Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Russie (suite)

L’expansion territoriale sous Catherine II jusqu’à la révolte de Pougatchev

Poussée par la France, la Turquie déclare la guerre à la Russie en 1768. Dès 1770, les Russes pénètrent en Valachie, en Moldavie et en Crimée, Pour ne pas élargir le conflit, ils acceptent les conditions de Frédéric II en 1772 : la Prusse obtient la Poméranie et une partie de la Grande-Pologne, l’Autriche la Galicie, et la Russie une partie des terres biélorusses et ukrainiennes. La Turquie ne signe qu’un armistice. En 1773, la pression des pays européens se fait menaçante pour la Russie, tandis qu’à l’intérieur l’insurrection menée par Pougatchev redouble. Catherine envoie Petr Aleksandrovitch Roumiantsev (1725-1796) et Aleksandr Vassilievitch Souvorov (1729-1800), qui écrasent les Turcs. La paix est signée en 1774 à Kutchuk-Kaïnardji. La Russie reçoit Kertch avec la forteresse de Yenikale, Kinbourn (Kinburn) et le droit de passage dans les détroits du Bosphore et des Dardanelles.


La guerre paysanne (1773-74)

Le renforcement du servage est devenu intolérable, et le mécontentement prend une ampleur considérable avec la guerre paysanne de Pougatchev. L’insurrection se déclenche à l’est du pays. Iemelian Ivanovitch Pougatchev (v. 1742-1775) rallie tous les mécontents ; travailleurs des mines, populations autochtones (Tatars, Mordves, Tchouvaches et Bachkirs), paysans fugitifs et Cosaques. D’octobre à décembre 1773, ses troupes envahissent les régions d’Orenbourg, de Perm et de Simbirsk. Toute la Volga bouge ; la Bachkirie ainsi que les steppes kazakhs se soulèvent ; la Sibérie est menacée. Mais les forces de Pougatchev, trop dispersées, sont peu efficaces. Aussi, dès mars 1774, les troupes impériales prennent-elles l’avantage. Pourtant, en août 1774, soixante groupements de partisans agissent de Nijni-Novgorod au Don ; l’ampleur du mouvement n’a jamais atteint un tel degré. Cependant Pougatchev est rejoint et défait près de Tsaritsyne par l’armée de Catherine II et, le 10 janvier 1775, il est décapité à Moscou.

Les troubles se poursuivent après sa mort, et la répression est terrible.


Les conséquences

Catherine II réagit en renforçant l’appareil d’État par la centralisation et la bureaucratisation. En 1775 est mis en service une « Institution pour administrer les provinces de l’empire de toutes les Russies ». Le pays, divisé en cinquante gouvernements, relève d’un procureur général dépendant de l’impératrice. En 1775, la setch des Zaporogues est abolie sous le prétexte de russifier les zones frontalières. L’Ukraine perd totalement son autonomie et est divisée en trois gouvernements. En 1785, enfin, une charte confirme les droits et les privilèges de la noblesse, une autre accorde aux membres (riches) des communautés urbaines un rôle important dans l’administration locale. Ces mesures consolident la monarchie absolue.


La politique extérieure jusqu’à la fin du xviiie siècle

En politique internationale, le rôle de la Russie s’est renforcé. En 1779, l’Empire des tsars se porte garant de la constitution de l’Empire germanique. Un traité signé en 1783 confirme l’occupation de la Crimée par les Russes. La même année, la Géorgie reconnaît le protectorat russe ; les Turcs, mécontents, attaquent en août 1787, mais sont écrasés par Souvorov. C’est le début de la seconde guerre avec la Turquie.

Dans la Baltique, la Russie se trouve aux prises avec la Suède, soutenue par l’Angleterre et la Prusse. En 1790, Gustave III* signe la paix de Varela, sans gain ni perte pour aucune des deux parties. Alors, Catherine II peut employer toutes ses forces contre la Turquie. Les victoires de Souvorov et celles de l’amiral Fedor Fedorovitch Ouchakov (1744-1817) sur les Turcs aboutissent le 29 décembre 1791 (9 janv. 1792, nouveau style) au traité de paix d’Iaşi. La frontière russo-turque suit le Dniestr ; la Russie obtient Otchakov, mais restitue la Moldavie et la Valachie.

Le peuple continue à supporter les conséquences d’une politique répressive et expansionniste. De 1783 à 1797, les soulèvements se font menaçants au Kazakhstan. Une partie de l’intelligentsia russe dénonce les graves problèmes sociaux (N. I. Novikov, A. N. Radichtchev). La Révolution française est mal accueillie par Catherine II, qui réagit activement contre elle.

En 1793 a lieu le deuxième partage de la Pologne. Il provoque le soulèvement du peuple polonais, dirigé par Tadeusz Kościuszko* ; mais la révolte est réprimée en 1794. Le troisième partage met fin à la Rzeczpospolita. La Russie obtient la Courlande, la Lituanie, la Biélorussie occidentale et l’ouest de la Volhynie ; le reste va à l’Autriche et à la Prusse.

La Révolution française agite les esprits et fait entrevoir des possibilités nouvelles ; des revues dénoncent les abus. Malgré de grands progrès, la majorité de la population reste analphabète. En 1786, on compte à l’école primaire 11 000 élèves, dont 858 filles. Catherine fonde en 1764 l’institution Smolnyï pour les jeunes filles nobles. En 1757 a été créée à Saint-Pétersbourg l’Académie des beaux-arts.


La désagrégation du régime féodal

Au début du xixe s., la Russie est en pleine effervescence. Les luttes antiféodales et les guerres de libération transforment la vie politique, économique et sociale du pays ; les ouvriers et les paysans prennent peu à peu conscience de leur force. Freinée dans son développement économique et technique par le servage, la Russie est en retard sur les autres pays d’Europe. L’agriculture, qui occupe 90 p. 100 de la population, reste la base de l’économie. Les paysans maltraités, pas ou mal payés freinent le rendement (de 1801 à 1861, on compte 2 000 émeutes paysannes). L’essor de l’industrie est considérable : en 1804, 1 200 entreprises emploient 225 000 ouvriers, et, au moment de la réforme de 1861, il y aura 2 800 entreprises et 860 000 ouvriers.

La révolution industrielle s’effectue vers 1830-1840 avec l’introduction de la machine à vapeur. Vers 1861, le textile tient la première place dans la production industrielle du pays, mais reste en retard sur le plan technique par rapport à l’Angleterre. La production de fonte est douze fois inférieure à celle de l’Angleterre (sur le plan mondial, la Russie est au huitième rang). Les transports sont insuffisants : la ligne de chemin de fer Saint-Pétersbourg-Moscou n’est inaugurée qu’en 1851 ; en 1861, il y a 1 500 km de voies ferrées contre 15 000 km on Angleterre et 10 000 en Allemagne. La construction des bateaux à vapeur se fait lentement, et les routes sont mauvaises. La faiblesse du commerce extérieur tient en particulier à la politique protectionniste du gouvernement.