Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Satie (Erik)

Compositeur français (Honfleur 1866 - Paris 1925).


Alfred Erik Leslie Satie, dit Erik Satie, prétendait tenir le goût de la réflexion solitaire, et le sens de l’humour, de son ascendance maternelle écossaise et de sa naissance à Honfleur, patrie d’Alphonse Allais. Très tôt, un élève de Niedermeyer l’initie à la musique en lui transmettant peut-être l’enseignement de cette école, orienté vers la résurrection du plain-chant. Satie peut ainsi se familiariser avec certains aspects de la modalité qui marqueront ses œuvres. Venu à Paris, il est étudiant au Conservatoire (1879-1886). Il s’y ennuie. Décidé, néanmoins, à devenir compositeur, il est alors confronté aux problèmes que connaissent les artistes inquiets de la surcharge de l’art à la fin du xixe s. Les Trois Sarabandes (1887), les Trois Gymnopédies (1888) et les Trois Gnossiennes (1890) laissent présager une recherche ascétique (nombre de critiques de l’époque la qualifieront de simpliste) inspirée par une certaine forme d’orientalisme, par l’esprit grégorien et par un idéal grec, et caractérisée par la simplicité de la structure ainsi que par la linéarité et la nudité de l’ornementation. En fait, Satie affirme d’emblée l’originalité de son style, défini par la flexibilité d’une ligne mélodique intrinsèquement liée à son contexte harmonique, que le principe de simple répétition et l’emploi de formules rythmiques élémentaires ne viennent ni contrarier ni dénaturer.

Les adhésions successives de Satie à des tentatives esthétiques diverses, suivies de ruptures « pour éviter toute compromission » ou de fuites « pour trouver autre chose », ont contribué à créer la légende de cet homme énigmatique, au caractère altier, narquois et secret qui vécut à Arcueil de 1898 à sa mort en 1925.

La carrière artistique de Satie se résume à la fréquentation de « cénacles » qui semblent trouver dans les dons de celui-ci le moyen de réaliser leurs prétentions esthétiques tout en fournissant le support dont ils ont besoin pour s’épanouir. Ce curieux phénomène d’osmose ne fait perdre au musicien ni son indépendance ni son originalité. Détachées du contexte esthétique ou fonctionnel qui les a fait naître, les partitions de Satie vivent leur vie propre d’objets parfaitement achevés dans les limites de leur propos et dont on a pu dire qu’ils étaient « fignolés et non finis ». Dès 1890, les œuvres inspirées par la philosophie pseudo-wagnérienne du « sâr » Joséphin Peladan et les ambitions mystiques du mouvement Rose-Croix ne se départissent pas de l’idéal de simplicité déjà remarqué (les Préludes du Fils des étoiles [1891], les Préludes du Nazaréen [1893], les Danses gothiques [1893] et les Préludes de la Porte héroïque du ciel [1894]). De même, l’expérience de Satie, comme pianiste « tapeur » dans les cabarets tels l’Auberge du Clou (où il rencontrera Debussy) ou le Chat Noir lui permet d’approfondir les ressources du music-hall, auquel, par-delà les œuvrettes destinées à des artistes en vogue (Je te veux, la Diva de l’« Empire » pour Paulette Darty), il donnera ses lettres de noblesse dans des partitions aussi diverses que Geneviève de Brabant (pour marionnettes), Jack in the Box (pantomime de 1899) ou la Belle Excentrique (1920), un peu à la manière dont certains artistes, tel Toulouse-Lautrec, ont réhabilité l’art du dessin, de la caricature, de l’affiche ou de la décoration.

La période 1900-1910 est moins féconde. Les Trois Morceaux en forme de poire (1903) marquent une protestation souriante contre les subtilités de l’impressionnisme. D’autre part, Satie se consacre à de nouvelles études à la Schola cantorum (1905-1908). Les concerts donnés en 1910-11 par Ravel et le pianiste Ricardo Viñes (1875-1943) le révèlent au grand public. C’est alors la suite ininterrompue d’œuvres que Satie affuble de titres provocateurs, comme En habit de cheval (1911, pour orchestre) ou, pour piano, Préludes flasques pour un chien (1912), Descriptions automatiques et Embryons desséchés (1913), toutes pages parsemées de notations étonnantes, manifestation d’un humour devenu extravagant beaucoup plus que recherche du pittoresque ou conseil d’exécution.

La célébrité vient au musicien avec Parade (« ballet réaliste », 1917), commande de Diaghilev, désireux de rompre avec le raffinement de ses productions passées et à la recherche d’une musique « mécanique ». L’argument de Jean Cocteau, les décors et les costumes « cubistes » de Picasso, la chorégraphie « athlétique » de Massine et la musique « hyper-réaliste » de Satie, qui empruntait au bruit, alors inusité, à la musique savante et à l’esprit de la foire, déclenchèrent un scandale malgré les essais de justification par G. Auric et G. Apollinaire. Les mouvements surréalistes et dadaïstes, déjà présents dans une comédie avec musique, le Piège de Méduse (1913), inspirent les ballets de 1924 : Mercure (avec Picasso) et Relâche (ballet « instantanéiste » avec Picabia). Dans ce dernier était inséré l’Entr’acte cinématographique de René Clair, où la partition fonctionnelle de Satie laissait prévoir l’union future du son et de l’image.

L’influence de Satie est due à son habileté à désublimiser et à démythifier un sujet, une idée ou un procédé musical. D’où la liberté d’allure d’œuvres aussi opposées que Sports et divertissements (1914), poétiques tableaux-miniatures pour piano inspirés par une suite de dessins, et Socrate (d’après Platon, 1918), « drame symphonique » où l’émotion naît de la rigueur volontaire avec laquelle est soutenue une déclamation linéaire et « blanche ». Cette liberté séduisit nombre de jeunes compositeurs : l’école américaine, à travers Virgil Thomson (né en 1896), et, en France, le groupe des Six* et l’école d’Arcueil ont assuré la présence de Satie dans le monde contemporain.

L’école d’Arcueil

L’école d’Arcueil fut aussi hétérogène que le groupe des Six, et son existence fut encore plus éphémère. Quatre jeunes compositeurs présentés par Milhaud à Satie virent leurs débuts patronnés par ce dernier en 1923. Leurs études communes de composition auprès de Charles Kœchlin (1867-1950) au Conservatoire de Paris et leur admiration pour le « bon maître d’Arcueil » formaient les seuls liens d’une union aussitôt rompue par la diversité des carrières suivies.

Toutefois, les ballets de Satie et ses tentatives pour créer une « musique d’ameublement » ont pu inciter ces jeunes compositeurs à s’intéresser aux différents arts du spectacle, y compris le cinéma, pour lesquels ils ont tous écrit des partitions réussies, dont, d’ailleurs, l’écriture raffinée est souvent éloignée du dépouillement satiste.

Henry Cliquet-Pleyel (Paris 1894 - id. 1963), le plus effacé, a laissé des œuvres de chambre (quatuors à cordes, 1912, 1923 ; sonates pour violon et piano, 1943, 1947) ainsi qu’un conte filmé, Panurge.

Roger Désormière (Vichy 1898 - Paris 1963) partagea ses dons de chef d’orchestre entre la restitution de musique ancienne (opéras de Lully et Rameau) et la création d’œuvres contemporaines (Milhaud, Messiaen, Boulez, Dutilleux). Il illustra aussi des films de R. Clair, de J. Renoir, de J. Duvivier, de J. Becker et de L. Daquin.

Maxime Jacob, en religion dom Clément (Bordeaux 1906), s’orienta vers la gravité de la musique religieuse à la suite de sa conversion (1929) et de son entrée chez les bénédictins d’En-Calcat (Tarn), sans renier dans ses œuvres les plus récentes le jaillissement et le charme de ses premières mélodies et de l’opéra-comique Blaise le savetier (1926).