Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Rome (suite)

Conquête de l’Orient

Dès avant ces derniers événements, Rome a commencé à intervenir dans les pays grecs. Pourquoi ? On a prétendu, les Anciens les premiers, que ces guerres étaient défensives. On a pu, de même, alléguer un sentiment philhellène qui aurait poussé à intervenir pour défendre la « liberté des Grecs ». Mais le prétexte est classique. La vérité semble résider dans l’impérialisme sénatorial (formulé par Manlius Vulso en 188 av. J.-C.), dans l’habitude prise des guerres victorieuses et du pillage, et dans l’engrenage d’une diplomatie tantôt susceptible, tantôt perfide. Le programme de conquêtes est élaboré a posteriori par des théoriciens. Les succès viennent non par hasard, au profit d’une Rome vivant un « pacifisme fortement saturé de victoires », mais grâce au déséquilibre des forces, qui défavorise les adversaires, et au sentiment de force et de supériorité qui inspire le sénat. La Macédoine est battue à Cynoscéphales en 197 av. J.-C. et à Pydna en 168 av. J.-C., la monarchie séleucide à Magnésie du Sipyle en 189 av. J.-C. Rome n’annexe pas toujours, mais crée des États vassaux. L’annexion suit quelques dizaines d’années plus tard. La Macédoine devient une province en 148 av. J.-C. La Grèce* est occupée, et Corinthe est rasée en 146 av. J.-C., l’année même où Carthage subit le même sort. Le dernier roi de Pergame*, Attalos III, lègue son royaume à Rome, qui l’annexe après y avoir réprimé des troubles sociaux. Au ier s. av. J.-C., les progrès de Rome se poursuivent après les succès très éphémères du tuburlent roi du Pont*, Mithridate VI* : Rome doit reconquérir la Grèce et l’Asie, puis occupe la Syrie* et la Judée (64-63 av. J.-C.) grâce à Sulla* et à Pompée*.


En Occident

La prise de possession de l’Espagne s’achève par de durs combats contre les autochtones, qui culminent au siège de Numance, prise par Scipion Émilien en 133 av. J.-C. L’Italie du Nord est lentement pacifiée, et la conquête d’une partie des vallées alpines est entreprise. Le sud de la Gaule est occupé à partir de 125 av. J.-C., ce qui permet l’établissement de la via Domitia vers l’Espagne. Première colonie lointaine, Narbo Martius (Narbonne*) donnera son nom à la province de Narbonnaise. L’établissement en Gaule* donne à Rome l’occasion de prendre contact avec les premiers flots d’envahisseurs barbares venus du nord, Cimbres et Teutons, qui infligent d’abord de sérieuses défaites aux armées romaines (Orange, 105 av. J.-C.), jusqu’à ce que Marius* rétablisse la situation et les fasse repartir (Aix-en-Provence, 102 av. J.-C. ; Verceil, 101 av. J.-C.). Le même Marius, en battant le turbulent roi numide Jugurtha (105 av. J.-C.), étend la zone d’influence romaine en Afrique.


Conséquences des conquêtes

Les profits de la conquête sont immenses. Le Romain n’éprouve plus le besoin de porter les armes : il préfère jouir des succès acquis. Dès 150 av. J.-C., on observe une nette désaffection à l’égard du service militaire. Marius entreprend une réforme de l’armée en récupérant les prolétaires, jusque-là dispensés, puisqu’ils n’avaient rien à défendre, à présent concernés, puisqu’ils sont intéressés au butin. Peu à peu, l’armée de métier va se constituer, à la place de l’armée de citoyens. Elle sera de règle sous l’Empire. Dans le même temps, l’armement tire parti de l’expérience des adversaires ; l’armée adopte le glaive espagnol, le bouclier ligure, l’artillerie des Grecs, comme elle reçoit l’appui de troupes auxiliaires étrangères : archers crétois, frondeurs baléares et cavaliers numides.

Les guerres ont été qualifiées de guerres coloniales. Sur certains peuples, ce sont des « victoires de la civilisation », c’est-à-dire de la culture matérielle la plus évoluée. Elles ont été menées avec la sauvagerie primitive, qui subsiste et à laquelle s’ajoute le mépris à l’égard du Barbare. Lors de la reddition d’une ville, le massacre des combattants et la mise en esclavage des populations restent une chose normale. On emporte ce qui a de la valeur et on anéantit le reste. Les indemnités de guerre et le butin permettent à l’État romain de prospérer, surtout entre 200 et 150 av. J.-C. Les objets d’art raflés en Grèce s’entassent. En 158 av. J.-C., on décide de débarrasser le Forum des statues qui l’encombrent. Les dieux ont, occasionnellement, leur part du butin, les soldats aussi et les chefs plus sûrement et de plus en plus. Quinctius Flamininus, venu en Grèce en « libérateur », ne se gêne pas pour dépouiller les villes ; Caecilius Metellus orne ses constructions des statues prises au royaume de Macédoine. Au triomphe de Paul Émile, on voit défiler 250 chariots remplis de statues et de tableaux. Le triomphe, ce vieux cérémonial romain dans lequel le général victorieux monte en cortège du champ de Mars au Capitole, pourvu des attributs royaux, la toge brodée d’or, le visage barbouillé de rouge, est l’occasion de déployer les résultats de la campagne : chars regorgeant de butin, prisonniers, chefs vaincus chargés de chaînes (et exécutés après la cérémonie). N’a droit au triomphe que celui qui a tué au moins 5 000 ennemis.

Les prisonniers deviennent ordinairement esclaves, et l’esclavage* est à la fois la conséquence normale de la guerre et une institution indiscutée de l’Antiquité. Les victoires romaines peuplent Rome d’esclaves. Beaucoup sont grecs ou asiatiques. Ils introduisent leur culture avec eux. Certains sont des lettrés ou des artistes, dont la compétence est utilisée. Mais le « bon esclave », qui a rendu des services, qui a accumulé un pécule pour se racheter, peut être affranchi. Les affranchis se multiplient aux dépens des effectifs serviles, par eux-mêmes peu prolifiques. Or, une société esclavagiste a besoin de ces bras, qui sont sa source d’énergie essentielle. La guerre devient nécessaire au réapprovisionnement.

Une seule chose n’est pas ramenée dans les fourgons du vainqueur : la terre. Il faut aller l’occuper là où elle est. Et c’est l’un des éléments d’une émigration de l’Italie vers les autres contrées de l’Occident romain. La création de colonies se poursuit — inégalement selon les époques — et n’arrive pas à résoudre un problème agraire spécifiquement romain. Seuls les gros propriétaires ont surmonté les difficultés de la période des guerres ; ils étendent leurs domaines aux dépens des petits propriétaires, qui, évincés, grossissent les rangs des citadins, tout en plaçant leurs espérances dans la générosité de l’État.