Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Rome (suite)

À tout cela il faut ajouter les arts industriels : la fabrication à Rome même et surtout dans la ville voisine de Préneste (Palestrina) de miroirs et de boîtes de bronze gravé, imités des Étrusques, mais dont les sujets sont souvent originaux (la représentation d’une scène de triomphe sur une ciste offre un intérêt exceptionnel, et la ciste Ficoroni [villa Giulia, Rome], consacrée aux aventures des Argonautes, est une œuvre de grande classe) ; la céramique décorée (plats du type de « genucilla » ornés d’une tête de femme). Le Latium est devenu un foyer de production artistique. R. Bianchi Bandinelli rattache cette production à l’art « médio-italique », qui, tout en subissant l’influence grecque italiote et celle de l’Étrurie, présente cependant une originalité, due à l’austérité de populations mal préparées à accepter les complications et les raffinements nés dans les cours hellénistiques* et accueillis par les centres les plus évolués de la Méditerranée occidentale.


L’art patricien (iie s. av. J.-C.)

À partir du milieu du iie s., une coupure se produit dans la société romaine entre la noblesse, à qui la conquête a procuré d’immenses richesses, le moyen d’acquérir une culture fondée sur l’hellénisme et une morale moins austère, et la masse du peuple romain, dont la situation économique s’est plutôt dégradée et qui demeure attachée aux valeurs traditionnelles ; des conflits s’ensuivent (crise des Gracques ; guerre sociale) ; l’armée, composée de professionnels à partir de la fin du iie s., en deviendra dès lors l’élément déterminant.

La noblesse investit une part importante de ses ressources dans la création artistique ; dès le début du iie s., elle fait appel à des artistes grecs venus soit d’Athènes, qui a favorisé la mainmise de Rome sur l’Hellade, soit d’Asie Mineure (en 133, Attalos III lègue le royaume de Pergame à Rome). Les plus connus sont des sculpteurs qui réalisent pour leurs patrons soit des copies d’œuvres classiques, soit des adaptations. Les plus doués parviennent à combiner ces emprunts à la tradition avec des éléments italiques : l’exemple le plus parfait de cette synthèse est la « base de Domitius Ahenobarbus », qui décorait le temple de Neptune au champ de Mars et qui est aujourd’hui partagée entre le Louvre et la Glyptothèque de Munich ; une partie des reliefs qui la décorent représente le cortège de Neptune, selon une formule fréquente dans l’art hellénistique. Le reste montre une scène de la vie politique de Rome : le recensement des mobilisés, accompagné d’un sacrifice à Mars. La date a été fort discutée ; les dernières recherches tendent à la situer soit vers 110, soit vers 80 av. J.-C. Au iie s., la production de portraits est plus abondante que jamais ; la plupart ont péri, et l’identification de ceux qui subsistent est souvent incertaine : citons une grande statue en bronze du musée des Thermes, où certains ont voulu reconnaître Sulla. La plupart de ces statues décoraient des temples, dont le nombre se multipliait, à Rome d’abord. Le quartier le plus en vogue était alors le champ de Mars, où l’on peut voir encore un ensemble religieux des iiie-iie s. : l’aire du Largo Argentina, identifiée au portique Minucia, et qui contient quatre temples. Les deux sanctuaires antiques les mieux conservés de Rome, le temple rond et le temple ionique rectangulaire situés sur le bord du Tibre, sont de la fin de cette période ; ils présentent deux formules caractéristiques de l’architecture religieuse romaine, la rotonde et le temple « pseudo-périptère », aux colonnes engagées dans le mur de la cella. Un effort pour ordonner l’urbanisme anarchique de Rome commence à se faire sentir. Il aboutira, pendant la dictature de Sulla, à la construction du Tabularium qui domine le Forum.

Mais les réalisations les plus spectaculaires de l’architecture monumentale romaine au iie s. se trouvent dans les villes du Latium. Le sanctuaire de la Fortune à Préneste est un gigantesque complexe — partiellement dégagé depuis la Seconde Guerre mondiale — de terrasses étagées sur la pente abrupte de l’Apennin et dominées par une structure en hémicycle analogue à un théâtre. Après de longues discussions entre partisans d’une datation vers le milieu du iie s. et partisans d’une datation sullanienne, l’épigraphie paraît avoir tranché en faveur des premiers. Dans cet ensemble sont déjà en œuvre les principes et les techniques que les architectes de l’époque impériale allaient appliquer en les perfectionnant pendant cinq siècles : l’emploi d’un matériau nouveau, le blocage de pierres liées au ciment, et la connaissance des lois de la mécanique permettent de remodeler complètement le paysage, en lui imposant un ordre rationnel fondé sur la symétrie ; l’élément fondamental de l’architecture grecque, l’entablement porté par les colonnes, n’est plus utilisé que pour masquer les structures dynamiques.

Tout en utilisant pour ces constructions publiques, qui servaient leur propagande, une large partie des ressources que leur procurait l’exploitation des vaincus, les nobles romains de la fin de la République en réservent une part importante pour se créer un cadre de vie personnelle confortable et raffiné ; les bourgeois des régions italiennes les plus favorisées les imitent. Nous voyons ainsi à Pompéi* et à Herculanum, petites villes de la riche Campanie « fossilisées » par l’éruption du Vésuve en 79 apr. J.-C., la maison italique traditionnelle, constituée à l’origine essentiellement par l’atrium (cour de ferme entourée d’un préau pour certains archéologues, vaste salle commune couverte selon d’autres), devenir de plus en plus semblable aux palais des rois hellénistiques : on ajoute en arrière le péristyle, portique entourant un jardin, on pare les sols de mosaïques (celles de la maison du Faune à Pompéi, qui datent de 80 av. J.-C. environ, sont dignes des plus beaux palais orientaux) et surtout on orne les murs de peintures, qui, après avoir imité des marbres précieux, en viennent, à partir du deuxième quart du ier s. av. J.-C., à évoquer, derrière la paroi supposée transparente, un monde étrange et fantastique (v. Campanie romaine). Ainsi s’exprime le besoin d’évasion d’hommes à qui le monde où ils vivaient offrait certes des possibilités et des satisfactions infinies, mais aussi d’incessants périls ; l’angoisse constante s’exprime dans de nombreux portraits d’hommes de cette époque, inspirés de la tendance « physiognomique » hellénistique : parmi les plus émouvants, ceux de Cicéron et de Pompée, qui, comme beaucoup de leurs contemporains, périrent de mort violente.