Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Saint Empire romain germanique (suite)

À travers ce geste, Otton Ier le Grand pense renouer avec l’Empire carolingien. Il se pose en restaurateur de l’Empire et a pris soin, en 936, de se faire couronner roi de Germanie à Aix-la-Chapelle. Le contrôle qu’établit le nouvel Empereur sur l’Église traduit cette volonté de restaurer l’ancien Empire carolingien : il fait ainsi déposer Jean XII pour le remplacer par un dignitaire de la Cour pontificale, Léon VIII, en 963. Le nouvel Empire est pourtant bien différent de l’Empire carolingien sur le plan territorial. Il comprend essentiellement le royaume de Germanie, avec les cinq duchés ethniques : Saxe, Franconie, Souabe, Lorraine et Bavière ainsi que la Bohême et le royaume d’Italie. En 1038 s’agrégera à cet ensemble le royaume de Bourgogne, constitué par les pays compris entre la Saône et le Rhône à l’ouest, les confins de la Bavière et de la Souabe au nord-est, la plaine suisse, le Jura, les contrées alpines à l’est et la Méditerranée au sud. L’ancienne Francia occidentalis n’y est pas comprise. De l’ancien Empire carolingien, le nouvel Empire ne compte que les parts de Lothaire Ier et de Louis le Germanique. Son centre de gravité est ainsi fondamentalement établi en Allemagne ; par là s’explique l’appellation de « romain germanique » que les historiens ont appliquée au nouvel empire.


Le « dominium mundi »

Les nouveaux empereurs, qui se disent les continuateurs de l’Empire carolingien, prétendent, comme eux, à l’universalité, c’est-à-dire au gouvernement de tout l’Occident chrétien. L’empereur germanique entend exercer, même de façon théorique, son autorité sur tous les territoires chrétiens de l’Europe occidentale. L’empereur doit apparaître comme le premier des princes occidentaux. À travers l’Empire carolingien, les empereurs ottoniens veulent se relier à l’Empire romain. Otton III (980-1002, roi de Germanie en 983, empereur de 996 à 1002), petit-fils par sa mère de l’empereur byzantin, peut ainsi exprimer le rêve d’un Empire universel où il aurait rassemblé tous les peuples se rattachant à la civilisation chrétienne. Pour réaliser cet idéal, Otton III s’installe d’ailleurs à Rome. Semblable idéal de souveraineté totale sur l’ancien monde romain ne cessera d’animer les grandes conceptions impériales jusqu’à Frédéric II.

La réalisation d’un tel idéal ne correspondait guère à la réalité. Le nouvel empire, fondé sur une assise germano-italienne, permettait de donner selon les circonstances et les préoccupations des souverains la priorité soit à l’Allemagne, soit à l’Italie. L’absence de cohésion pèse vite très lourd sur les destinées du nouvel empire. En face d’une Italie où l’essor économique favorise l’ascension des villes, où les structures sociales laissent une moindre place au monde féodal et seigneurial, l’Allemagne reste un pays d’économie rurale, avec de faibles secteurs urbains jusqu’au xiiie s. Il est vrai que cet assemblage de terres de structures économiques différentes aurait pu facilement se concevoir, en tant qu’ensemble complémentaire, si les empereurs avaient pu mettre sur pied un système gouvernemental et administratif cohérent. En fait, l’institution impériale se concentre en la personne de l’empereur et de sa chancellerie, héritée des chancelleries des royaumes de Germanie et d’Italie. En Germanie, le souverain gouverne comme roi, assisté de quelques officiers et ministériaux, et de la diète, qui réunit tous les seigneurs et hauts prélats ecclésiastiques. Mais le souverain ne dispose pas des ressources financières qui lui permettraient de mener à bien de grands desseins : contrairement au roi de France, il ne peut s’appuyer sur un domaine royal spécifique. Certes, les empereurs saliens Henri IV et Henri V, puis Frédéric Ier Barberousse s’efforcent bien de pallier cet inconvénient en accroissant leurs biens propres soit en Saxe, soit dans le sud-ouest de l’Allemagne. Le véritable pouvoir dont dispose le souverain en Allemagne est d’ordre judiciaire : il lui revient de faire régner 1’ordre et la paix. Les pouvoirs du souverain en Italie et en Bourgogne ne sont pas plus étendus. Le royaume d’Italie a conservé son autonomie au sein de l’Empire, et 1’empereur y exerce son autorité après s’être fait couronner roi à Pavie ou à Monza. En Italie, le souverain se heurte au désir d’autonomie resté très vif parmi la population du royaume. Une action cohérente et suivie de la part des souverains est surtout entravée par le problème de la succession au trône impérial. L’hérédité n’est pas reconnue : les princes allemands élisent le roi de Germanie, généralement au sein d’une famille ducale ; après quoi, 1’élu doit être couronne à Rome par le pape et recevoir à l’occasion les couronnes d’Italie et de Bourgogne. Le rôle des princes allemands et du pape est ainsi fort important à chaque changement de règne.


À la recherche de la domination universelle

De 962 à 1250, les empereurs s’efforcent d’imposer leur autorité en Allemagne et de soumettre l’Italie. Cette tâche finit par épuiser leurs forces et les mène à l’échec. Cependant, leurs entreprises contribuent au rayonnement de l’Empire.

Otton Ier le Grand tente d’abord de consolider les assises du nouvel édifice impérial. En Germanie, il cherche à s’assurer le contrôle des duchés, en plaçant à leur tête, toutes les fois qu’il le peut, un membre de sa famille. Gardant la Saxe pour lui, il donne la Bavière à son frère Henri ; il installe en Lorraine son gendre Conrad le Roux et en Souabe son fils Liudolf. Il réunit à ses domaines propres le duché de Franconie. Contrôlant directement deux duchés sur cinq, il pense étendre son influence sur les autres par l’intermédiaire de ses proches parents, calcul qui va d’ailleurs se révéler partiellement faux. Il favorise d’autre part le clergé et délègue en ce sens aux évêques, dont il fait de véritables seigneurs temporels, l’exercice de certains droits régaliens. Il est dès lors amené, pour tenir en main l’épiscopat, à contrôler très étroitement les élections épiscopales ; l’évêque élu est investi de sa charge par le souverain, qui lui remet la crosse. L’empereur devient dans la tradition carolingienne le chef de l’Église.