Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
R

Roanne (suite)

L’activité actuelle de la ville reste fondée sur le textile, qu’une importante évolution a réorienté vers la bonneterie et la maille (deuxième centre français dans cette branche après Troyes), avec des créations de mode et des productions de luxe (Desarbre). Les textiles bouclés y tiennent aussi une place prépondérante (avec l’éponge Boussac-Jalla). Sous l’influence du groupe Rhône-Poulenc, les textiles artificiels (fibranne) occupent depuis longtemps une large place, renforcée actuellement par une grosse unité de textile non tissé. Sur l’activité textile classique se greffent l’impression, la teinture, l’apprêt et, bien sûr, les cotonnades. Mais la ville, mesurant les risques de la mono-industrie et influencée par Saint-Étienne, s’oriente également vers l’industrie mécanique et l’industrie métallurgique, industries ici très différenciées et qui relèvent à point une papeterie défaillante. Il est vrai qu’une tradition existait déjà avec les Ateliers de construction de Roanne (arsenaux militaires travaillant avec la manufacture des armes et cycles de Saint-Étienne), qui occupent 3 000 personnes (43 p. 100 des salariés de la mécanique roannaise) à la fabrication de blindés (« AMX 30 »). À la croisée de ces deux dominantes, mécanique et textile, on trouve les A. R. C. T. (Ateliers roannais de constructions textiles), spécialisés dans les métiers et les machines textiles. D’innombrables petites usines et ateliers constituent une solide structure de sous-traitance à la mécanique (Roanne est le deuxième producteur mondial de lames de scies à métaux). La palette des activités industrielles est d’ailleurs en cours de diversification, puisque aux tanneries et aux industries alimentaires s’ajoute le travail du caoutchouc à l’échelle industrielle (usine Michelin en cours de réalisation).

La ville a entrepris facilement une restructuration urbaine, le site étant très ouvert, mais le passage de la R. N. 7 a dû être redessiné, permettant du même coup la construction de plusieurs programmes de H. L. M. et l’équipement de deux zones industrielles à la périphérie (Arsenal [34 ha] et Aiguilly [14 ha]), qui s’ajoutent à celles du Coteau et de Riorges.

Le secteur tertiaire propre à la ville reste modeste, à cause de la proximité de Lyon et de Saint-Étienne, mais une solide activité bancaire locale, appuyée sur les industries textiles et mécaniques ainsi que sur les bénéfices des embouches charolaises toutes proches, va contribuer à réaliser le projet d’une certaine autonomie dans ce domaine. Dans cette perspective, Roanne s’est déjà dotée d’une liaison aérienne d’affaires avec Paris.

R. D.-C.

➙ Loire (départ.).

Robbe-Grillet (Alain)

Écrivain et cinéaste français (Brest 1922).


Le nom d’Alain Robbe-Grillet est justement associé à l’expression nouveau roman. Robbe-Grillet est l’écrivain français de l’après-guerre qui a introduit dans l’art de la fiction les nouveautés les plus radicales, dont il s’est montré le défenseur et le théoricien le plus clair et le plus rigoureux. Il est aussi le seul romancier à avoir vraiment fait école. Les adversaires du « nouveau roman » ont, d’ailleurs, concentré leurs critiques sur sa personne et sur son œuvre.


Les possibles narratifs

Dans le bref texte par lequel il présente les Gommes en 1953, Robbe-Grillet indique que son livre est « le récit des vingt-quatre heures qui s’écoulent entre un coup de pistolet et une mon — le temps mis par la balle pour parcourir trois ou quatre mètres « en trop ». L’écrivain fait une boucle avec le fil du récit policier ou d’espionnage traditionnel, mais, à l’intérieur de cette boucle, il exploite les diverses possibilités de ces conventions narratives. Il joue en effet sur les notions d’intrigues et d’énigme. Au début du roman, l’assassin manque la victime, qui sera tuée, en fin de narration, par le policier. Pourtant, les Gommes ne sont nullement une œuvre gratuite. Robbe-Grillet, à son tour et à sa manière, narre le mythe d’Œdipe : le mythe de la fatalité, de l’« erreur sur la personne ». Mais, surtout, l’authenticité du récit tient à ce que, en racontant (du moins en apparence) et en brouillant les fils de l’intrigue policière classique, Robbe-Grillet nous fait apparaître le réel avec une précision fascinante. Du fait que le fil du discours narratif n’est pas suivi, la substance de la narration prend une vérité, une « concrétude » extrême. On a dit avec raison que Robbe-Grillet fait parler le cinéma muet ; les gens, les choses, les lieux, les instants sont manifestés au lecteur comme les éléments d’un tableau sont révélés les uns après les autres par une lumière ponctuelle promenée sur sa surface. Dans les Gommes sont presque systématiquement gommées les articulations cohérentes du roman (l’« histoire »), mais, par ce gommage, l’écrivain fait ressortir la réalité du romanesque : un travail de l’imagination sur une réalité qui est toujours historique, puisque le réel n’est rien d’autre que nos actions et nos perceptions successives en un temps donné. Mais il y a dans les Gommes divers « temps donnés », juxtaposés au lieu d’être enchaînés.

Peu de villes, dans la littérature, sont aussi vraies que la cité portuaire du Nord où l’écrivain situa les Gommes, avec ses canaux, ses eaux mortes, son boulevard circulaire, ses centaines d’ouvriers à bicyclette. Le réel est déterminé en raison même de l’indétermination du récit qui l’évoque. On touche ici à un aspect essentiel de l’originalité de Robbe-Grillet. En écrivant une narration sans cesse possible (d’aspect incohérent et où les personnages permutent leurs rôles), Robbe-Grillet donne au lecteur la réalité dans son aspect le plus malaisé à saisir : ses formes et ses limites.


L’anti-métaphore

La thèse de Robbe-Grillet, le fondement de sa théorie d’un romanesque nouveau, est que la littérature de fiction a recouvert le réel d’une considérable épaisseur de métaphores : d’images, d’impressions, de sensations. Même si les exemples donnés par Robbe-Grillet sont souvent contestables (ni Balzac, ni Flaubert n’ont parlé de village « blotti » ou « perché »), on doit reconnaître qu’il a cerné le plus important des problèmes posés par le travail littéraire dans le monde contemporain : le rôle et surtout la valeur du Sujet en tant que maître et possesseur des objets qu’il perçoit et évoque. L’impressionnisme, le subjectivisme littéraire, déclare Robbe-Grillet, nous ont fait oublier que la première et la dernière réalité des choses consiste en ce qu’elles sont inéluctablement , présentes, immuables. En conséquence, on ruse vainement avec cette réalité lorsqu’on cherche à l’intégrer dans une imagerie mentale ou lorsqu’on veut lui faire concerner nos intentions, nos projets, au sens sartrien du terme.