Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

santé (suite)

La prévention

Soigner, appareiller, réadapter et rééduquer ne constituent que des palliatifs coûteux. La vraie façon — et dans une certaine mesure la plus économique — de garantir la santé consiste à prévenir l’accident et la maladie. Mais, pour être efficace, cette prévention va nécessairement porter atteinte à la liberté de quelques-uns au moins.

La plus élémentaire des mesures de prévention consiste à vacciner tous les éléments d’une population contre un certain nombre de maladies. L’obligation de la vaccination* (dont l’efficacité a été mise en lumière par la guerre franco-allemande de 1870 : dans l’armée allemande, où la vaccination était obligatoire, on a dénombré 297 morts par variole ; dans l’armée française, où elle ne l’était pas, 23 400) permet de fermer les yeux sur certaines omissions (peu nombreuses) résultant de négligences ou de positions de principe.

Mais il est des maladies pour lesquelles la vaccination n’est pas considérée comme indispensable, au moins dans certains pays en un temps donné (choléra, fièvre jaune, etc.), et d’autres, plus nombreuses encore, pour lesquelles aucune vaccination n’a encore été mise au point. Dans tous ces cas, la contagion*, lorsqu’elle existe, ne peut être limitée que si les malades se soignent : c’est notamment le cas du paludisme et des maladies vénériennes. Les pouvoirs publics ont la responsabilité de décider si les soins doivent alors être obligatoires — au risque de violer la conscience de ceux qui, par conviction morale ou religieuse, se refusent à recevoir des soins médicaux ou qui ne font confiance qu’à certains procédés empiriques ou naturels (dont certains peuvent être apparentés à la sorcellerie) — ou d’imposer des dérangements à ceux qui, par refus d’une quelconque discipline de vie, s’abstiennent volontairement ou par négligence de se soigner. Garantir la santé, c’est accepter d’imposer une obligation de soins aux victimes de toute maladie contagieuse, c’est-à-dire rendre obligatoire la déclaration de ces maladies par le médecin qui les a diagnostiquées. (Qu’en est-il alors du « sacro-saint » secret médical ?)

Le problème peut être posé de l’élargissement de l’obligation de soin des maladies non contagieuses, non seulement au titre de la prévention, mais en songeant à l’économie que pourrait réaliser la collectivité en les guérissant sans attendre que se manifestent d’éventuelles complications beaucoup plus coûteuses à traiter. Dans le même ordre d’idées, faut-il rendre obligatoires des examens périodiques de santé ? Si des examens spécialisés de dépistage de tel ou tel cancer peuvent sembler souhaitables, l’efficacité d’examens généraux de dépistage de cancers variés est mise en doute par certains praticiens ; quant aux « check-up » ou « check-list », de nombreux auteurs sont hostiles à leur généralisation systématique, car leurs bénéficiaires ont tendance à leur donner une valeur de pronostic favorable d’un avenir plus ou moins long, valeur qu’ils n’ont absolument pas, alors que d’autres bénéficiaires, au contraire, peuvent y voir des sujets d’inquiétude susceptibles d’être dangereux pour l’évolution de leur état de santé ; il convient de ne pas oublier, en effet, au terme de nombreuses constatations faites sur les maladies psychosomatiques, l’importance des facteurs psychiques dans la genèse de diverses affections ; (des expériences faites en matière de tuberculose pulmonaire des adultes auraient été concluantes).

La protection des personnes contre la maladie paraît également devoir conduire à protéger ces personnes contre elles-mêmes. C’est pourquoi, de plus en plus souvent en France, les pouvoirs publics subordonnent la vente au public de nombreux produits pharmaceutiques à la présentation d’une ordonnance médicale ; mais tout médicament*, même le plus bénin en apparence, peut devenir dangereux soit à la suite d’abus, soit du fait de contre-indications inconnues des consommateurs ; ce fut le cas de l’amidopyrine, objet d’une certaine vogue il y a quelques années au Danemark, où la consommation abusive a parfois provoqué de graves insuffisances de globules blancs. L’usage régulier des excitants ou des euphorisants peut être assimilé à celui de la « drogue » ; alors que certains préconisent la mise en vente libre de la marijuana, d’autres regrettent que quantité de produits dangereux pour la santé de leurs utilisateurs aient grâce aux yeux du législateur, tabac ou alcool par exemple (dont la distribution procure d’importantes ressources aux pouvoirs publics et dont la production assure de substantiels revenus aux agriculteurs), au même titre que le pavot dans les pays d’Orient : dans son Histoire des impôts (1972), Gabriel Ardant rappelle les réflexions faites en 1905 par sir Austen Chamberlain, qui, en sa qualité de chancelier de l’Échiquier, déplorait l’extension des réunions sportives, des jeux de plein air, des représentations théâtrales et des excursions, qui diminuaient la clientèle des débits de boissons « et laissaient un trou dans le budget ». Il est vrai que les désordres provoqués par la prohibition, aux États-Unis, au lendemain de la Première Guerre mondiale, n’encouragent pas de nouvelles interdictions.

Choix délicats

Le fait de vouloir faire garantir par la collectivité la santé de l’homme n’est pas sans soulever des problèmes techniques nombreux. Mais la complexité de ceux-ci est encore accrue du fait qu’il n’existe pas un type unique d’hommes sur terre, mais des catégories dont le nombre nous parait augmenter dans la mesure où notre appareil d’investigations se développe.

C’est ainsi, par exemple, que certaines populations d’Afrique et d’Extrême-Orient présentent une anomalie de la composition de leur hémoglobine, anomalie qui provoque chez beaucoup de graves anémies, mais qui protège les survivants contre le paludisme ; du métissage de ces populations avec les voisines peuvent naître, suivant les lois de l’hérédité, des enfants à l’hémoglobine normale qui meurent souvent de malaria, des enfants à l’hémoglobine carencée qui ne craignent pas la malaria mais qui ont tendance à mourir d’anémie, des enfants dont le sang contient en partie égale de l’hémoglobine normale et de l’hémoglobine carencée qui résistent au paludisme et ne souffrent pas d’anémie.