Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Russie (suite)

Ivan IV le Terrible (1547-1584)

Le 16 janvier 1547, Ivan IV se fait couronner « tsar » par le métropolite Macaire : il a dix-sept ans. En février, il épouse Anastasia Zakharine Romanov, fille de boyards. Le titre de tsar souligne la prédominance du grand-prince de la Moscovie et affirme la position de l’État russe par rapport aux autres États européens. Ivan, qui sera surnommé « le Terrible », a une très forte personnalité. Il est intelligent, instruit grâce au métropolite Macaire (v. 1482 - v. 1563), mais c’est un despote et un tyran. Ses proches Alekseï Fedorovitch Adachev († 1561) et l’archiprêtre Silvestre essaieront pourtant de le tempérer.

Le 21 juin 1547 éclate à Moscou un incendie qui détruit la ville aux trois quarts. Cet incendie et la famine due aux mauvaises récoltes consécutives à la sécheresse provoquent une des plus importantes mutineries urbaines du siècle. Le mouvement se répercute dans tout le pays : paysans et kholopy (esclaves) détruisent les domaines et tuent les seigneurs. Le gouvernement reprend la situation en main, mais avec difficulté. Des réformes importantes sont entreprises : le tsar s’allie la noblesse récente en la favorisant et tente de minimiser les prétentions des boyards. Il réunit le « Zemski Sobor » (sorte d’états généraux) en février 1549. Le Code de 1497 est remanié, et, en 1550, le nouveau Code est approuvé par le Zemski Sobor à Moscou. Il institue un système juridique et administratif plus centralisé, donne un pouvoir plus étendu aux prikazes, et limite les privilèges des seigneurs et des prélats ; mais il aggrave la situation des paysans en augmentant le prix de leur libération au moment de la Saint-Georges.

En 1556 s’achève avec le « Règlement de service » la formation de l’armée russe. La Douma garde l’aspect de 1497. Le Zemski Sobor devient l’organisme suprême et règle les problèmes intérieurs ou extérieurs les plus importants. Les premières assemblées se composent de la Douma, des hauts fonctionnaires des prikazes, du Concile sacré, de la nouvelle noblesse des villes et des représentants des marchands. De 1555-56 à 1570 se crée et se met en place une administration locale autonome. Le système impopulaire du kormlenie (privilège des gouverneurs vivant aux frais de la population) est remplacé par celui des zemskie starosty, élus et dépendants des goubnyïe starosty. Enfin, une réforme du clergé est entreprise sous l’impulsion du métropolite Macaire. Les conciles de 1547 et de 1549 canonisent trente-neuf saints russes. Le concile de 1551 expose en cent articles (Stoglav) les moyens pour remédier aux défauts et aux désordres de l’Église, et pour renforcer son autorité morale.

La politique extérieure d’Ivan IV est marquée par de grands succès. Les troupes russes provoquent le 2 octobre 1552 la chute du khānat de Kazan, puis en 1556 celle du khānat d’Astrakhan. Les tribus tatares, tchouvaches, mordves, oudmourtes, maris et bachkires se déclarent vassales du tsar. La Volga libre ouvre la porte de l’Orient à la Russie. Ces succès entraînent Ivan IV dans une guerre pour l’accès à la Baltique. Le moment est favorable, car la Livonie est affaiblie par les luttes intestines. Commencé en 1558, le conflit se termine par l’échec de la Livonie en 1561 ; le port de Narva est annexé par les Russes. En 1561, le Royaume polono-lituanien, la Suède et le Danemark, inquiets de l’avance russe sur les côtes baltes, entrent en guerre. Le début des opérations est marqué par des succès russes et la prise de Polotsk (1563), puis commencent une série d’échecs, dus au manque d’entraînement des troupes russes. Ivan IV, obligé de rendre toutes ses conquêtes, accusera les boyards de félonie et attribuera sa défaite à la trahison du prince Andreï Mikhaïlovitch Kourbski (1528-1583). Il entreprend alors la liquidation de l’opposition et crée l’opritchnina (1565), sorte de police à laquelle tout est permis. En fait, cette institution aggravera surtout la situation des paysans, qui auront à supporter ses abus et sa tyrannie.

Ivan IV exige les pleins pouvoirs, crée une garde personnelle de 1 000 hommes, bouleverse l’organisation de sa cour, qu’il divise en opritchnina et en zemchtchina, et procède à un nouveau partage des terres. L’opritchnina dépend directement de lui ; la zemchtchina, à la tête de laquelle se trouve la Douma des boyards, administre les États les plus éloignés. Le tsar utilise à sa guise l’un ou l’autre de ces appareils. L’opritchnina est composée en majorité de représentants de la petite et moyenne noblesse, favorisée aux dépens des boyards de l’ancien régime. Ceux-ci réagissent par les « complots de boyards », dont les plus sanglants, celui de Pskov en 1569 et celui de Novgorod en 1570, obligent le tsar à abolir l’opritchnina en 1572. Le mécontentement était devenu général. Ivan semble reculer mais continue à favoriser la noblesse terrienne.

Sur le plan militaire commence pour lui une série d’échecs. En 1569, la Pologne et la Lituanie fusionnent en royaume de Pologne. En 1571, le khān de Crimée Devlet Giray Ier († 1574), poussé par l’Empire ottoman, brûle Moscou. De 1570 à 1577, la guerre contre la Suède* aboutit à l’occupation par les Russes de la grande partie de la Livonie (Courlande exceptée). En 1579, en 1580 et en 1581, Étienne Ier Báthory, roi de Pologne, entre en guerre contre les Russes ; il enlève Polotsk, Velikie Louki, Velij et Ostrov. Les Suédois en profitent pour prendre Narva en 1581 et occuper tout le littoral. En 1582, la Pologne et la Russie signent un armistice de dix ans. La Russie renonce à ses conquêtes en Livonie. Avec la Suède, elle signe un armistice de trois ans et cède Narva et le littoral du golfe de Finlande. Elle perd ses espoirs d’accéder à la Baltique.

L’opritchnina et la guerre ont épuisé le pays et affaibli considérablement son économie. Les classes pauvres sont accablées par les impôts d’État et les redevances seigneuriales ; c’est la famine. En 1581, la possibilité du changement de propriétaire le jour de la Saint-Georges est enlevée momentanément aux paysans afin de freiner leur fuite massive vers des régions plus riches.