Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
R

Ricœur (Paul) (suite)

En même temps, en référant l’interprétation des « sens cachés » essentiellement à l’exégèse, en concevant l’analyse comme une exégèse de sa propre vie, Ricœur marque le lien avec la philosophie des religions et, d’une manière générale, avec la pensée religieuse. Néanmoins, le chrétien et l’humaniste décide d’accepter cette remise en question fondamentale de la conscience qu’est la psychanalyse. De celle-ci, écrit Ricœur, il faut attendre « une véritable destitution de la problématique classique du sujet comme conscience [...]. La lutte contre le narcissisme, — équivalent freudien du faux Cogito — conduit à découvrir l’enracinement du langage dans le désir, dans les pulsions de la vie. Le philosophe qui se livre à ce rude écolage est conduit à pratiquer une véritable ascèse de la subjectivité, à se laisser déposséder de l’origine du sens [...]. »

Rude leçon, rude « écolage » pour le philosophe de la réflexion classique, mais qui, en fin de compte, s’articule avec la nostalgie philosophique toujours présente de l’ontologie et, par-delà, de la vie : « C’est en effet à travers la critique de la conscience que la psychanalyse pointe vers l’ontologie. » Or, « l’ontologie est bien la terre promise pour une philosophie qui commence par le langage et par la réflexion ; mais, comme Moïse, le sujet parlant et réfléchissant peut seulement l’apercevoir avant de mourir ».

D. C.

Riel (Louis)

Homme politique canadien (Saint-Boniface, près de Winnipeg, 1844 - Regina 1885).


Fils aîné d’un métis qui s’était déjà illustré dans la défense des siens face au monopole archaïque de la Compagnie de la baie d’Hudson, Louis Riel est envoyé à Montréal pour poursuivre ses études. La préservation des genres de vie traditionnels, de plus en plus menacés par la formation d’un Canada moderne, ne va pas tarder à lui faire jouer un rôle de premier plan. Depuis longtemps déjà, les immenses territoires concédés à la Compagnie de la baie d’Hudson apparaissent comme un privilège incompatible avec le développement de la colonisation : en 1869, le principe de leur cession au Dominion est acquis, sans que les populations intéressées soient consultées. Tout de suite, un nouvel arpentage est entrepris par les autorités fédérales. Cette mesure préalable à toute colonisation agraire constitue, en fait, un déni de justice, en particulier pour les métis francophones et catholiques de la région de la rivière Rouge : ici en effet, comme dans l’Est, le partage traditionnel des terres s’est fait en longues bandes débouchant sur les cours d’eau, les seuls liens commodes jusque-là avec le monde extérieur. Or, les géomètres d’Ottawa entreprennent de diviser artificiellement les terres en parcelles rectangulaires, comme on le fait alors dans les terres vierges des États-Unis. Le nouveau cadastre va obliger les premiers occupants à renoncer à leurs « lots de rivières » et à déplacer leurs tenures. Des rachats plus ou moins forcés seront beaucoup facilités par cette destruction des terroirs traditionnels. Révolté par ces injustices, Riel met ses dons de tribun au profit de ses frères et profite de leur colère pour diriger une révolte qui va tenter de mettre fin au processus de dépossession : lorsque le lieutenant-gouverneur envoyé par Ottawa se présente aux frontières du territoire des métis, il trouve un ultimatum lui interdisant d’entrer sans l’autorisation d’un comité dont le secrétaire est Riel (21 oct. 1869). Le 2 novembre, ce dernier et ses partisans s’emparent par surprise de Fort Garry (à l’emplacement de la future Winnipeg). Louis Riel en vient à former un « Comité national » (9 déc.), qui devient un véritable gouvernement provisoire, avec lequel Ottawa doit se résoudre à négocier la sauvegarde des intérêts des métis : le 15 juillet 1870, la souveraineté sur les immenses territoires de la Compagnie de la baie d’Hudson est transmise au Dominion, mais le petit territoire des métis de la rivière Rouge constitue une nouvelle « province », à part entière, le Manitoba ; en particulier, l’usage du français y est placé sur le même plan que celui de l’anglais, comme au Québec. Mais Riel a le grand tort, sous prétexte d’« insubordination », de faire exécuter un certain Thomas Scott, anglophone et protestant ; les nouveaux colons blancs et ceux de l’Ontario ne pardonneront jamais l’élimination de l’un des leurs à celui qui créa l’embryon d’un pouvoir métis : une certaine atmosphère de guerre civile marque les premières années de la nouvelle province. Très vite, les métis seront plus ou moins contraints à abandonner leurs terres.

L’arrivée d’importantes forces militaires, essentiellement britanniques, conduit Riel à l’exil, aux États-Unis. Il reprend pourtant bientôt une activité politique et pousse les métis à lutter en 1871 contre les raids des « fenians » (des Irlandais venus des États-Unis, hostiles à la domination britannique), ce qui lui vaut les remerciements du « fédéral ». Il est élu au Parlement en 1874, mais fait l’objet de poursuites de la part du gouverneur de l’Ontario, et son admission est refusée par la majorité. Riel est amnistié en 1875, mais il est alors atteint d’une mégalomanie de type messianique : sa « mission » est de sauver la nation métis. Il est interné dans des asiles jusqu’en 1878 ; il retourne alors aux États-Unis, dont il devient citoyen.

En 1884, il reçoit une délégation de quatre métis de la Saskatchewan, qui lui rapportent les malheurs des Indiens, contraints d’abandonner, avec la chasse des bisons, leur liberté et qui sont tenus à végéter misérablement dans des « réserves » où on les oblige à pratiquer l’agriculture : il regagne le Canada. Il ne demande d’abord pour ses frères que de modestes réformes, mais en revient vite, devant l’inertie d’Ottawa, à des actions radicales : il cherche à fonder sa mission libératrice en constituant de nouveau un gouvernement provisoire (19 mars 1885). Mais son mysticisme prend un tour dangereux : Louis Riel se sépare du prudent clergé catholique et cherche à établir une « Église nouvelle », qui accueille de nombreux néophytes enthousiastes. Il obtient l’appui de deux chefs indiens, Big Bear et Poundmaker, et lance une nouvelle révolte : cependant, cette dernière doit affronter un pouvoir central autrement puissant qu’en 1869. En effet, le Canadian Pacific permet d’amener jusqu’à Winnipeg une armée de 8 000 hommes en six jours. En six semaines, les rebelles sont dispersés. Louis Riel est arrêté le 16 mai, puis inculpé de haute trahison. Malgré son état mental très évidemment délabré, il est condamné à la pendaison. Le « Premier ». J. A. Macdonald*, finit par refuser la grâce devant les pressions de l’opinion de l’Ontario, qui n’avait pas oublié la mort de Thomas Scott. Riel est exécuté le 16 novembre à la prison de Regina.

La mort du grand défenseur des métis francophones, présenté par certains comme un apôtre, un saint et un héros national, causa une profonde émotion au Québec. Mais le gouvernement fédéral, s’il perdit à cette occasion l’appui des conservateurs de cette province, y gagna celui des libéraux de l’Ontario.

S. L.

➙ Canada.

 M. Giraud, le Métis canadien. Son rôle dans les provinces de l’Ouest (Institut d’ethnologie, 1945). / G. Cerbelaud-Salagnac, la Révolte des métis, Louis Riel, héros ou rebelle (Mame, 1971).