Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Robbe-Grillet (Alain) (suite)

Proust, Joyce, Faulkner n’allaient pas aussi loin dans l’ambiguïté. Grâce (notamment) au monologue intérieur, ils rendaient encore transparent au lecteur (ils « expliquaient ») l’écart entre le sens fictif et le sens réel. Robbe-Grillet systématise la dualité de signification. Sans précaution, sans transition, les fourches ou les entrecroisements de sens (et de formes) sont proposés au lecteur.

À cette systématique des possibles narratifs tient l’originalité de Robbe-Grillet comme auteur de films (l’Immortelle, 1962 ; Trans-Europ-Express, 1966 ; l’Homme qui ment, 1967 ; l’Eden et après, 1970 ; Glissements progressifs du plaisir, 1973 ; le Jeu avec le feu, 1974). Il est le premier cinéaste à avoir conçu une esthétique de l’image à partir d’une esthétique romanesque. La raison en est que ses romans avaient pris à la lettre les techniques des plans, des séquences, du montage. Dans l’Homme qui ment en particulier, Robbe-Grillet met en images son esthétique et sa sémantique du « possible » et du « double ». Le film entrelace le fil du mensonge (« l’homme voulant faire croire qu’il est un héros ») et le fil de la réalité (l’aventure d’un lâche).

C’est dire que l’œuvre de Robbe-Grillet s’incrit dans un paradoxe de la fiction dont la nécessité remonte à Flaubert : seuls des artifices peuvent traduire l’authenticité et la vérité, puisque nous sommes empêchés de percevoir la réalité concrète des choses par des conventions sociales qui les gomment et par des arts académiques qui les recouvrent d’un masque mensongèrement harmonieux.

M. Z.

 B. Morrissette, les Romans de Robbe-Grillet (Éd. de Minuit, 1963). / O. Bernal, Alain Robbe-Grillet, le roman de l’absence (Gallimard, 1964). / J. Miesch, Robbe-Grillet (Éd. universitaires, 1965). / J. Dhaenens, « la Maison de rendez-vous » d’Alain Robbe-Grillet. Pour une philologie sociologique (Minard, 1970). / A. Gardies, Alain Robbe-Grillet (Seghers, 1972). / J. Leenhardt, Lecture politique du roman, « la Jalousie » d’Alain Robbe-Grillet (Éd. de Minuit, 1972). / M. Estève (sous la dir. de), Alain Resnais et Alain Robbe-Grillet. Évolution d’une écriture (Lettres modernes, 1974).

Robert le Sage

(1278 - Naples 1343), roi de Naples (1309-1343).



L’apprentissage du pouvoir (1278-1309)

Robert le Sage est le troisième fils du roi de Naples Charles II d’Anjou et de la reine Marie de Hongrie. En octobre 1288, il est remis en otage au roi d’Aragon, Alphonse III, pour prix de la liberté de son père. Libéré lors du rétablissement de la paix entre ce dernier et Jacques II d’Aragon en 1295, nommé duc de Calabre et vicaire général du royaume de Sicile en 1296, il est reconnu héritier du royaume et des autres domaines angevins par le pape Boniface VIII au détriment de son neveu Charles Ier Robert le 24 février 1297. Il est investi par son père de la responsabilité des affaires italiennes. Prince de Salerne en 1304, capitaine général de la ligue guelfe de Toscane, chargée de combattre les Blancs et les gibelins, il facilite par sa présence l’élection au trône pontifical, à Pérouse le 5 juin 1305, de l’archevêque de Bordeaux Bertrand de Got (Clément V), qu’il rencontre à Lyon peu avant que ses troupes ne s’emparent de Pistoia en avril 1306. Enfin, en 1307, il est chargé de séquestrer et d’administrer les biens des Templiers en Italie.


Le champion du guelfisme en Italie (1309-1324)

Il devient roi de Naples à la mort de son père (5 mai 1309). Né dans la péninsule, il n’est plus, comme ses prédécesseurs, un souverain d’importation, mais un prince italien en qui s’incarne une « monarchie nationaliste, dynastique et féodale » qui s’assigne pour missions la réalisation d’un ordre et l’administration d’une justice « définis par le droit romain » ainsi que le soutien de « l’Église dans la péninsule et dans le monde ».

Fortement influencé sans doute par la personnalité de son frère l’évêque franciscain Louis de Toulouse, canonisé en 1317, le roi de Naples manifeste un profond attachement à la pauvreté évangélique, ce qui l’incite à défendre les spirituels, même après leur condamnation par le Saint-Siège.

Ce défenseur de l’ordre guelfe quitte la Provence pour l’Italie en juin 1310, à l’annonce de l’arrivée de l’empereur Henri VII dans la péninsule. Maître d’Asti le 28 juillet, d’Alexandrie le 12 août, nommé « recteur en Romagne » par le pape le 19, acclamé à Florence par les Toscans le 30 septembre, il songe d’abord à unir son fils le duc de Calabre, Charles, avec la fille du roi des Romains, Béatrice, qui apporterait en dot à son mari le royaume d’Arles. Mais Henri VII ayant contraint Asti à rompre son alliance avec le souverain angevin, celui-ci emprunte 24 200 onces d’or auprès des banquiers toscans afin de soutenir une politique nouvelle de neutralité armée. Il laisse d’abord à son frère Jean de Gravina la charge de s’opposer par les armes au couronnement impérial d’Henri VII, qui ne peut avoir lieu que le 29 juin 1312 ; il est mis de ce fait au ban de l’Empire le 4 juillet et incite les Florentins à refuser à la fois à l’empereur, à l’abri de leurs remparts, et le combat et la soumission (19 sept. - 29 oct. 1312). Il est élu seigneur par Parme le 19 mars 1313, puis par Crémone, Brescia, Bergame et Lodi avant la fin du mois, enfin par Florence le 23 avril et bientôt après par Lucques, Prato, Pistoia et les petites communes toscanes. Il apparaît dès lors comme le chef de toutes les forces anti-impériales d’Italie. Déjà condamné comme ennemi public de l’Empire le 12 février, privé de ses domaines et dignités le 26 avril, menacé d’être décapité, enfin pris à revers par Frédéric II de Sicile (1296-1337), qui franchit le détroit de Messine le 1er août et occupe Reggio de Calabre peu avant qu’Henri VII ne quitte Pise le 5, il est sauvé par la mort de ce dernier le 24. Robert de Naples incarne désormais l’esprit italien avec l’appui du pape, qui a « excommunié le 12 juin précédent quiconque l’attaquerait ». Il proclame alors la déchéance de l’idée impériale. Sénateur de Rome à l’automne de 1313, nommé par le pape Clément V vicaire impérial en Italie le 15 mars 1314, il tente, mais en vain, de reconquérir la Sicile, où il débarque le 28 juillet 1314. Il ne peut empêcher les guelfes toscans d’être vaincus et son frère Pierre, comte d’Eboli, d’être tué à Montecatini par les forces du capitaine de Pise Uguccione della Faggiuola (v. 1250-1319) le 29 août 1315.