Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Rome (suite)

La fin du xvie s., période intermédiaire entre la Renaissance et le baroque, se signale donc à Rome par un ensemble impressionnant de monuments d’un très haut intérêt, qui assure désormais à la capitale pontificale un prestige et une primauté artistiques incontestables : les meilleurs talents d’Italie viennent s’y employer. Le Toscan Ammannati aurait édifié le Collegio Romano ; nous l’avons vu à la villa Giulia. D’autres palais romains, comme le Palazzo Ruspoli, sur le Corso, et le Palazzo Firenze, lui sont dus. La peinture et la sculpture bénéficient aussi d’un vaste renouvellement, grâce au rassemblement à Rome des artistes les plus originaux venus d’autres régions. Par son réalisme, par ses effets saisissants de clair-obscur, le Caravage* est certainement le plus révolutionnaire ; la villa Borghèse et de nombreuses églises à Rome en portent témoignage. À la même époque, les Carrache* orientent la fresque vers un style plus classique, et leur fameuse galerie du palais Farnèse constitue un répertoire maintes fois consulté par les artistes qui suivront. Des sculpteurs d’origines diverses, Camillo Mariani, Francesco Mochi, Pietro Bernini, Nicolas Cordier (né en Lorraine), élaborent un art du relief qui renonce à la stylisation essoufflée du maniérisme. Les deux chapelles funéraires, Sixtine et Pauline, qui encadrent l’abside de Sainte-Marie-Majeure sont décorées d’une foule de statues et de bas-reliefs, œuvres des meilleurs artistes du temps. Le jeune Gian Lorenzo Bernini s’y est sans doute entraîné sous la conduite de son père.


Le baroque

À cette époque bouillonnante d’activité et d’inventions va succéder au xviie s. l’explosion du baroque*, qui confirmera la suprématie de Rome. C’est là que se définit l’art qui devait, pendant près de deux siècles, régner sur une grande partie de l’Europe et jusqu’en Amérique latine, art fait de dynamisme et de pathétique, parfaitement adapté à la nouvelle sensibilité et qui procède d’une synthèse, d’une fusion des différents moyens d’expression, architecture et arts plastiques tendant ensemble à la même recherche d’effet. Des architectes comme Giacomo Della Porta et Maderno pressentaient déjà ce nouveau dialogue. Carlo Maderno (1556-1629) est un homme du Nord comme beaucoup d’architectes qui trouvent fortune à Rome (il fit venir Borromini). La façade de Sainte-Suzanne (1603) montre son souci d’animer une surface par le jeu des colonnes, des pilastres, des niches et des corniches. Son œuvre, surtout dans le domaine religieux, comprend les intérieurs de Sant’Andrea della Valle, de Santa Maria della Vittoria, la coupole de Saint-Jean-des-Florentins et surtout la façade de Saint-Pierre du Vatican ; on a reproché à celle-ci de nuire à la coupole, mais le grief doit plutôt en être fait au parti d’une nef en longueur et, en soi, cette façade pompeuse, avec son balcon central pour la bénédiction pontificale et ses puissantes colonnes, convient admirablement à la basilique la plus vaste de la chrétienté. Le pontife qui présida à cette entreprise fut un Borghèse, Paul V (1605-1621), suivi par d’autres grands mécènes, Urbain VIII (1623-1644), un Barberini, Innocent X (1644-1655), un Pamphili, et Alexandre VII (1655-1667), un Chigi. Les deux principaux créateurs du baroque furent Gian Lorenzo Bernini (le Bernin*) et Francesco Borromini*, l’un né à Naples, l’autre dans le nord de l’Italie, le second d’abord disciple du premier, puis son rival et ennemi. Le baldaquin de l’autel de Saint-Pierre, commandé en 1624 et mis en place en 1633, sert en quelque sorte de manifeste : œuvre puissante avec ses énormes colonnes torses, digne de la coupole de Michel-Ange en dessus.

Au palais Barberini, Bernin et Borromini poursuivent l’œuvre commencée par Maderno. Les façades avec des fenêtres aux encadrements variés, l’escalier avec ses recherches de perspective témoignent d’une conception nouvelle des grandes demeures patriciennes. Sur la voûte du grand salon, Pierre de Cortone* peint le Triomphe de la papauté et des Barberini entre 1631 et 1639, et là encore c’est une nouvelle conception de la peinture qui éclate : architectures feintes, foules et personnages tourbillonnants, effets de profondeurs et de perspective, la grande fresque baroque est née, que l’on retrouve autour de 1680 aux voûtes du Gesù (par Giovan Battista Gaulli, dit le Baciccia, venu de Gênes, 1639-1709) et de Sant’ Ignazio (par le père Andrea Pozzo, 1642-1709).

Le prodigieux inventeur de formes que fut le Bernin renouvela totalement la sculpture, poussant jusqu’au prodige l’illusion de la vie dans le pathétique et dans l’extase : sculpture funéraire avec les grandioses monuments d’Urbain VIII et d’Alexandre VII à Saint-Pierre, sculpture religieuse avec les dramatiques mises en scène de la Transverbération de sainte Thérèse à Santa Maria della Vittoria, de la Mort de la bienheureuse Ludovica Albertoni à san Francesco a Ripa et de l’Apothéose de la chaire de Saint-Pierre, dans l’abside de la basilique. Sculpture profane aussi, avec les fameux groupes de la villa Borghèse et les fontaines qui contribuent tant au charme surprenant et divers de la Rome baroque : celles des Quatre-Fleuves sur la place Navone, celle du Triton et tant d’autres. Metteur en scène génial, le Bernin ouvre devant la façade de Maderno, au Vatican, la colonnade qui accueille et exalte le fidèle et construit le joyau exquis qu’est la petite église Saint-André-du-Quirinal. Son activité comme son influence furent immenses, et, jusqu’à la seconde moitié du xviiie s., la vie artistique suivra la voie qu’il a tracée.

Borromini, tempérament très différent, inquiet, pessimiste, créa des architectures parfois étranges, toujours passionnantes en raison de ses recherches complexes dans le jeu des plans et des volumes aussi bien que dans l’invention des formes décoratives : Saint-Charles-aux-Quatre-Fontaines, petite église à l’espace ovale gauchi, couvert d’une coupole que le dessin des caissons fait paraître plus haute ; Saint-Yves-de-la-Sapience, avec son curieux plan ternaire et la déroutante spirale de son sommet qui met dans le ciel de Rome une note presque exotique ; l’oratoire des Philippins, avec ses jeux de courbes et de contre-courbes ; la tour de Saint-André-des-Haies (Sant’ Andrea delle Fratte). La place Navone est un des hauts lieux de la Rome baroque ; elle conserve la forme allongée du cirque antique. Pour la border, Girolamo Rainaldi (1570-1655) et son fils Carlo avaient commencé à côté du palais Pamphili, élevé par Girolamo, l’église Sant’Agnese in Agone. Borromini évinça Carlo Rainaldi, modifia ses plans tout en conservant le principe d’une église à plan centré et conçut la remarquable façade qui, en face de la fontaine des Quatre-Fleuves du Bernin, dresse un décor magnifique sur un des grands côtés de la place.