Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
R

romantisme (suite)

Comment expliquer cette fascination de l’ère révolutionnaire sur les créateurs du temps sinon par ce besoin obscur de réhabiliter l’homme dans sa complexité, avec ses forces, mais aussi ses faiblesses ? Après le schématisme métaphysique du héros classique et l’âge du héros raisonnant, constructions abstraites, entités plus que réalités, il semblait que l’homme venait de trouver sa seconde vie — la vraie aux yeux des romantiques — dans le déferlement et le chaos, beaucoup plus constructifs que destructifs malgré les apparences, de la charnière des deux siècles : de Goethe à Hegel, de Lamartine à Hugo, de Manzoni à Pouchkine, tous porteront vers la France le même regard d’adoration que le poète anglais Wordsworth :
France standing on the top of golden hours,
And human nature seeming horn again.
(France dressée au fronton des heures dorées d’où la nature humaine semble renaître.)


En France : un mouvement organisé

L’histoire du romantisme français recouvre pratiquement tout le demi-siècle compris entre l’Empire et la révolution de 1848. On fixe traditionnellement le début du mouvement à la publication des Méditations poétiques de Lamartine*, en 1820, et l’on arrête sa chronologie à l’échec des Burgraves, en 1843 : un tel schématisme rend beaucoup plus compte de la sociologie romantique que de l’essence même d’un mouvement dont il convient de cerner l’existence plus dans sa laborieuse maturation et ses survivances géniales que dans le foisonnement flamboyant du succès apparent.

Durant les premières années du siècle, les effets de la Révolution se font sentir sur les esprits : depuis son exil suisse de Coppet, Mme de Staël* exige une littérature libérée des contraintes du classicisme, dont l’effet est d’« étouffer de nobles sentiments, de tarir la source des pensées », tandis que Chateaubriand* jette dans le Génie du christianisme les premiers thèmes spirituels du romantisme.

Mais, en même temps qu’ils réclament l’ouverture de la littérature, les écrivains élargissent l’horizon littéraire en se tournant vers leurs collègues étrangers. C’est ainsi qu’en 1813 sont publiés les premiers ouvrages qui attaquent de front la citadelle classique, en particulier trois essais issus du château de Coppet, qui affirment que « d’autres grands hommes ont existé dans d’autres langues » (Sismondi), que, si « l’art et la poésie antiques n’admettent jamais le mélange des genres hétérogènes, l’art romantique, au contraire, se plaît dans un rapprochement continuel des choses les plus opposées » (Schlegel), et même que « la littérature romantique est la seule qui soit susceptible encore d’être perfectionnée, parce qu’ayant ses racines dans notre propre sol » (Mme de Staël).

Dès lors, les écrivains étrangers pénètrent, malgré l’opposition des « bons esprits » : le théâtre découvre Schiller*, Goethe* et Shakespeare ; la poésie s’oriente sous l’influence de Byron* vers le fantastique macabre et grâce aux Nuits de Young dans la voie de l’élégie ; enfin, les Waverley Novels de Walter Scott* développent le goût du merveilleux moyenâgeux.

Un climat nouveau se crée ainsi, correspondant à un « état d’âme collectif », pour lequel la publication des Méditations poétiques en mars 1820 sera le premier grand triomphe.

Des Méditations à Hernani (1830), des noms nouveaux apparaissent (Balzac*, Stendhal*, Nerval*), les œuvres se multiplient, les manifestes surtout, qui, peu à peu, forment un corps de doctrine de la nouvelle génération. Toutefois, avant que l’école romantique s’impose, il aura fallu mettre de l’ordre dans la « boutique romantique ». En effet, face aux classiques, groupés autour de l’Académie et de son secrétaire perpétuel (Louis Simon Auger), les romantiques n’offrent que des bandes isolées que divise la politique : les uns, réunis au Conservateur littéraire, affichent des idées « bien-pensantes » (Hugo, Vigny*, Émile Deschamps) ; les autres, habitués du salon d’Étienne Delécluze, professent des idées libérales. C’est d’ailleurs l’un de ceux-ci qui lancera le premier véritable assaut contre la citadelle classique en opposant sa conception du théâtre à celle de Racine : « Le combat à mort est entre le système tragique de Racine et celui de Shakespeare » (Racine et Shakespeare, I).

Ainsi, malgré des convictions littéraires semblables, l’opposition politique gêne le développement du romantisme en maintenant l’équivoque, d’autant que les deux groupes semblent s’ignorer plus que jamais en créant chacun son propre journal : la Muse française, d’inspiration conservatrice ; le Globe, d’esprit libéral et dont les mots d’ordre sont « liberté et respect du goût national ».

Cette situation trouble durera jusqu’au jour où, devant les attaques répétées de la droite classique, les romantiques-conservateurs s’associent aux thèses du Globe et réclament en 1825 la révolution littéraire.

Dans son salon de la rue Notre-Dame-des-Champs, Hugo fait rapidement figure de chef d’école : et comme le fief du classicisme est le théâtre, c’est sur ce terrain que les romantiques placent d’emblée la lutte. D’où une suite de manifestes signés Hugo, Deschamps, Sainte-Beuve* ou Vigny, qui, en l’espace de trois années (1827-1829), s’attachent à fixer les nouvelles aspirations littéraires des romantiques, en définissant à travers le drame un théâtre total : « Le théâtre est un point d’optique. Tout ce qui existe dans le monde, dans l’histoire, dans la vie, dans l’homme, tout doit et peut s’y réfléchir, mais sous la baguette magique de l’art. »

Mais, de la doctrine aux œuvres, il reste un pas que tous vont s’efforcer de franchir dans les plus brefs délais : chacun y va de son roman historique, de son recueil poétique ou de son drame. Cependant, malgré les succès, il n’existe pas encore de fait analogue au triomphe du Cid.

Le 25 février 1830, enfin, bravant la censure, la réserve des comédiens et la cabale des classiques, Hugo fait applaudir Hernani. « La brèche est ouverte, nous passerons », prétendait-il peu de temps auparavant. Et, de fait, les romantiques « passèrent » : il ne leur restait plus qu’à accomplir les immenses promesses dont ils étaient porteurs.