Salazar (António de Oliveira) (suite)
En même temps, une opposition se renforce dans le pays. Un des appuis du régime, l’Église, se dérobe : en juillet 1958, la lettre de l’évêque de Porto marque la première rupture. Nombre de clercs commencent à se poser le problème de la légitimité des méthodes employées. L’opposition éclate même au grand jour, et les élections présidentielles de 1959 montrent, même parmi cette minorité privilégiée qu’est le corps électoral, la vigueur du mouvement de protestation. Pourtant, malgré la faillite de la politique du président du Conseil, malgré l’ampleur de l’opposition, le régime se maintient. Deux raisons peuvent expliquer ce fait : d’une part, la rigueur accrue de la répression policière du pays, qui contraint les opposants au silence, à la prison ou à l’exil ; d’autre part et paradoxalement, les soulèvements nationalistes outre-mer. Car l’orgueil national se sent concerné. Développant ses arguments antérieurs, Salazar affirme le 30 juin 1961 : « Il y a manifestement une grave erreur à considérer les provinces portugaises d’outre-mer comme des territoires purement coloniaux ; erreur à penser que notre constitution politique pouvait sanctionner l’intégration de territoires dispersés, s’il n’existait effectivement une communauté de sentiments suffisamment expressive de l’unité de la nation. » Face à l’O. N. U., c’est l’appel au chauvinisme lusitanien. En même temps, une habile propagande fait redouter que le Portugal, réduit au continent, ne soit rapidement la proie de l’Espagne. Dans ces conditions, il importe de se regrouper autour du vieux chef. Paradoxalement, on peut dire que la révolte des territoires africains sauve le régime, alors qu’il est critiqué non seulement par les forces populaires et par une partie de l’Église, mais même, au sein des sphères gouvernementales, par de jeunes technocrates qui lui reprochent ses options économiques dépassées.
Appelé au ministère en 1928, président du Conseil en 1932, Salazar, maintenu en place malgré la terrible crise de 1961 (v. Portugal) restera au pouvoir jusqu’en septembre 1968. Seule la maladie l’en écartera. Toutefois, le « salazarisme » est mort depuis les années 50, date à laquelle de grandes options économiques ont dû être repensées. Si le cadre primitif se maintient (constitution, méthodes de gouvernement), ce sont les orientations des dix dernières années qui se poursuivent et s’accélèrent.
C’est sans difficulté que Marcelo Caetano assume la présidence du Conseil en septembre 1968. Malgré quelques changements formels, la vie politique se poursuit ; mais, ce n’est plus un homme seul qui est au pouvoir, c’est toute une classe, celle des technocrates, qu’irritaient les lenteurs du vieux guide. Cependant, en mai 1974, Caetano sera renversé par un mouvement d’officiers et un régime démocratique s’instaurera au Portugal.
Plus qu’une doctrine, un type de régime, le « salazarisme » aura été une aventure individuelle, fût-elle subie par tout un peuple.
J. M.
➙ Portugal.
P. Sérant, Salazar et son temps (les Sept Couleurs, 1961). / J. Ploncard d’Assac, Salazar (la Table ronde, 1967). / C. Rudel, Salazar (Mercure de France, 1969).