Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Savoie (suite)

Le pays, qui a été éprouvé par la peste de 1629-30, mais qu’a épargné la guerre, retrouve une incontestable prospérité économique grâce à la remise en état de la route du Mont-Cenis, qui, à partir de 1660, permet de récupérer le trafic détourné jusque-là vers le Simplon. L’essor de l’élevage des bovins nécessite une importante importation de sel en provenance non plus, comme au xvie s., des Baléares, mais du Languedoc. Les eaux de Salins-les-Thermes, près de Moûtiers, et le gypse de la région de Bourg-Saint-Maurice sont exploités à partir des années 1650 afin de limiter les ambitions financières des partisans français et d’animer, au profit des Suisses, et plus particulièrement des Bernois, un important trafic de sel de contrebande à partir des ports de Thonon, de Vevey et de Genève pendant le premier tiers du xviiie s.

Mais, en pratiquant une délicate politique de bascule entre la France et l’Empire, au sein duquel se place son cousin le Prince Eugène (Eugène de Savoie-Carignan, 1663-1736) lors des guerres de la ligue d’Augsbourg et de la Succession d’Espagne, Victor-Amédée II (duc de 1675 à 1730) provoque par deux fois l’occupation de son pays par les forces françaises (de 1690 à 1696 et de 1703 à 1713), occupation aggravée par le terrible hiver de 1709.

Par le traité séparé de Turin de 1696, la Savoie obtient pourtant la restitution de Turin ; par celui d’Utrecht de 1713, elle reçoit l’île de Sicile avec la couronne royale, mais doit l’échanger en 1718 contre la Sardaigne, dont elle prend possession en 1720 en vertu du traité de Londres de 1718, qui fait de son prince l’égal des plus grands souverains européens, dont les possessions sont désormais dénommés « États sardes ».


Les États sardes (1718/1720-1861)


Les réformes du temps du despotisme éclairé

Les traités de 1713 et de 1718, qui transforment définitivement les domaines de la maison de Savoie en un État essentiellement italien, contraignent Victor-Amédée II à en remodeler les institutions de façon à en faire un tout cohérent.

Le premier roi de Sardaigne divise ses États en provinces, dirigées chacune par un intendant, et codifie le droit civil et le droit criminel dans les Royales Constitutions de 1723. Par les lettres patentes du 9 avril 1728, il décide de faire élaborer un cadastre général de toutes les terres de Savoie, cadastre qui deviendra la base du système fiscal en vertu de l’édit de péréquation du 15 septembre 1738. Il fonde ainsi une monarchie absolue et centralisée qui prend en charge la politique de restauration seigneuriale — qui s’était affirmée à partir de 1680 —, en en limitant les effets sociaux qui se faisaient sentir non pas dans les terres hautes, où subsistait la propriété paysanne, mais dans les terres basses, où de nombreux ruraux avaient brûlé les terriers, tuant même un commissaire au Pontet en septembre 1719.

Précisant en effet les privilèges attachés aux terres détenues par la noblesse et le clergé, le cadastre définit en plus les charges seigneuriales pesant sur le sol. Par là même, il en interdit la révision et donc en limite le montant.

Cette tentative de moderniser l’État sarde poursuivie par Charles-Emmanuel III de 1730 à 1773 aboutit aux édits du 20 janvier 1762 et du 19 décembre 1771 : le premier libère gratuitement les taillables du domaine royal ; le second affranchit tous les fiefs, malgré l’opposition de la noblesse, qui en ralentit l’application sous le règne de Victor-Amédée III (de 1773 à 1796), plus conservateur que ses prédécesseurs. Malgré tout, en 1792, les deux tiers des communautés ont déjà passé des actes de rachat avec leurs seigneurs. Réduite depuis 1713 à l’état de simple province administrée par intendant général résidant à Chambéry, privée depuis 1720 de la Chambre des comptes, siégeant dans cette ville et faisant obstacle à la politique centralisatrice du monarque, la Savoie est contrainte d’aligner son régime socio-économique sur celui du Piémont, où la grande propriété aristocratique, qui est depuis longtemps dépouillée de ses attributs féodaux, est insérée dans un système de type capitaliste. Celui-ci favorise la bourgeoisie marchande, au profit de laquelle se réalise un important transfert de propriétés. Cet effort de modernisation, ralenti par de très nombreuses crises (1725-1727, 1730-1736, 1746-1750, 1765-1772), est même arrêté pendant la guerre de la Succession* d’Autriche. Le royaume sarde, allié de l’Autriche pour mettre en échec les visées françaises sur le Milanais, est attaqué par les forces espagnoles de l’infant don Philippe. Basées en Dauphiné, ces dernières occupent presque sans interruption ses territoires occidentaux de septembre 1742 à février 1749. Ce conflit est bénéfique sur le plan territorial, puisqu’il permet l’annexion de l’Ossola et, par contrecoup, la fermeture de la route commerciale du Simplon, qui enrichissait le Valais en temps de guerre (traités de Worms et d’Aix-la-Chapelle, 1748) ; mais il ne fait que retarder l’essor démographique du pays — qui s’esquisse à partir de 1756 — et la diffusion de trois cultures nouvelles — maïs, pommes de terre, prairies artificielles —, qui apparaissent respectivement pour la première fois vers 1730, 1742 et 1756-1760.

Cette révolution agricole est favorisée par la neutralité nouvelle des souverains, qui se contentent de négocier de légères modifications de frontières avec Genève en 1754 et avec la France en mars 1760 ; elle est soutenue à partir de 1772-1774 par la Société économique d’agriculture de Chambéry.


Les États sardes et la Révolution

La haine manifestée par les Savoyards à l’égard des Piémontais, dont les garnisons à l’ouest des Alpes insultent leur esprit d’indépendance, la force de pénétration du message révolutionnaire qui se diffuse en Savoie à partir de Grenoble au sud et de Carouge au nord n’empêchent pas Victor-Amédée III de faire de Turin l’une des capitales de l’Europe contre-révolutionnaire, où viennent se réfugier de nombreux émigrés, dont son gendre le comte d’Artois.