Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Savoie (suite)

D’importants et nombreux établissements monastiques — clunisiens, cisterciens, ou chartreux —, malheureusement victimes de multiples sinistres et détruits ou transformés à l’heure actuelle, furent des centres de rayonnement. Les ruines de Saint-Jean-d’Aulps, les parties romanes de l’abbaye d’Abondance en sont les témoins, de même que le chœur et les chapiteaux du porche de l’église d’Yenne, la nef centrale, l’abside et le clocher de celle de Saint-Martin d’Aime, sensible à l’influence lombarde. Le plus ancien édifice roman de Savoie est le baptistère de Lémenc à Chambéry, bâtiment hexagonal pourvu d’une piscine et de chapiteaux très remarquables. S’ajoutent à cette liste la crypte de Moûtiers et les constructions découvertes sous la cathédrale de Saint-Jean-de-Maurienne.

Les créations épiscopales du début de l’âge gothique ont été très remaniées ; ce sont les œuvres monastiques qui subsistent surtout : la voûte d’ogives apparaît pour la première fois à l’abbaye cistercienne de Bonlieu-sous-Sallenôve. Le chœur de l’abbaye clunisienne du Bourget-du-Lac montre qu’elle fit école, ainsi que l’église de Contamine-sur-Arve. L’abbaye d’Abondance se situe dans le rayonnement de la Bourgogne. Son cloître du xive s., aux colonnes de marbre noir, est d’une grande légèreté.

L’épanouissement du gothique va de pair avec celui de la puissance savoyarde : Amédée VIII devient duc en 1416. La Sainte-Chapelle du château de Chambéry est terminée en 1430 ; Jacques de Beaujeu († 1418), « maître des œuvres du Dauphin », y travailla, ainsi que Jean Prindale, élève de Claus Sluter (la façade actuelle est du xviie s.). La cathédrale de Moûtiers est de style rayonnant. Celle de Saint-Jean-de-Maurienne acquiert au xve s. un cloître, des nefs latérales et des chapelles.

Les œuvres les plus notoires de la sculpture gothique en Savoie sont sans doute les restes du jubé du Bourget-du-Lac, représentant des scènes de la vie du Christ (xiiie s.), et le tombeau de l’évêque Oger de Conflans, gisant sur un sarcophage et surmonté d’un enfeu (milieu du xve s.), dans la cathédrale de Saint-Jean-de-Maurienne.

Le domaine pictural est riche, qu’il s’agisse de la fresque ou de la peinture de manuscrits. Le Christ Pentocrator de Saint-Martin d’Aime est le plus imposant des vestiges de fresques romanes. Mais le xve s. a laissé de beaux ensembles. La très modeste chapelle Saint-Sébastien de Lanslevillard est ornée de scènes relatant la vie du saint, plus naïves que celles du cloître d’Abondance, consacrées à la vie de la Vierge. Elles sont attribuées à l’atelier de Giacomo Jaquerio (v. 1375-1453), peintre de la cour de Savoie au temps d’Amédée VIII et qui travailla dans plusieurs châteaux de la région. L’influence siennoise y est notoire ; on peut aussi évoquer celle du Souabe Konrad Witz, et des rapprochements ont été faits avec les primitifs provençaux : on perçoit ainsi l’importance des échanges dans ce carrefour qu’était la Savoie des ducs. Entre 1430 et 1470 environ, ceux-ci font travailler plusieurs artistes au bréviaire dit « d’Amédée de Savoie » (bibl. de Chambéry), au livre d’heures dit « de la messe de saint Maïeul » (bibl. de Chambéry) et aux heures de Louis de Savoie (B. N., Paris). Une Apocalypse conservée en Espagne, à l’Escurial, est l’œuvre de Jean Bapteur, de Fribourg (ou de Jean Colombe), et de Perronet Lamy († 1455), de Saint-Claude. Amédée VIII avait hérité des Très Riches Heures du duc de Berry : l’influence stylistique des Limbourg parvenait ainsi au cœur des Alpes.

L’architecture militaire tient une grande place dans ces contrées de passage. Les châteaux du haut Moyen Âge ont disparu. Le type actuellement connu fut élaboré aux xive et xve s. Certains, comme Miolans, font preuve d’un grand affinement de la technique militaire ; le donjon en est souvent, à lui seul, un petit château fort. Le romantique château de Menthon-Saint-Bernard et celui d’Annecy dominent le lac de leur masse complexe ; ceux de Chambéry et de Montrottier sont d’un type analogue. Beaucoup d’édifices élevés du xive au xvie s. tiennent le milieu entre le château et la maison fortifiée : Sallenôves, Bonneville, Avully.

La Renaissance n’est pas une époque féconde, du fait des troubles politiques. En revanche, l’essor démographique du milieu du xviie s., le contexte religieux, les dons de familles d’émigrés enrichis font s’élever d’innombrables églises : en Maurienne, qui reçoit l’influence du Briançonnais et du val de Suse, en Tarentaise et en Faucigny, où viennent travailler des maîtres d’œuvre italiens de la Valsesia et de Novare. Ces églises se font surtout remarquer par leur décoration intérieure, leurs retables sculptés d’un baroque exubérant et naïf. De simples bourgades comme Bourg-Saint-Maurice, Moûtiers ou Bessans envoient sculpteurs et peintres de retables dans les moindres villages des alentours. Les manifestations du baroque urbain — Notre-Dame de Chambéry, la Visitation d’Annecy, l’église de Thonon-les-Bains — sont d’une veine beaucoup plus retenue.

Le xviiie s. a laissé quelques beaux hôtels particuliers à Chambéry et de nombreuses maisons de campagne, dont un bel exemple est celle de Mme de Warens aux Charmettes. Il faut signaler l’activité des métiers d’art à cette époque, dans une région où le cloisonnement obligeait encore à une relative autarcie.

C’est surtout par les reconstructions (abbaye d’Hautecombe, certaines parties du château de Chambéry), par l’urbanisme (percement de la rue centrale de Chambéry) que se signale le xixe s.

On ne peut passer sous silence les profondes transformations qui ont affecté la Savoie depuis une trentaine d’années, la mode des sports d’hiver ayant provoqué une activité architecturale sans précédent, aux résultats regrettables dans la plupart des cas : on s’est souvent contenté de transplanter à la montagne les modèles urbains les plus médiocres. Ce mouvement a, cependant, suscité quelques réussites : des stations comme Méribel-les-Allues ou Bonneval-sur-Arc ont renoncé au gigantisme pour s’adapter au style et à la taille du village ancien ; Flaine a fait appel en 1967 à Marcel Breuer*. L’art religieux est assez bien représenté par les œuvres de Maurice Novarina (né en 1907) à Vongy, au col de l’Iseran et au plateau d’Assy, dont l’église, bâtie en 1938, est une sorte de manifeste de l’art sacré du milieu du xxe s. : Rouault, Matisse, Lurçat, Léger, Braque, Chagall, Germaine Richier, Bonnard, Bazaine, Lipchitz ont participé à sa décoration.

E. P.