Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
R

Rhône (le) (suite)

L’aménagement

Par des travaux de grande ampleur, on a cependant cherché à créer une grande voie navigable : aménagement des liaisons avec Marseille par le canal d’Arles à Bouc, puis par le canal maritime de Port-Saint-Louis, le canal de Caronte et le tunnel du Rove, laissant toutefois subsister la traversée dangereuse du golfe de Fos ; ouverture du canal de Beaucaire à chargement réduit aux unités rhodaniennes ; concentration des eaux du Rhône dans un lit unique et établissement d’un chenal navigable par régularisation ; canalisation de la Saône, rendue accessible à la batellerie rhodanienne par la construction de l’écluse de La Mulatière au confluent. Ces travaux ont permis de maintenir un trafic limité à des transports de matériaux de construction ou lié à des entreprises industrielles d’hydrocarbures, de produits chimiques et métallurgiques et de sels ; ce trafic a atteint avant la Seconde Guerre mondiale un record bien modeste de 935 000 tonnes en 1935, alors que le mouvement s’élevait sur la Saône à 2,5 Mt, et qu’en 1937 le Rhin avait un trafic de 90 Mt.

La houille blanche est venue donner aux pays rhodaniens l’énergie abondante qui leur manquait. Dans le Valais, déjà actif grâce à des transports ferroviaires intenses, au tourisme des grandes stations et à une agriculture évoluée, l’équipement des hautes chutes a permis la création à Chippis, à Martigny, à Viège et à Monthey d’une industrie lourde électrochimique et électrométallurgique que l’on s’efforce actuellement de compléter par des activités de transformation pour absorber les excédents de population active libérés par les activités rurales ; la constitution de grands aménagements régularisés par des réservoirs saisonniers comme la Grande-Dixence a ensuite permis d’alimenter les villes du Léman et d’exporter le courant dans le reste de la Suisse, dont le canton assure plus du quart de la production hydroélectrique. En France, l’électrochimie et l’électrométallurgie se sont établies dans le Grésivaudan, sur l’Arve, en Tarentaise et en Maurienne, sur la Romanche et la haute Durance ; les grands aménagements saisonniers ont été constitués depuis 1945 autour des réservoirs de Tignes, de Roselend, du Mont-Cenis et de Serre-Ponçon ainsi que du réservoir franco-suisse d’Émosson. Les équipements hydroélectriques ont offert aux constructions électriques de Genève, Lyon et Grenoble les débouchés qui leur ont permis d’asseoir une activité devenue largement internationale.

Sur le Rhône lui-même, les premiers équipements ont d’abord été réalisés à proximité des marchés urbains, seuls capables d’absorber des productions à une époque où il était difficile de transporter le courant à longue distance. À Genève, l’usine de la Coulouvrenière construite en 1885 à la sortie du Léman a été suivie par celles de Chancy-Pougny (dont 25 p. 100 de la production sont destinés à la France) et du Verbois. À Lyon, l’usine de Cusset, entrée en service en 1898 et modernisée à plusieurs reprises, tenait encore en 1954 le dixième rang des centrales françaises.

L’aménagement du Rhône en France a ensuite été conçu selon un plan d’ensemble ; il devait permettre l’établissement de la grande voie d’eau joignant Lyon à la Méditerranée et prolongée jusqu’au Rhin ainsi que l’exécution de travaux d’intérêt général, d’irrigation notamment, financés par la vente de l’énergie électrique produite. La réalisation de ce triple objectif, défini par une loi de 1921, a été fixée comme objectif à la Compagnie nationale du Rhône (C. N. R.), créée en 1934 et rassemblant des compagnies d’électricité, des utilisateurs d’énergie, au nombre desquels on comptait les chemins de fer et les départements de la Seine, et les collectivités publiques rhodaniennes. L’œuvre de la C. N. R. a commencé par la chute de Génissiat, la plus rentable, pour dégager les ressources nécessaires à la poursuite de l’entreprise. L’aménagement de Génissiat, entrepris en 1936, fut poursuivi malgré les difficultés de la guerre, et la centrale entra en service en 1948 (date qui marquait la fin des coupures de courant entraînées par la pénurie d’énergie). Elle a été complétée par celle de Seyssel, qui en compense les irrégularités de restitution. L’effort a ensuite porté sur le tiers central du bas Rhône, où la forte pente donne les chutes les plus rentables et crée le plus d’obstacles à la navigation, et où sont entrées en service entre 1952 et 1968 les chutes de Donzère-Mondragon, la plus importante, de Montélimar, de Baix-Le Logis-Neuf, de Beauchastel et de Bourg-lès-Valence.

À partir de 1960, l’intérêt porté à la production de centrales au fil de l’eau, dont les possibilités d’adaptation aux variations journalières et saisonnières de la consommation sont limitées, a diminué en raison de la baisse du coût des centrales thermiques modernes et des perspectives offertes par l’énergie nucléaire ; l’accent a été mis alors sur les objectifs d’aménagement du territoire dont l’importance va croissant et qui conduisent à faire supporter par l’État et les collectivités publiques la part des charges non liées à la production d’électricité. Les chutes de Pierre-Bénite, Vallabrègues, Saint-Vallier, Caderousse et Avignon, mises en service avant 1976, ont été conçues dans cette optique, de même que celles du Péage-de-Roussillon et de Vaugris, qui le seront vers 1977-78, époque à laquelle sera achevé l’aménagement du Rhône à l’aval de Lyon. L’ensemble des chutes du Rhône doit produire annuellement 17 TWh, dont 13 TWh sur le bas Rhône, soit 9 et 7 p. 100 de la consommation française en 1976.

Sur le plan agricole, l’aménagement du Rhône, une fois réparées les conséquences des travaux, a pour effet de rendre disponibles d’importants débits d’eau pour l’irrigation, ce qui permet la transformation des techniques agraires : les ouvrages mettent hors d’eau d’importantes superficies (10 000 ha totalement, 30 000 partiellement entre Lyon et la mer), les confluents sont assainis, les zones marécageuses, drainées, les zones sèches, arrosées ; d’autre part, les périmètres d’irrigation sont étendus, opération qui s’accompagne du remembrement des exploitations. Ces projets concernent une superficie de 200 000 ha et un débit de 175 m3/s sur l’ensemble du bas Rhône, avec mise à disposition de l’agriculture d’une puissance de 150 MW. Ils comprennent la fourniture de 75 m3/s à la station de pompage de Pichegu desservant la zone est du réseau de la Compagnie nationale d’aménagement de la région du Bas-Rhône-Languedoc, qui s’étend jusqu’à la région de Montpellier-Sète ; l’irrigation a permis le développement de cultures fruitières et légumières qui ont diversifié dans le Gard une activité trop exclusivement orientée sur la viticulture, et s’est accompagnée de la création de stations collectives de stockage et de conditionnement ainsi que de l’intégration d’une partie des exploitations agricoles à une industrie de la conserve de dimensions européennes créée à cet effet. Jointes à l’aménagement de la basse Durance, qui, grâce à la retenue de Serre-Ponçon, assure des débits supplémentaires aux cultures de primeurs du Comtat, et aux travaux du canal de Provence, ces opérations sont à la base d’une profonde transformation de l’agriculture du Sud-Est, désormais en état de rivaliser avec ses concurrentes méditerranéennes. En Camargue, l’essor de la riziculture depuis la guerre a permis la mise en valeur des terres arrosées par l’eau du Rhône et assure une bonne part des activités d’Arles.