Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
R

Richelieu (Armand Emmanuel du Plessis, duc de) (suite)

Au début de 1818, les Alliés eux-mêmes se rendent compte qu’ils n’ont aucun intérêt à prolonger l’occupation militaire de la France ; en mai, ils annoncent l’intention de tenir à Aix-la-Chapelle un congrès chargé d’examiner les modalités d’une évacuation. Ce congrès s’ouvre le 30 septembre ; Richelieu y représente la France. Son autorité morale lui permet d’obtenir enfin ce qu’il souhaite depuis 1816 : le territoire sera libéré avant le 30 novembre ; la somme que la France s’engage à payer immédiatement, au titre de l’indemnité de guerre, est fixée à 265 millions au lieu de 286. En outre, la France est admise dans la Quintuple-Alliance.

À son retour, Richelieu trouve Paris en pleine crise, alors que Decazes multiplie les intrigues et que des élections partielles révèlent une nette poussée de la gauche. Considérant sa tâche comme terminée avec la libération du territoire, Richelieu démissionne à la fin de décembre. La Chambre, reconnaissante, lui vote une dotation viagère de 50 000 francs de rente, que le noble duc se hâte de verser aux hospices de Bordeaux.


Le second ministère

L’expérience de centre gauche menée par Dessolles et par Decazes ayant échoué et l’assassinat du duc de Berry (13 févr. 1820) ayant réveillé la réaction antilibérale, le comte d’Artois obtient de Richelieu qu’il revienne à la tête du gouvernement (20 févr.). Le duc, toujours modéré, prétend alors gouverner sans la droite, mais avec l’appui de ses voix, pour faire une politique statique de centre droit avec un ministère issu du centre gauche.

Jusqu’en septembre 1820, la droite tolère cette politique ambiguë, à laquelle s’oppose le chef des ultras, Villèle*, ministre sans portefeuille. Mais Richelieu ne peut empêcher le vote — à une faible majorité, il est vrai — des lois d’exception de mars 1820 (loi de sûreté générale, loi restreignant la liberté de presse) ; la loi électorale du 12 juin 1820 — loi dite « du double vote » — renforce les positions de la droite et anéantit l’espoir de la gauche d’accéder au pouvoir par le jeu légal des institutions. L’opposition se jettera donc dans l’action insurrectionnelle : en août 1820, un grand complot libéral (dont La Fayette est le moteur) est éventé par la police. Le 29 septembre, la naissance du duc de Bordeaux — considérée comme quasi miraculeuse — emplit de joie les royalistes.

Si bien que les élections de novembre 1820 sont nettement favorables à la droite. Richelieu voit se dresser alors contre sa position modérée la « faction des impatients », menée par François Régis de La Bourdonnais (1767-1839). Lors de l’ouverture de la session parlementaire de 1821, le ministère Richelieu se trouve pris entre deux feux : la droite lui reproche de rester trop éloigné de la Quintuple-Alliance ; la gauche l’accuse, au contraire, d’avoir laisser écraser par Metternich les patriotes italiens (congrès de Troppau-Laybach). Richelieu n’ose pas dissoudre la Chambre ; physiquement affaibli, voyant son influence auprès de Louis XVIII remplacée par celle de Mme du Cayla, il donne, le 12 décembre 1821, sa démission, que le roi accepte avec indifférence. Les ultras — avec Villèle — le remplaceront au gouvernement.

Richelieu meurt à Paris le 17 mai 1822, ne laissant aucun héritier direct. Une ordonnance royale transférera le titre de duc de Richelieu, ainsi que la pairie, à son neveu Odet de Jumilhac.

P. P.

➙ Decazes / Louis XVIII / Restauration.

 J. Fouques-Duparc, le Troisième Richelieu (Lardanchet, 1952). / G. de Bertier de Sauvigny, la Restauration (Flammarion, 1955 ; nouv. éd., 1975).

Richier (Ligier)

Sculpteur français (Saint-Mihiel v. 1500? - Genève 1567).


L’ignorance dans laquelle on est de ses débuts est illustrée par cette impossible légende : Michel-Ange, de passage en Lorraine, aurait été frappé par les talents du jeune sculpteur et l’aurait emmené avec lui à Rome. Ce que l’on sait, par contre, c’est que Richier jouit vers 1530 d’une grande notoriété dans le milieu lorrain.

À cette époque, l’est de la France n’est pas sorti du Moyen Âge. La tradition gothique continue de voir l’artiste comme un simple praticien, illustrateur de la mentalité du groupe. L’œuvre d’art est le produit d’un atelier ou d’une école, et il est pas habituel que soit mise en avant la responsabilité personnelle du créateur. De même, la Lorraine est peu ouverte aux grâces de l’italianisme ; elle perpétue plus volontiers l’héritage des vieux « imagiers », teinté d’influences flamandes et rhénanes : un réalisme expressif, parfois un peu vulgaire, bien différent de l’art de la cour de France.

Dans ce contexte, la carrière de Ligier Richier est celle d’un isolé. En 1523, il exécute le retable de pierre de l’église d’Hattonchâtel, le premier des ouvrages qu’on peut lui attribuer à peu près sûrement. Les trois panneaux, Portement de croix, Crucifixion et Ensevelissement sont d’un style gothique qui cherche le pathétique à travers des formes souvent anguleuses, tandis que le traitement des détails fait penser à l’orfèvrerie. La carrière de l’artiste est ensuite jalonnée par la série des calvaires, des Vierges de piété et des monuments funéraires dont l’attribution est vraisemblable. Le calvaire de Génicourt, celui de Briey, celui de l’église (anc. collégiale) Saint-Étienne de Bar-le-Duc représentent des scènes de la Passion avec les visages du quotidien : le Christ et les deux larrons sont des gens de la rue ; la composition rappelle ces spectacles religieux, fréquents dans les régions du Nord-Est, où, à l’occasion de grandes processions, le peuple mimait l’histoire de Jésus.

Un changement notable se produit vers 1530, préparé par une lente infiltration du goût italien dans l’œuvre de Richier : les visages ne sont plus des portraits, les contours s’affinent, les traits deviennent plus réguliers ; désormais, un idéal de beauté empiète sur la vision morale. Le « Sépulcre » (Mise au tombeau à personnages en ronde bosse) de l’église Saint-Étienne de Saint-Mihiel, un des derniers travaux connus, nous transmet une synthèse : le climat de piété, le caractère populaire et le métier fouillé des premières œuvres conservent leur prépondérance, mais les formes ont évolué, comme l’esprit qui les anime. La recherche de la beauté caractérise la Madeleine agenouillée, et la théâtralité se fait plus abstraite : c’est l’idée de la douleur que reflète le visage des Saintes Femmes. Le réalisme domine par contre dans le gisant polychrome de Philippa de Gueldre à l’église des Cordeliers de Nancy et se fait poignant dans l’extraordinaire statue funéraire de René de Chalon, prince d’Orange-Nassau à l’église Saint-Étienne de Bar-le-Duc. Mort en 1544, l’époux d’Anne de Lorraine est représenté, selon sa volonté expresse (« comme il serait trois ans après son trépas »), sous la forme d’un squelette conservant des lambeaux de chair, transi dressé qui brandit d’une main son cœur, offert à Dieu dans un suprême effort (v. anatomie).

Ligier Richier passa les deux ou trois dernières années de sa vie à Genève, où, sans doute, il s’était réfugié pour des raisons religieuses.

Son fils Gérard (Saint-Mihiel 1534 - id. v. 1600) ainsi que ses petits-fils Jean Ier (Saint-Mihiel 1581 - ? 1624), Jean II (Saint-Mihiel ? - Metz 1625) et Jacob (Saint-Mihiel v. 1585 - Grenoble v. 1640) furent également sculpteurs, voire architectes.

J. B.

 P. Denis, Ligier Richier, l’artiste et son œuvre (Berger-Levrault, 1911).