Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

saint (suite)

Il est cependant certain que le Martyrologe romain contient de très nombreuses erreurs historiques : quelques-unes sont dues à la négligence d’anciens compilateurs, la plupart viennent de l’utilisation de légendes prises pour des histoires authentiques, d’autres sont dues à une mise en œuvre maladroite des documents. L’ensemble est peu satisfaisant et ses défauts sont tellement évidents que la plupart des communautés religieuses en ont abandonné la lecture. La refonte du martyrologe est actuellement à l’étude. Les travaux de critique historique réalisés depuis trois siècles permettront d’éliminer de très nombreuses erreurs et les noms qui ne correspondent à rien. Pour gonfler leurs listes, les anciens compilateurs avaient souvent emprunté des noms à des récits de martyres dont on sait maintenant qu’ils sont de purs romans et qui mettaient en scène des personnages qui n’ont jamais existé. Quelques cas sont encore plus étonnants : les très anciens martyrologes manuscrits, étant fort mal écrits, ont été parfois mal lus ; le diacre Florus de Lyon crut ainsi découvrir deux martyrs, dont les noms, au génitif latin, auraient été Poli et Eutici ; en réalité, il avait coupé en deux le nom du martyr Polieutici, le célèbre Polyeucte, avec l’histoire duquel Corneille composa une tragédie. Il ne semble pas que de tels martyrs imaginaires, même mentionnés au martyrologe, aient jamais été honorés d’un culte en quelque lieu. Par contre, le Martyrologe romain ignore des saints qui méritent d’y figurer et dont le culte a été approuvé par l’autorité du Saint-Siège ; leur nombre est si important qu’il est probable que, dans le nouveau martyrologe, ils compenseront largement les suppressions.

L’histoire des saints est immense, puisqu’elle s’étend sur l’univers entier et pendant une période de deux millénaires. Il ne faut donc pas s’imaginer qu’il est possible de résoudre tous les problèmes qui se posent à leur sujet. Il faut souvent se résigner à ignorer. Beaucoup des très anciens martyrs furent pourvus d’une légende, parce qu’on se souvenait de leur nom, mais pas de leurs actions. On peut écarter leur légende, mais il n’y a aucun moyen de connaître la vérité. D’autres saints sont vénérés depuis une époque très reculée, sans que leur histoire ait été transmise. Et il est rare, bien que cela arrive encore quelquefois en Orient et plus rarement en Occident, qu’on découvre des écrits sincères sur des saints oubliés.

Les martyriums

Dans le christianisme primitif, le culte des martyrs apparaît comme un développement du culte funéraire. La communauté chrétienne, comme la famille, célèbre l’anniversaire de ses morts. C’est l’origine du calendrier des saints, où sont portés, à la date voulue, les noms des martyrs célébrés dans une église déterminée : l’usage est attesté par saint Cyprien, à Carthage, au début du iiie s. Bien entendu, la création d’une célébration liturgique a pour corollaire la construction d’un tombeau plus ou moins monumental. Les cimetières chrétiens sont nécessairement extra-muros en vertu de la législation romaine ; c’est donc en dehors des villes que des processions, puis des pèlerinages vont célébrer les martyrs, que vont s’élever sur leurs tombes des monuments commémoratifs — dans l’esprit des héroon grecs construits à la gloire des héros de chaque cité.

Ces monuments gardent souvent l’aspect de monuments funéraires. C’est dire qu’ils prendront la forme de mausolées, agrandis pour pouvoir accueillir les cérémonies, mais qui resteront volontiers carrés, circulaires, polygonaux ou cruciformes. Primitivement, ils ne sont pas destinés à la célébration de la messe, réservée à l’église épiscopale intra-muros, qui a le plan rectangulaire d’une basilique* à abside orientée.

Les martyriums tendront à se multiplier à partir de la paix de l’Église. Leur construction sera favorisée dans le programme des édifices élevés par l’empereur Constantin après 326, avec une nuance de sens différente. L’empereur semble avoir voulu affirmer le caractère historique des récits du Nouveau Testament : c’est ainsi qu’à Jérusalem l’évêque Macaire a reçu des sommes considérables pour construire un vaste ensemble monumental autour du tombeau du Christ, retrouvé par des fouilles sous un temple païen. La rotonde du Saint-Sépulcre, accompagnée de la cour où se trouvait la colline du Calvaire, d’une vaste basilique, d’un atrium à colonnes, était le principal martyrium du christianisme. Un complexe comparable fut construit autour de la grotte de la Nativité, à Bethléem, comme autour du rocher de l’Ascension, au mont des Oliviers ; c’étaient deux octogones, accompagnés de basiliques, l’une composée avec l’octogone, l’autre distincte. En Palestine, les édifices commémoratifs se multiplient en même temps que les monuments funéraires — le tombeau de la Vierge, par exemple, ou l’église cruciforme du puits de Jacob. Tous veulent porter témoignage : un martyr est un témoin du Christ, un site historique aussi.

À Constantinople, au centre de sa capitale, Constantin prépara son tombeau : ce fut l’église des Saints-Apôtres, où il voulait rassembler les corps des compagnons du Christ, dans des tombeaux qui entoureraient le sien. À Rome, il fit élever une énorme basilique à transept au-dessus d’un « trophée », monument conservant la mémoire de saint Pierre. L’autel fut construit sur cet édifice, au centre d’une croix formée par la nef, le sanctuaire et les deux bras du transept — plan qui combinait donc les dispositifs basilical et cruciforme.

Le prestige de ces monuments en fit des modèles pour les architectes : il y eut en Grèce et en Occident de nombreuses basiliques à transept ; partout on retrouve des rotondes évoquant le Saint-Sépulcre, souvent autour de reliques de la Croix.

Les reliques des martyrs, également, reçurent bientôt un culte, dérivé de celui que recevaient leurs tombeaux. Les martyrs étaient des intercesseurs, et les fidèles aimaient être enterrés « près des saints ». Leurs corps, de plus, étaient souvent réputés avoir la vertu miraculeuse de guérir les malades. De là vint le désir de réunir, dans les églises des villes, des fragments des corps saints. La prière des fidèles passait par les saints pour monter vers le Christ : d’où la présence de reliques sous l’autel. Dans certaines régions, comme la Syrie, une chapelle spéciale était consacrée à ce culte parallèle, et les reliquaires permettaient, par un jeu d’entonnoirs et de robinets, la préparation de la salutaire « huile des martyrs ».