Russell (Bertrand) (suite)
Philosophie des mathématiques et de la logique : le logicisme et son avenir
Sur le plan de l’ontologie, Russell s’est efforcé d’élucider le plus d’expressions possible comme étant des symboles incomplets. Telle est l’idée qui a présidé à sa paraphrase des descriptions et à sa réduction des classes aux fonctions propositionnelles.
En ce qui concerne les paradoxes. Russell a remarqué que l’infini actuel n’en est pas la cause. En théorie des ensembles, il a défini les nombres ordinaux comme des classes d’équivalence d’ensembles bien ordonnés modulo la relation d’isomorphisme ordinal ; il a défini les cardinaux comme des classes d’équivalence modulo la relation d’équinuméricité. À l’époque des Principia, il croyait facile de démontrer l’existence des ensembles infinis. Ensuite, il semble convaincu de la nécessité d’admettre que l’existence d’une infinité d’objets mathématiques relève d’un axiome.
Il s’en est toujours tenu à l’idée que la définition des entiers naturels dans la logique constituait le seul « fondement » valable de l’arithmétique. La doctrine logiciste des fondements, compte tenu des principes (choix, infini) inclus dans la logique des Principia et de la possibilité d’y quantifier sur les fonctions propositionnelles, se ramène à fonder les mathématiques sur la théorie des ensembles. Selon l’expression de Quine, la logique des Principia est en somme « de la théorie des ensembles déguisée ». Or, réduire les mathématiques à la théorie des ensembles est tout à fait possible, et Russell a lui-même, à la suite de Frege, contribué d’une manière décisive à le montrer. C’est un acquis définitif. Seulement, cette réduction n’est pas un fondement : c’est pour cela que le logicisme a disparu en tant que philosophie des mathématiques ; mais les apports techniques du logicisme (le développement du formalisme logico-mathématique) sont devenus le bien commun des logiciens.
Aujourd’hui il est facile de se livrer au petit jeu qui consiste à relever des imperfections ou des inadéquations dans ce qu’a pensé Russell : car, depuis lui, on a fait beaucoup mieux que lui. Vis-à-vis d’un créateur de l’envergure de Russell, la critique se doit de ne jamais tomber dans la mesquinerie.
« Ce pour quoi j’ai vécu »
« Trois passions, simples mais irrésistibles, ont commandé ma vie : le besoin d’aimer, la soif de connaître, le sentiment presque intolérable des souffrances du genre humain. [...]
« J’ai cherché l’amour, d’abord parce qu’il est extase. [...]
« Non moins passionnément j’ai aspiré à la connaissance [...]. J’ai tenté de capter la vertu pythagoricienne qui maintient au-dessus de l’universel devenir le pouvoir des nombres. [...]
« L’amour et le savoir, pour autant qu’ils m’étaient accessibles, m’élevaient au-dessus de la terre. Mais toujours m’y a ramené la pitié. Les cris de douleur se répercutaient au plus profond de moi. Enfants affamés, victimes des oppresseurs et des tortionnaires — tout un monde de douleur, de misère et de solitude bafoue la vie telle qu’elle devrait être. »
(Prologue de l’Autobiographie.)
J. L. et D. C.
➙ Logique.
P. A. Schilpp (sous la dir. de), The Philosophy of Bertrand Russell (Evanston, Illinois, 1944 ; 3e éd., New York, 1963, 2 vol.). / W. V. O. Quine, Set Theory and its Logic (Cambridge, Mass., 1963 ; 2e éd., 1969). / B. Russel, The Autohiography of Bertrand Russell (Londres, 1967-1969, 3 vol. ; trad. fr. Autobiographie, Stock, 1968-1970, 3 vol.). / R. Schoenmann (sous la dir. de), Bertrand Russell Philosopher of the Century (Londres, 1967). / J. Vuillemin, Leçons sur la première philosophie de Russell (A. Colin, 1968). / E. D. Klemke (sous la dir. de), Essays on Bertrand Russell (Urbana, Illinois, 1970). / Bertrand Russel, numéro spécial de la Revue internationale de philosophie (Vrin, 1973). / G. Nakhnikian (sous la dir. de), Bertrand Russell’s Philosophy (Londres, 1974).