Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Richelieu (Armand Jean du Plessis, cardinal de) (suite)

Le « programme » de Richelieu

Ce pouvoir si chèrement désiré, le cardinal ne le lâchera plus ; jusqu’à sa mort, dix-huit ans plus tard, il allait être le maître de la France.

Son apprentissage des hommes et des affaires, il l’avait fait dans son petit évêché poitevin. Au contraire d’un Louis XIV, Richelieu, comme d’ailleurs Louis XIII, avait une connaissance presque viscérale du royaume. Il savait tous les problèmes qui se posaient aux gentilshommes, aux bourgeois, aux paysans et aux protestants, si nombreux dans le Poitou. Il connaissait en outre parfaitement les rouages du gouvernement, les intrigues de la Cour, le personnel diplomatique et les affaires militaires, qui l’avaient toujours séduit.

Très conscient des maux du royaume, il parlait du « corps malade » de la France et croyait détenir aussi les remèdes appropriés. Le célèbre programme en trois points qu’on lui a prêté sur la foi de son Testament politique (abaisser les Grands, ruiner le parti huguenot, combattre la maison d’Autriche), écrit à la fin de sa vie, ne doit pas être exagérément durci. Certes, il réalisa ces huis, mais ceux-ci n’étaient que les impératifs indispensables d’un vaste ensemble.

Par exemple, l’action de Richelieu pour relever le commerce et la marine de la France, quoique moins connue, n’est pas la moins importante de ses œuvres. Surtout, il faut dénoncer comme un grave anachronisme une croyance longtemps accréditée qui ferait de Richelieu l’apôtre des « frontières naturelles » de la France. Le Rhin n’a jamais représenté pour le cardinal la ligne idéale que le royaume devait atteindre.


Le « cardinal de La Rochelle »

Le problème protestant est l’un des premiers que Richelieu ait à résoudre. Évêque, celui-ci n’a à l’égard des réformés aucune sympathie et ne leur manifeste aucune indulgence, mais il n’aura jamais l’idée malheureuse, comme plus tard Louis XIV, de leur contester la liberté de conscience ; il ne cédera jamais au parti « dévot », qui voulait le pousser dans cette voie et réclamait la suppression du protestantisme en France.

Le cardinal reproche aux huguenots deux choses : un républicanisme caché (leur prétention de faire du peuple le juge et le contempteur du roi) et leur particularisme nocif à l’unité nationale. L’importance numérique des réformés dans les provinces côtières de l’Atlantique, qu’il connaît bien en tant qu’évêque de Luçon, constitue à cet égard une menace sérieuse, surtout pour une France dénuée de toute marine quelque peu importante.

Les protestants de La Rochelle*, poussés par le duc de Rohan, commettent la faute de demander la protection du roi d’Angleterre. Aussitôt, une flotte commandée par Buckingham lève l’ancre et vient débarquer des troupes dans l’île de Ré (1627). « Ré, écrit-on, est l’île en laquelle semble en quelque façon enfermé le salut de la France. » La lutte est d’importance, car, si toutes les provinces protestantes s’étaient soulevées en même temps contre l’autorité royale et si cette rébellion avait coïncidé avec l’attaque anglaise, la France aurait pu sombrer dans l’anarchie.

L’énergie de Richelieu sauve la situation. Nommé en 1626 « surintendant général de la navigation et du commerce de la France », il établit un plan de construction navale, fait fortifier Brouage, Marans et Oléron, et assure le ravitaillement des troupes du marquis de Toiras, qui, dans l’île de Ré, s’opposent aux Anglais.

Lui-même vient mettre en personne le siège de La Rochelle dans un habit étrange, moitié militaire, moitié ecclésiastique ; il fait élever une digue, ouvrage formidable qui interdit l’entrée du port aux vaisseaux anglais ; en même temps, il ordonne la construction d’une flotte de guerre dans le port du Blavet.

Les protestants rochelais restent isolés, les autres Églises reformées demeurant, dans l’ensemble, loyales. Les Anglais ne peuvent forcer la digue, et l’armée de Toiras libère l’île de Ré, si bien qu’à bout de ressources les assiégés capitulent (28 oct. 1628).

L’année suivante, Louis XIII conduit ses troupes en Languedoc, où le duc de Rohan entretient l’agitation. Les unes après les autres, les villes rebelles se soumettent, et, à Alès, le 28 juin 1629, Louis XIII publie un édit qui confirme les libertés religieuses et les garanties judiciaires des protestants accordées par l’édit de Nantes, mais qui leur ôte tous leurs privilèges politiques et militaires (suppression des places de sûreté, des assemblées politiques).

Cet édit, inspiré par Richelieu, est un modèle de sagesse ; le cardinal signifie aux protestants « qu’en tant que sujet il ne faisait point de distinction entre eux et les catholiques ». Cette mesure, que le parti « dévot » ne lui pardonnera jamais, répond autant à son souci de conserver au roi de bons serviteurs qu’à son désir de ne point inquiéter par des persécutions à l’intérieur du royaume ses alliés protestants de l’extérieur.


« Plus homme d’État que d’Église »

La lutte contre les protestants français s’insère dans le cadre plus large d’une politique à la mesure de l’Europe. Dans un mémoire au roi, Richelieu avait écrit : « Tant que les huguenots auront le pied en France, le Roi ne sera jamais le maître dedans, ni ne pourra entreprendre aucune action glorieuse au dehors. » Or, jusqu’en 1629, c’est l’Espagne qui l’emporte sur la scène internationale, et non la France.

Dès 1624, Richelieu s’emploie à réaliser le grand dessein du règne : l’affaiblissement de la maison d’Autriche. Mais, au début, gêné par les troubles religieux, il essuie des revers, L’affaire de la Valteline, une vallée suisse qui lait communiquer les possessions des Habsbourg d’Espagne (Milan) et d’Autriche, va dominer une partie de son ministère.

Le parti dévot, celui de Marie de Médicis et de Bérulle*, aveuglé par la passion religieuse, soutient la politique espagnole, même lorsqu’elle est contraire aux intérêts de la France. C’est lui qui favorise la paix de Monzón le 5 mars 1626, qui rend pratiquement l’Espagne maîtresse de cette vallée. Cette paix, « la plus belle victoire de la diplomatie de l’Escurial », porte un coup très dur à la politique française, en lui faisant perdre une position stratégique essentielle et son influence sur ses alliés protestants des cantons suisses.