Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

saint (suite)

Psychologie des saints

Pendant des siècles, les auteurs de vies de saints se contentèrent de raconter les actions de leurs héros, sans tenter directement de les commenter. Au Moyen Âge, on ne se gênait pas pour raconter crûment des épisodes étonnants, mais, à l’époque de la Renaissance, le ton changea. En réaction contre des abus trop répandus, les protestants attaquèrent le culte des saints et ne se privèrent pas de souligner les défauts de beaucoup de légendes. La Contre-Réforme catholique répondit en épurant le culte des saints et en écartant ce qui dans les récits en circulation paraissait moins heureux. Le résultat aboutit à un type de sainteté assez conventionnel. À l’époque moderne, les progrès des sciences de l’homme modifièrent radicalement les points de vue. Malheureusement, on voulut plutôt détruire les anciens types que connaître les saints dans leur authenticité, et on ne se donna pas toujours la peine de faire les études préparatoires indispensables pour découvrir la véritable personnalité des saints. Quelques succès à scandale, loin de renouveler l’hagiographie, attirèrent une méfiance imméritée sur les recherches nouvelles.

L’admiration irraisonnée des saints veut en faire des personnages irréels, aux actions toujours indiscutables, irrépréhensibles, même en des matières qui ne touchent pas à la pratique des vertus. Plus encore, elle refuse d’admettre que des saints ont pu être troublés comme les autres hommes, et surtout que certains ont pu souffrir dans leur psychologie. Les abus d’interprétation sont en effet possibles, mais c’est une erreur non moins grave de ne pas vouloir admettre que Dieu puisse faire un saint avec un homme quel qu’il soit, malgré des défaillances physiologiques, aussi bien maladies du corps que troubles psychiques. S’il est arrivé que certains mettent sur le compte d’un dérangement cérébral la véritable sainteté, la contribution des sciences de l’homme à l’étude de la sainteté se révèle positive. Les saints apparaissent comme des cas extrêmement intéressants pour les psychologues. De sévères examens apportent à l’étude de la sainteté une confirmation d’autant plus importante qu’elle était inattendue. Des saints canonisés à une époque où les connaissances psychologiques étaient rudimentaires ne sortent nullement diminués. Le déchet n’est pas constitué par les saints eux-mêmes, mais par les récits imaginaires composés sur eux. Le verdict ne s’applique nullement aux saints, mais à leurs biographes.

L’hagiographie

Le mot hagiographie est composé de deux mots grecs qui signifient « sacré » et « écrire ». Étymologiquement, il pourrait donc désigner toute étude du sacré ou toute étude religieuse, et il a été appliqué en fait à l’étude de la Bible. Mais en France on a l’habitude de réserver le terme à l’étude des vies des saints.

Le « phénomène hagiographique » n’est pas propre au christianisme. Avant le Christ, le peuple d’Israël vénérait les grands personnages de l’Ancien Testament ; l’islām et les religions de l’Inde ont leurs héros. On sait que certaines idéologies qui ne se recommandent d’aucune religion ou sont délibérément athées n’oublient pas de rappeler la glorieuse mémoire de leurs membres disparus, et souvent avec des modalités ou en des termes qui rappellent le culte des saints dans le christianisme. Les variantes sont cependant assez importantes pour qu’il ne puisse être question de traiter simultanément ces diverses hagiographies. La présente étude est limitée à l’Église catholique romaine et aux Églises chrétiennes d’Orient.

Critique historique en hagiographie

Toute étude sur les saints revient constamment sur la nécessité de la critique, car la plupart des documents contiennent à la fois des éléments historiques importants et des additions légendaires, et c’est d’une sérieuse discrimination que dépend l’approche de la vérité.

Et pourtant, de nos jours encore, l’emploi de la critique historique en hagiographie est discuté. On va quelquefois jusqu’à voir dans la critique hagiographique une agression contre la foi, on prétend au moins qu’il y a un manque de respect envers les saints. De tels jugements viennent d’une erreur de perspective, qui confond le saint et son biographe, lie étroitement la gloire du saint à ce qu’on a raconté de lui. En fait, si le saint est un vrai saint, on doit admettre que sa sainteté ne dépend pas d’épisodes légendaires ajoutés à son histoire véritable. La foi n’est nullement engagée en ce domaine, la liberté du critique est entière.

Mais pourquoi donc la critique joue-t-elle un tel rôle en hagiographie ? Les anciens écrivains chrétiens étaient-ils tous des faussaires ? Les admirateurs des saints pensaient-ils que seul le mensonge permettait de les glorifier ? Non, mais il importe de ne pas juger les époques anciennes avec la mentalité de la nôtre.

Paradoxalement, les récits de martyres que le goût moderne considère comme les meilleurs n’ont pas été écrits pour l’édification des fidèles, mais pour les besoins de l’administration romaine : les procès-verbaux des greffiers. On possède ainsi les interrogatoires que subit l’évêque de Carthage, saint Cyprien*, en 257 et 258 ; le premier s’acheva par l’exil, le second par une condamnation à mort : l’accent de ces témoignages directs est extrêmement émouvant.

Mais autrefois, on en jugeait différemment : la simplicité de ces actes était considérée comme de la sécheresse, les dévots des martyrs voulaient en savoir davantage, les clercs en profiter pour rappeler à leurs auditeurs les grands dogmes chrétiens et les exciter à la vertu. On ne pensait nullement à mal en ajoutant des discours ou des épisodes. C’est ainsi que les collections d’actes des martyrs contiennent des pièces où de longs passages interpolés s’ajoutent à un fond certainement authentique. Les discours mis dans la bouche des martyrs peuvent apporter un témoignage utile sur la mentalité de ceux qui les ont composés, mais nullement sur celle du saint auquel on les prête.