Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Roosevelt (Franklin Delano) (suite)

La présidence devient le centre moteur de la société. Le président conduit l’opinion publique, sans jamais perdre contact avec elle ; il la stimule, mais se garde d’aller trop vite. Il informe simplement et honnêtement : les « causeries au coin du feu » donnent pour la première fois dans l’histoire un rôle primordial à la radio ; bien entendu, tout ne peut pas être dit, il faut rassurer au moins autant qu’informer. Avec la presse, Roosevelt a éprouvé plus de difficultés : les deux tiers des journaux en 1936 par exemple lui sont hostiles. Cela ne l’empêche pas de tenir de fréquentes conférences de presse, au cours desquelles il charme, flatte, annonce ou menace. D’ailleurs, F. D. Roosevelt a le sens du « drame » : ce qui compte pour lui, c’est d’occuper par ses paroles et ses déplacements la première page ; il ne s’en prive pas. Contrairement à ses prédécesseurs, il fait appel aux intellectuels et s’entoure d’un « brain-trust » (un trust des cerveaux) : l’économiste Raymond Moley y côtoie Rexford Guy Tugwell, spécialiste des questions agricoles, Adolf A. Berle, Marriner S. Eccles, Benjamin V. Cohen, Harry L. Hopkins, tandis que Samuel I. Rosenman, Robert E. Sherwood et Felix Frankfurter sont plus spécialement chargés d’écrire les discours du président. Désormais, c’est vers Washington que se tournent les yeux des intellectuels américains.

De 1933 à 1945, le pouvoir exécutif ne cesse d’étendre ses compétences. Agences et bureaux sont chargés de mettre en œuvre les mesures législatives qui ont été adoptées par le Congrès ; ils touchent à tous les domaines et leurs sigles, obscurs au premier abord, vont illustrer la période. Ils travaillent en relation étroite avec la Maison-Blanche, qui se peuple d’une multitude d’assistants, accablés au sein du White House Office par les besognes administratives. Aussi, les dépenses fédérales, qui s’élevaient à 20 millions en 1850 et 500 millions en 1900, passent-elles à 9 milliards en 1940 et à 99 milliards en 1945. Toutefois, le Congrès subit un effacement limité : si F. D. Roosevelt est assez populaire pour faire élire dans son sillage des sénateurs et des représentants, il ne parvient pas, notamment en 1938, à empêcher la réélection de ceux qui lui déplaisent. En revanche, c’est de plus en plus de la présidence que partent les projets de lois ; F. D. Roosevelt vient en personne les soutenir devant le Congrès, prodigue ses encouragements aux législateurs hésitants et n’hésite pas à recourir fréquemment au veto lorsque les « bills » du Congrès lui déplaisent.

En un temps où bien des pays européens cherchaient dans les solutions autoritaires le remède à la crise, le président des États-Unis a su adapter la Constitution de 1787 aux besoins de la société des années 30. Il l’avait promis dès mars 1933 : « Notre Constitution, disait-il, est si simple et si pratique qu’il est toujours possible de faire face à des nécessités exceptionnelles par de simples changements d’accent et d’organisation sans rien perdre des formes essentielles. » Dans cette perspective, le gouvernement fédéral propose des objectifs nationaux, mais les États lui sont associés dans le choix des solutions et l’application des mesures décidées. C’est pourquoi F. D. Roosevelt fut le véritable fondateur de la présidence moderne ; ses successeurs ont chacun adopté un style particulier, mais jamais plus la fonction présidentielle n’est retombée dans l’impuissance où elle avait été maintenue entre 1921 et 1933. Les Américains ont accepté la conception rooseveltienne, puisqu’ils ont, très exceptionnellement, réélu trois fois le même homme.

Pour relever l’économie du pays, pour assurer la mobilisation des énergies nationales pendant le conflit mondial, deux principes ont guidé l’action de Roosevelt. Le premier est qu’il faut moderniser le capitalisme américain, et non le détruire : il est aussi faux que stupide d’accuser le président de socialisme. Il n’a nullement souhaité le bouleversement de la société. En second lieu, F. D. Roosevelt est essentiellement un pragmatiste : les doctrines économiques, il n’y croit guère ; il les expérimente : si l’une ne donne pas les résultats escomptés, il recourt à l’autre — ou bien il utilise les deux en même temps. Son administration a été, l’espace de quelques années, le champ de bataille entre les libéraux et les partisans de la planification, entre les défenseurs de l’équilibre budgétaire et les tenants des dépenses fédérales, qui ne peuvent que mettre le budget en position de déficit. Quelques exemples montreront l’ambiguïté de New Deal. En juin 1933, le National Industrial Recovery Act (NIRA) demande, et n’impose pas, aux industriels d’élaborer des codes de concurrence loyale ; au même moment, la Tennessee Valley Authority (TVA) aménage, au nom du gouvernement fédéral, une vaste région et prend à sa charge la production d’énergie hydroélectrique. Cinq ans plus tard, la TVA a perdu son rôle planificateur, et la lutte contre les trusts est engagée. En 1933, les ouvriers obtiennent par l’article 7a du NIRA que leurs salaires et leurs horaires soient réglementés et qu’ils puissent bénéficier des conventions collectives : c’est un expédient politique, plus qu’une mesure préméditée, et les syndicats ne sont pas satisfaits. En 1935, la Cour suprême invalide le NIRA ; immédiatement, le président fait voter le Wagner-Connery Act, qui légalise la présence des syndicats dans les entreprises et accorde aux ouvriers le droit aux conventions collectives. En 1933, le gouvernement fédéral s’emploie à faire remonter les prix ; l’Agricultural Adjustment Act (AAA) [mai 1933] impose une limitation de la production agricole ; en même temps, Washington refuse de se lancer dans une politique dépensière. Les prix ne remontent pas ; les chômeurs sont toujours aussi nombreux. Aussi, à partir de 1934-35, Roosevelt lâche-t-il la bride aux « dépensiers » : à la tête de la Works Progress Administration (WPA), Hopkins reçoit 5 milliards pour venir en aide aux chômeurs (jusqu’en 1941, la WPA dépensera 11 milliards) ; les dépenses fédérales devront « réamorcer la pompe ». C’est la politique du « deficit spending ».