Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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salons, académies, clubs, cafés : l’espace littéraire (suite)

On ne peut en dire autant des académies provinciales, dont beaucoup se sont constituées à son image, mais sans que pèsent sur elles les contraintes de la capitale. La plus ancienne, maintenant disparue, fut sans doute l’Académie florimontane, fondée en 1606 à Annecy par François* de Sales. Les académies provinciales françaises, souvent liées par le milieu social aux parlements, ont été au xviiie s. d’extraordinaires milieux d’incubation littéraire. Quand on examine la carte des lieux de naissance des écrivains, il est aisé de constater qu’entre 1650 et 1790 ils se concentraient autour des sièges d’académies, la traditionnelle concentration parisienne cédant pour un temps le pas à une vie littéraire vraiment nationale.

L’académie de Dijon fut une des plus brillantes. On se souvient que c’est elle qui mit au concours le thème que développa, en 1755, Jean-Jacques Rousseau dans son Discours sur l’origine de l’inégalité. Crébillon, Piron, le président De Brosses furent des produits de ce milieu.


Les salons

L’Académie française était née d’un groupe de beaux esprits qui se réunissaient dans le salon de Valentin Conrart (1603-1675), jeune écrivain de peu de production, mais de beaucoup d’autorité. Le salon est apparu en Italie et en France dès le début du xviie s. C’est un milieu très différent de celui de l’académie, car les relations y sont informelles et dominées par la personnalité de l’hôte ou, le plus souvent, de l’hôtesse. En effet, la vogue du salon correspond à un grand règne féminin sur la littérature, qui, de la marquise de Rambouillet à Mme de Staël, s’étend jusqu’au xixe s.

La couleur bleue de la chambre où la marquise de Rambouillet (1588-1665) commença à recevoir à partir de 1610 était une novation en matière de décoration. Et, dès le début, en effet, le salon s’annonce comme novateur. Pour la première fois, il s’agit d’un espace restreint, clairement défini, où chacun joue son rôle comme dans une pièce de théâtre qui n’est pas forcément classique. Le romanesque de l’Astrée donne son style à l’hôtel de Rambouillet dans cette société aux nerfs à fleur de peau, où les guerres de Religion sont encore mal oubliées et où se préparent les troubles de la Fronde. Chapelain (1595-1674), Voiture (1597-1648) sont les grands hommes.

Après la Fronde, c’est le salon de Mlle de Scudéry (1607-1701) qui prend la relève. La novation y est plus explicite. Elle s’appelle la préciosité*. C’est un non-conformisme qui nous paraît parfois ridicule parce que nous ne le voyons qu’à travers les moqueries de Molière, trop grand pour tenir dans un milieu aussi étroit. Mais il faut reconnaître que des salons précieux est sorti un apport lexical et stylistique dont notre langue et notre littérature vivent encore sans le savoir.

Au xviiie s., les salons deviennent philosophiques, voire politiques. Mme du Deffand (1697-1780) reçoit rue de Beaune à partir de 1730, puis rue Saint-Dominique à partir de 1747 non seulement tout ce que Paris compte d’esprits libres et aiguisés — Montesquieu*, Voltaire*, d’Alembert*, Diderot* —, mais encore les plus grands noms de la littérature européenne et surtout anglaise, notamment le philosophe Hume*. On connaît la vieille amitié et la longue correspondance de Mme du Deffand avec Horace Walpole (1717-1797), mine de renseignements précieux sur la vie littéraire au xviiie s.

Le salon de Mme du Deffand et, plus tard, celui de Mme Necker (1739-1794) où sa fille, Mme de Staël*, fit ses premières armes, furent les grandes plaques tournantes de l’Europe intellectuelle. C’est en partie grâce à eux et à d’autres en France, en Angleterre, en Italie, en Allemagne que s’est créée dans la seconde moitié du xviiie s. la conscience européenne de ce qui devait désormais s’appeler la littérature.

La Révolution française et les guerres napoléoniennes portèrent un coup mortel aux salons littéraires. Il y en eut encore beaucoup jusque sous la IIIe République et il y en a encore quelques-uns maintenant, mais il s’en faut de beaucoup que l’esprit « salonnard » de ces mondanités ait jamais atteint la gloire des grands salons du xviiie s. Le dernier de cette lignée fut celui de Mme de Staël à Coppet. C’est là qu’un soir de juillet 1816 Byron* entendit pour la première fois un des frères Schlegel — August Wilhelm — parler du romantisme* et se demanda, assez perplexe, ce qu’il pouvait bien entendre par là.


Cafés, clubs et cénacles

La formule de l’académie, trop géométrique et trop institutionnelle, n’a jamais eu grand succès en Grande-Bretagne. Quant au salon, il n’y a jamais eu l’éclat qu’il a connu dans d’autres pays.

L’écrivain britannique a pris sa conscience sociale plus tôt que la plupart de ses confrères des autres pays. Avec un homme comme Samuel Johnson*, qui, dès 1755, s’est émancipé de la tutelle d’un protecteur noble et fortuné, il trouve un véritable leader dans ses propres rangs. Johnson ne tient pas salon chez les dames de qualité, mais dans les cafés de Londres, comme the Turk’s Head à Soho et la vieille taverne de l’Old Cheshire Cheese, où, dans Fleet street, une plaque commémore encore son règne. Deux siècles plus tard, il n’y a pas de plaque pour Jean-Paul Sartre* aux Deux Magots ou au Flore, mais les touristes viennent toujours voir la table où il s’asseyait au printemps de l’existentialisme.

On se souviendra que c’est au café de la Régence, au Palais-Royal, que Diderot situe sa conversation avec le neveu de Rameau. Parmi les cafés littéraires du Palais-Royal, le Lemblin fut fréquenté à partir de 1805 par les gens de lettres. Mais le plus ancien et le plus durable des cafés littéraires est le Procope, qui fut fondé en 1686 par l’Italien Francesco Procopio dei Coltelli et qui existe encore.

Le café fut un merveilleux espace de communication où la boisson, puis, plus tard, le tabac créèrent une atmosphère dégagée de contraintes. On y lisait le journal, on y parlait politique, et la littérature s’y trouvait insérée dans le réseau quotidien des relations sociales. Elle y a gagné, et cette insertion est probablement un des facteurs qui ont contribué à donner à la littérature du xixe s. cette faculté jamais retrouvée de parler à tout un peuple. On ne comprend pas bien Théophile Gautier*, Alexandre Dumas*, Eugène Sue, Émile de Girardin sans le café.