Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Rijeka (suite)

La prospérité de Rijeka est interrompue de 1809 à 1813 par l’occupation française. En 1822, le port fait retour à la Hongrie. En 1848, lors du soulèvement de la Croatie contre les Hongrois, les Croates occupent Rijeka. La population n’acceptera jamais cet état de fait et ne cessera de protester et de réclamer le rétablissement de l’union directe à la couronne de saint Étienne pour faire respecter sa langue et ses anciennes institutions. En 1861, la ville refuse d’envoyer des députés à la Diète de Croatie.

Après Sadowa (1866), l’Empire habsbourgeois remanie sa politique intérieure dans le sens d’un rapprochement avec la Hongrie ; en conséquence, le « Corps séparé » de Rijeka lui est rattaché de nouveau en 1868-1870. Cependant, cette situation se dégrade lorsque les Magyars veulent imposer plus étroitement leur domination sur les habitants, qui défendent leurs institutions avec âpreté. Rijeka perd bientôt confiance dans les Hongrois et commence à regarder du côté du jeune royaume d’Italie.

Une nouvelle génération, regroupée en 1905 dans l’association « Giovane Fiume », prépare les esprits à l’union avec l’Italie et, en 1915, de nombreux volontaires s’enrôlent dans les armées de la péninsule. Lorsque, vaincus, les Hongrois abandonnent la ville le 28 octobre 1918, les Croates veulent s’en emparer, conformément au pacte secret de Londres (26 avr. 1915), qui l’attribuait à la Croatie. Un Conseil national se constitue alors, qui, présidé par Antonio Grossich (1849-1926), fait proclamer le 30 octobre l’union de Fiume avec l’Italie. La « question de Fiume », qui va s’imposera l’attention mondiale, est née.

Au cours de la conférence de la paix de Paris, le président Wilson, au nom des États-Unis, propose, le 14 avril 1919, que l’Italie renonce à la Dalmatie et à Fiume, mais garde Trieste et l’Istrie. Le 23 avril, il s’oppose de nouveau aux aspirations italiennes et provoque la protestation du Conseil national. La situation s’aggrave du lait que le corps d’occupation interallié et français est hostile aux Fiumains ; la tension dégénère en un conflit qui fait plusieurs morts (6 juill.).

C’est alors que le poète italien Gabriele D’Annunzio* organise la marche de ses légionnaires depuis Ronchi jusqu’à Fiume, où ils pénètrent le 12 septembre 1919. Pendant que, dans la ville, les discours de D’Annunzio enflamment les esprits, Wilson, pour sortir de l’impasse, propose de créer à Fiume un État libre. Le 12 novembre 1920, le traité de Rapallo proclame en effet l’indépendance de Fiume. Ce traité n’est pas reconnu par D’Annunzio, qui, cependant, le 31 décembre, remet les pouvoirs à Grossich pour éviter de nouvelles effusions de sang.

Des élections amènent au pouvoir le chef du parti autonomiste, Riccardo Zanella (24 avr. 1921), qui, passant outre aux violences fascistes, installe un gouvernement propre à Fiume. Cependant, dès le 3 mars 1922, Zanella est renversé par une coalition noyautée par les fascistes. L’Italie mussolinienne, en installant à Fiume le général Gaetano Giardino (1864-1935), consacre une annexion de fait (17 sept. 1923).

Le traité de Rome du 27 janvier 1924, signé entre l’Italie et la Yougoslavie, met fin à la « question de Fiume ». La ville va rester jusqu’en 1945 possession italienne.

Durant la Seconde Guerre mondiale, elle est occupée en 1943 par les Allemands et joue dans les combats de la Résistance un rôle non négligeable. Trois courants politiques s’y font jour : un courant italien, un courant autonomiste et un courant slavophile. Les Allemands, avant de quitter la ville, font sauter les installations portuaires (avr. 1945). Le 3 mai, les troupes de Tito y pénètrent ; plus de 25 000 personnes se réfugient alors en Italie.

Le traité de Paris de 1947 réunit Fiume, qui reprendra le nom de Rijeka, à la Yougoslavie dans le cadre de la république de Croatie. Grand centre portuaire et industriel, la ville possède d’importants vestiges de son passé : arc romain (ier s.), château de Trast (ou des Frankopan) [xiiie s., restauré au xixe s.], tour de l’Horloge (xiiie-xviiie s.), ancien hôtel de ville (xvie s.), églises baroques.

P. P. et P. R.

➙ Croatie.

Rilke (Rainer Maria)

Écrivain autrichien (Prague 1875 - Val-Mont, près de Montreux, 1926).


Rainer Maria Rilke naît le 4 décembre 1875 dans une famille de bourgeoisie modeste, qui croit fermement avoir des origines aristocratiques. Ancien sous-officier devenu inspecteur dans les chemins de fer, son père a épousé en 1873 Sophie Entz, qui, déçue de son mariage, s’est réfugiée dans la piété. Rilke est le fils unique de ce ménage désuni de bonne heure, une fille étant morte en bas âge. Enfant frêle et délicat, il passe une enfance peu heureuse. Destiné par son père au métier des armes, il est placé comme interne dans des écoles militaires, à Sankt Pölten (Basse-Autriche) de 1886 à 1890, puis à Mährisch-Weisskirchen (auj. Hranice, en Moravie), où, contraint à une discipline rigoureuse, que sa santé fragile supporte mal, il est livré aux railleries de ses condisciples. L’administration scolaire le renvoie définitivement en juillet 1891 pour « état maladif persistant ». Le souvenir de ces cinq ans de solitude morale dans un univers qui lui était résolument hostile pèse lourdement sur l’adolescent.


L’évolution du poète

De 1891 à 1892, Rilke fréquente l’École supérieure de commerce (Handelsakademie) à Linz, capitale de la Haute-Autriche. Il se donne aux joies de l’existence, mène une vie de « dandy » et compose ses premiers poèmes, d’une musicalité imprécise. De 1892 à 1895, à Prague, il se prépare au baccalauréat. Pendant ces années, il engage des fiançailles éphémères avec Valérie de David-Rhonfeld, fille d’un très haut fonctionnaire de l’Administration autrichienne, et se mêle aux milieux littéraires. Il fréquente les poètes tchèques, Julius Zeyer, oncle de Valérie, et Jaroslav Vrchlický. En 1894, il publie son premier recueil de poèmes, Vie et chants (Leben und Lieder). Bachelier, il s’inscrit pour le semestre d’hiver de 1895-96 à l’université allemande de Prague.