Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
R

rhétoriqueurs (les) (suite)

Quand Jean Bouchet proclame que son art est une « science infuse » par la « grâce », et que Jean Lemaire de Belges dit de Molinet que « des cieux vient l’influence en son sublime esprit », on pressent la « fureur poétique » chère à la Pléiade. La fable devient, chez eux, le support d’une vérité cachée. Aussi, parmi tous les ornements poétiques est-ce à l’allégorie que va leur préférence et à ce Roman de la Rose qu’ils ne se lassent pas d’imiter. On le voit dans le Doctrinal de court de Pierre Michault, dans le Séjour d’honneur d’Octavien de Saint-Gelais comme dans le Parement et triomphe des dames d’honneur d’Olivier de La Marche. Si le procédé du songe leur est familier, ils ne se privent pas de faire de nombreux emprunts à la mythologie, témoin Jean Marot, qui commence le Voyage de Gênes par une évocation de l’Olympe.

L’ambition des rhétoriqueurs est aussi d’élever la langue vulgaire au rang de langue nationale, de l’orner des raffinements empruntés aux arts de rhétorique. Attachant une grande importance aux questions de langue et de style, ils enflent leur vocabulaire de néologismes et de mots calqués sur le latin, et ils s’intéressent spécialement aux qualités formelles du langage, dont ils sont d’habiles expérimentateurs. Sans perdre de vue le propos moral de leurs écrits, ils s’accordent quelque délassement dans le plaisir verbal et dans une esthétique du son et du rythme. Soigneux artistes de l’image et de sa présentation élégante, ils sont conscients des rapports qui existent entre poésie et musique. Aussi mettent-ils au premier plan les recherches de versification et les virtuosités des combinaisons strophiques. Ils veulent surtout la rime très riche et rare (rimes équivoquées, en écho, annexée et fratrisée, batelée, renforcée) : l’inspiration n’est pas suffisante, le mérite réside alors dans la difficulté vaincue et dans une technique sûre du vers. On a vivement critiqué ces recherches métriques sans remarquer qu’elles ne se rencontrent que de loin en loin dans leurs œuvres, dont elles ne représentent qu’une faible part. Si elles peuvent choquer le goût, elles témoignent assurément d’un effort de renouvellement du langage qui se crée dans la liberté et dans l’autonomie, dans le pouvoir incantatoire de la musique et du rythme.

Ces recherches d’expressivité rythmique ne sont pas les artifices d’un âge finissant, et elles ne relèvent pas seulement d’un formalisme vide. À l’époque contemporaine, sous l’influence du surréalisme, des poètes comme Aragon et Eluard en viennent à découvrir dans les jeux des rhétoriqueurs, dans les accumulations de mots groupés selon leurs affinités sonores, dans ces litanies magiques, un sens très vif des possibilités offertes par le langage, et par un langage souvent dru et savoureux.

Les œuvres des rhétoriqueurs, souvent difficiles d’accès, restent à explorer. On y découvre l’élévation de la pensée (développements sur la destinée humaine, réquisitoires contre les ravages de la guerre dont la violence exprime la force de la conviction), mais aussi le talent oratoire et le souci d’un art difficile. La minutie qu’ils apportent à leurs descriptions témoigne d’un commun amour des choses de la vie. Jean Lemaire de Belges est le plus humaniste de ces poètes : il suggère l’idéal d’une culture totale étendue à tous les arts. Il n’est pas indifférent de constater que l’on professait pour les rhétoriqueurs une vive admiration, et que leurs éditions se multiplient. Leur influence fut considérable sur Clément Marot, qui cultiva comme eux les genres à forme fixe et les ornements artificiels, et qui, tout en se dégageant progressivement de leur manière d’écrire, tint à leur rendre un bel hommage :
Adoncques Molinet
Aux vers fleuris, le grave Chastellain,
Le bien disant en rithme et prose Alain,
Les deux Grebans au bien resonnant style,
Octavian à la veine gentile,
Le Bon Crétin aux vers équivoqué,
Ton Jean Le Maire entre eux hault
[colloqué...]

La Pléiade leur doit beaucoup : ils ont en effet tenté, avant Scève et Ronsard, l’alliance de la poésie et de la science, ils ont vanté le savoir et l’érudition, ils ont rehaussé la poésie à l’aide de fictions mythologiques, ils ont, avant Défense et illustration de la langue française, enrichi la langue et assoupli la versification, tout en montrant le prix du métier et de la technique. Malgré les maladresses de certaines de leurs pièces, ils ont droit à notre indulgence et ils méritent d’être réhabilités. Si leurs œuvres ne parviennent pas toujours à nous émouvoir, elles satisfont ce besoin d’idéal qui exprime l’âme d’une époque.

J. B.

 A. Hamon, Un grand rhétoriqueur poitevin, Jean Bouchet (Soc. fr. d’impr. et de librairie, 1901). / H. Chatelain, Recherches sur le vers français au xve siècle (Champion 1908). / H. Guy, Histoire de la poésie française au xvie siècle, t. I : l’École des rhétoriqueurs (Champion, 1910). / H. J. Molinier, Essai biographique et littéraire sur Octavien de Saint-Gelais (Impr. Carrère, Rodez, 1910). / C. Oulmont, la Poésie morale, politique et dramatique à la veille de la Renaissance : Pierre Gringore (Champion, 1911). / J. Huizinga, le Déclin du Moyen Âge (en néerl., Haarlem, 1919 ; trad. fr., Payot, 1932, 2e éd., 1948). / H. Chamard, les Origines de la poésie française de la Renaissance (De Boccard, 1921). / P. Spaak, Jean Lemaire de Belges, sa vie, son œuvre et ses meilleures pages (Champion, 1927). / N. Dupire, Jean Molinet, la vie, les œuvres (Droz, 1933). / P. Eluard, Première Anthologie vivante de la poésie du passé (Seghers, 1951 ; 2 vol.). / A. M. Schmidt, « l’Âge des rhétoriqueurs (1450-1530) », dans Histoire des littératures sous la dir. de R. Queneau, t. III (Gallimard, « Encycl. de la Pléiade », 1958).

Rhin (le)

En allem. Rhein, en néerl. Rijn, fleuve d’Europe occidentale ; 1 300 km environ.


Couloir industriel et urbain, la vallée du Rhin attire chaque année des millions de touristes de nombreux pays. Le fleuve a connu une destinée européenne. Nombre d’épisodes de l’histoire du continent européen sont en relation avec sa vallée. Et, aujourd’hui, la République fédérale d’Allemagne est avant tout l’ensemble des pays rhénans. La construction de l’Europe se fait partiellement à partir du grand fleuve. La Suisse, la France, le Luxembourg, les Pays-Bas et naturellement la République fédérale sont irrigués par ce dernier. L’essor industriel, commercial et culturel de l’Europe contemporaine est influencé par ce qui se passe sur les bords du Rhin.