Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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rhétoriqueurs (les) (suite)

D’une famille noble de Saintonge, Octavien de Saint-Gelais (1468-1502) s’introduit à la cour de Charles VIII et devient en 1494, évêque d’Angoulême. Il donne des traductions d’Ovide et de l’Énéide (1509), puis des vers d’amour, des passe-temps pour les dames, des pièces de circonstance et des poèmes religieux. Son principal ouvrage est le Séjour d’honneur (1519 et 1524), tableau allégorique de la cour des rois, qui perpétue la tradition médiévale du Curial d’Alain Chartier.

Entré au service d’Anne de Bretagne (1506) et de François d’Angoulême (1514), Jean Marot (v. 1463 - v. 1526) accompagne Louis XII en Italie ; il relate ces expéditions dans le Voyage de Gênes (1507) et dans le Voyage de Venise (1509), où il célèbre l’avènement de la paix. Il écrit aussi des rondeaux, apportant des variations sur les dangers et les peines d’amour. Clément Marot* saura tirer parti, dans ses Élégies, des leçons du « bon Janot », son père.

Guillaume Crétin (v. 1460-1525), chantre de la Sainte-Chapelle, clerc et musicien, préfère aux honneurs de la Cour une existence paisible, consacrée à l’étude et loyalement dévouée à ses protecteurs. En 1515, il entreprend, sur l’invitation de François Ier, la rédaction de douze livres de Chroniques, sorte de grand poème historique de la France, nourri de lieux communs de morale.

Vers 1500, Jean Bouchet (1476-1557) publie l’Amoureux transi sans espoir, mais sa réputation s’établit avec les Renards traversant les périlleuses voies des folles fiances du monde (1504), œuvre inspirée de Sebastian Brant et où les renards représentent les hommes. En 1507, il se fixe à Poitiers et il obtient l’office de procureur de la sénéchaussée. Orienté vers le discours moral, il compose néanmoins quelques pièces politiques : pour Louis II de La Trémoille, il écrit en reconnaissance le Chapelet des princes et le Temple de bonne renommée (1516). Historien, il rédige les Annales d’Aquitaine (1524), et dans ses Épistres morales et familières du Traverseur (1545) on trouve une naïveté de bon aloi.

Dans la veine satirique, Pierre Gringore (v. 1475 - v. 1538), attaché au roi Louis XII, écrit pour la scène le Jeu du prince des sots (1511) et, dans les Abus du monde (1509), il fait une satire du clergé et de la justice et propose des réflexions sur les maux de l’amour.

Roger de Collerye (v. 1470 - v. 1540), secrétaire de l’évêque d’Auxerre, écrit des farces pour la troupe des « Enfants sans souci », et il représente aussi l’inspiration populaire.

Une mention spéciale doit être faite pour Jean Lemaire de Belges (1473 - v. 1515), qui a largement participé à la formation de l’idéal artistique de la Renaissance. Attaché à Marguerite d’Autriche (1504), puis à Anne de Bretagne (1512), dont il est l’historiographe, il voyage beaucoup, et les séjours qu’il fait en Italie et à Lyon contribuent à l’épanouissement de son talent. En 1503, il consacre à Pierre de Bourbon le Temple d’Honneur et de Vertu ; à Louis de Ligny, il dédie la Plainte du Désiré. Pour le duc Philibert de Savoie, tragiquement décédé, il compose la Couronne margaritique (1504), où, sous prétexte de célébrer le mari défunt, il glorifie la jeune veuve. Il chante, en se jouant, le perroquet de Marguerite dans les Épîtres de l’amant vert (1505), avec un mélange d’émotion élégante et de gaieté attendrie. Très attiré par la civilisation italienne, il préconise, dans la Concorde des deux langages (1513), par-delà la langue, l’union des volontés et des cœurs entre les deux peuples. Grand amateur des généalogies héroïques, il donne en prose les Illustrations de Gaule et singularités de Troie (1509-1513). Salué comme un précurseur par Marot, Rabelais, Ronsard et du Bellay, il témoigne des progrès constants du naturel et du bon goût ; fervent de musique et de peinture, il donne à ses œuvres l’aspect esthétique qui faisait défaut à ses devanciers.


La poésie comme vérité morale

Descendants du lyrisme bourgeois du xive s., les rhétoriqueurs se réclament avec admiration d’Alain Chartier et de Georges Chastellain. Conseillers des princes et chroniqueurs officiels, ils excellent naturellement dans les sujets historiques et politiques. Olivier de La Marche (v. 1426-1502) raconte la vie et la mort de Charles le Téméraire, tandis que Jean Molinet poursuit la Chronique de Chastellain, qu’André de La Vigne (v. 1457 - av. 1527), dans le Vergier d’honneur, décrit l’expédition de Charles VIII en Italie, et Jean Marot celles de Louis XII. Ils disent leur gratitude à leurs protecteurs dans des panégyriques ; dans les Chants funèbres et les Complaintes, où ils perpétuent la tradition antique en unissant la poésie à l’éloquence, ils savent éviter la monotonie conventionnelle du genre. Certaines diatribes politiques où ils condamnent les horreurs de la guerre et où ils exaltent la paix et le bonheur champêtre (André de La Vigne, la Ressource de chrétienté ; Pierre Gringore, l’Espoir de paix) sont les premiers modèles de notre satire lyrique. Ainsi Molinet dans le Testament de la guerre :
Je laisse au pauvre plat pays
Chasteaux brisiés, hosteux brullés...
Bergiers battus et affollés,
Marchands murdris et mutillés
De grans cousteaux et de courbés,
Et corbaux crians a tous lés
Famine dessus les gibés.

Les rhétoriqueurs, qui conçoivent la poésie comme l’expression imagée de vérités morales, enseignent la vertu par des portraits ou des récits exemplaires. Chantant les vertus cardinales dans les « institutions » des princes (Jean Meschinot : les Lunettes des princes ; Jean Marot : le Doctrinal des princesses), ils attestent la noble conception de leur art. Les sujets religieux s’inscrivent dans cette ligne : dans leurs oraisons à la Sainte Vierge, dans les chants royaux, ballades ou rondeaux, les rhétoriqueurs savent tempérer l’aspect didactique et les lieux communs par des éléments personnels de sensibilité et de sincérité.

Dans le domaine de la galanterie, ils insistent volontiers sur les pièges que les femmes tendent aux hommes ; ils dénoncent avec méfiance leur hypocrisie et leur faiblesse. Habiles à discuter des problèmes de casuistique amoureuse (Jean Molinet : le Siège d’amours ; Jean Marot : la Vraydisante Advocate des dames ; Guillaume Crétin : le Plaidoyer de l’amant douloureux ; Jean Bouchet : l’Amoureux transi sans espoir), ils gardent une stricte pudeur dans leurs confidences. À preuve ce rondeau d’Olivier de La Marche :
Sobrement vis de ma Plaisance
Et jeûne ce que Désir pense,
Mendiant partout où je vois ;
Je veille à compter par mes doigts
Les maux que m’a faits Espérance
Pour amour des dames de France.

Tel est le « beau musée secret » des rhétoriqueurs, auquel Albert Marie Schmidt se plaisait à rendre justice. Inventeurs au génie fécond, les rhétoriqueurs se veulent moralistes, philosophes et savants, et ils souhaitent la variété des formes poétiques et des genres (épître, débat, monologue, blason).