Alfa-Laval opère à contre-courant, en faisant circuler en sens inverse les matières premières et la solution sodique, l’opération étant répétée à deux reprises successives, au cours desquelles la saponification est acquise. Après lavages, une centrifugation finale réalise la liquidation.

• Le procédé Monsavon, dû à Félix Lachampt (né en 1902), est très largement utilisé en France et à l’étranger. Il représente un progrès considérable en raison, d’une part, de la rapidité de l’opération, et, d’autre part, du gain de place, auxquels s’ajoutent une importante économie de vapeur et de main-d’œuvre ainsi que la récupération de 96 p. 100 et parfois plus de la glycérine contenue dans la matière première.

La saponification proprement dite est accélérée par l’utilisation d’un homogénéiseur qui est chargé au moyen de pompes volumétriques. Puis la très fine émulsion obtenue est dirigée au sommet d’une tour à réaction, qu’elle traverse lentement. Au bas de l’appareil, l’opération est pratiquement terminée. Le savon est alors transféré dans la cuve à savon brut. L’analyse révèle qu’il contient 63 p. 100 d’acides gras, 0,2 p. 100 d’alcali libre — quantité voisine de celle qui est nécessaire à la bonne conservation du produit —, de 0,2 à 0,8 p. 100 de chlorure de sodium et pratiquement toute la glycérine contenue dans la matière première. On estime que seulement 0,2 p. 100 des quantités primitives de glycérides ont échappé à la saponification. Le savon brut est alors conduit dans une tour de lavage, qu’il traverse de bas en haut, tandis qu’une lessive alcaline descend par gravité. Chaque étage de cette tour comprend une zone d’agitation et une zone de décantation. Arrivées au plateau inférieur, les eaux glycérineuses, ou « petites eaux », sont évacuées pour être concentrées et purifiées. Finalement, la glycérine brute est distillée. Le savon parvenu à l’étage supérieur de la tour est « liquidé » grâce à l’action de pompes automatiquement réglées, qui l’approvisionnent en eau, en eau salée et en solution sodique, le tout étant soumis à une intense agitation. On dirige enfin le mélange vers un chaudron, analogue au matériel utilisé en savonnerie classique, et on l’abandonne à la décantation, qui sépare le savon lisse du « nègre ». Il est, en effet, plus économique de disposer de deux ou de plusieurs cuves de décantation que de provoquer celle-ci mécaniquement en continu. La quantité de savon entraînée dans les eaux de lavage ne dépasse pas 0,2 p. 100. La durée de la décantation est de huit à douze heures une fois le chaudron rempli.