Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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romantisme (suite)

Le romantisme français

Deux tendances caractérisent le romantisme français, et deux noms l’incarnent au regard de l’histoire.

La personnalité de Berlioz*, dont le nom est inséparable de ceux de V. Hugo et de E. Delacroix, fait de ce compositeur le représentant le plus authentique du romantisme français. Son ardeur juvénile, ses élans enthousiastes, ses amours passionnées et toujours malheureuses sont présents dans une œuvre tumultueuse, où semblent s’inscrire les étapes successives d’une immense autobiographie. Épris des masses sonores imposantes (dont les fêtes populaires de la Révolution lui avaient peut-être légué le goût) et d’un tempérament dramatique exemplaire, Berlioz a voulu faire de ses œuvres symphoniques des évocations colorées de scènes vigoureuses, fantastiques ou sentimentales, dont il établissait lui-même le « programme », à l’instar de son maître Le Sueur*. Jamais, sans doute, l’affirmation du moi n’a été aussi loin chez les artistes romantiques, et l’art tout extérieur, théâtral et grandiloquent d’un Giacomo Meyerbeer (1791-1864) paraît bien pâle auprès de celui de Berlioz.

César Franck* incarne avec humilité l’autre aspect du romantisme musical français : reflet d’une mystique orientée vers la vie intérieure et tendue vers Dieu ; son œuvre, au cours de ses modulations incessantes, est toujours, dira Jacques Rivière, « comme une main qui s’ouvre lentement, comme l’insensible introduction à plus de lumière, comme une clarté filtrant à travers plus d’espace ». C’est dans une voie identique que s’engageront ses élèves : Ernest Chausson (1855-1899), Duparc* et Vincent d’Indy*.


Le romantisme dans les autres pays

Le seul grand nom du romantisme musical italien est celui de Verdi* ; son lyrisme abondant et son génie de l’effet dramatique font de lui, dans le domaine de l’opéra, l’égal de ce que fut Victor Hugo dans le domaine de la poésie. Ses deux dernières œuvres, Othello (1887) et Falstaff (1893), semblent résumer les deux pôles de son art, qui s’ouvre en son ultime manifestation à la féerie, dans l’esprit du scherzo.

Le romantisme musical a eu d’ailleurs dans tous les autres pays un retentissement immense, peut-être en raison de ses caractères extra-musicaux plutôt que pour la valeur proprement artistique de ses maîtres. Sa vogue s’est prolongée pendant tout le xixe s. ; les musiciens russes (le groupe des Cinq*), tchèques (Dvořák*, Smetana*), scandinaves (Grieg*) et finlandais (Sibelius*) lui doivent beaucoup.


Prolongements du romantisme

L’influence de Wagner se fait encore sentir en Autriche dans les œuvres d’Anton Bruckner*, de Hugo Wolf* et de Mahler*, tandis qu’en Allemagne le romantisme jette ses feux ultimes avec Hans Pfitzner (1859-1949) et Richard Strauss*, créateur du style de la « conversation musicale ».

Malgré l’influence persistante du wagnérisme, certains musiciens commencent, dès la fin du xixe s. et au début du xxe, à se détourner des conceptions romantiques : les véristes italiens (P. Mascagni, R. Leoncavallo, G. Puccini*), les naturalistes français (A. Bruneau, G. Charpentier), l’impressionniste Debussy*. En d’autres pays s’affirme un néo-classicisme (Bartók*, Schönberg*, Hindemith*, Stravinski*) en réaction contre les tendances pittoresques et extramusicales héritées du romantisme.


Le matériau sonore

L’originalité du romantisme musical a été favorisée par un certain nombre d’apports nouveaux, dont les compositeurs se sont emparés aussitôt. La disparition de la basse continue et sa répartition entre les groupes d’instruments de l’orchestre, dont Haydn* a été l’un des premiers artisans, ont mis en valeur la notion de « timbre » et l’emploi expressif qu’on en peut faire ; en faisant « chanter » ses allégros (symphonie en sol mineur par exemple), Mozart* introduisait la notion de lyrisme dans un mouvement voué jusqu’alors à la virtuosité. Les compositeurs romantiques trouvaient donc dans le legs des derniers classiques deux des principaux éléments nécessaires à la réalisation de leurs desseins. Le perfectionnement de la facture des instruments, l’apparition de plusieurs autres instruments, entraînant le développement de la technique d’exécution et d’orchestration, modifiant aussi dans une certaine mesure la syntaxe (cf. le clair-obscur de nombreuses harmonies de Schumann), ont grandement contribué à l’évolution d’un genre dont Wagner et Berlioz marquent l’apogée. Il semble bien que le Grand Traité d’instrumentation et d’orchestration modernes (1843) de ce dernier témoigne d’un art et d’une science des timbres dont le pittoresque et l’expressivité n’ont jamais été dépassés. Il en est de même s’il s’agit de la technique du piano sous les doigts d’un Chopin ou d’un Liszt. À ce titre, l’évolution du matériau sonore a grandement servi l’épanouissement du romantisme.


Visages du romantisme

À l’ombre des données fondamentales du romantisme, deux grands courants se manifestent. D’une part, le romantisme allemand fait appel à l’intuition sensible pour pénétrer le sens cosmique des grands symboles vitaux ; pour résoudre la dualité qui existe entre la petitesse de l’homme et son rêve infini, le retour intuitif à l’unité primordiale de toute chose lui semble nécessaire. Le romantisme allemand vise donc à la profondeur, à la recherche de l’essence des choses et de l’absolu ; dès lors, la mort, pour lui, devient l’étape nécessaire qui prépare l’accession à une vie plus haute et transfigurée (cf. la mort d’Isolde de R. Wagner).

D’autre part, le romantisme français (notamment celui de Berlioz et des « Jeune-France ») s’orient vers une vision externe du monde, car c’est au sein de l’univers tout entier que ses représentants s’efforcent, en s’y projetant eux-mêmes, d’en atteindre l’essence et peut-être, en bons panthéistes, d’y trouver Dieu. Ils tentent, en outre, d’abolir l’antagonisme qui oppose l’homme réel à l’homme idéal par un élargissement de l’être aux frontières de l’infini, mais sans les transgresser, car la mort leur apparaît comme une inconnue, un objet de terreur qui met un terme au sens exalté qu’ils ont de la vie. De cette attitude, le lyrisme intense et l’expression paroxystique sont la juste rançon ; il faudra l’âme mystique d’un César Franck et de ses disciples pour ramener le romantisme français vers une vie intérieure plus riche et plus proche du romantisme allemand, qui l’a, sans doute, largement influencé.

G. F.