Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Révolution culturelle prolétarienne (Grande) (suite)

Le 16 mai 1966, une « circulaire » est diffusée à l’intérieur du parti. Elle met directement en cause la ligne politique de Peng Zhen et de ses amis, à qui il est reproché de maintenir la Révolution culturelle dans un domaine purement académique, de refuser de critiquer Wu Han et de résister à la pensée de Mao Zedong ou d’en déformer le sens. On met en garde les militants du P. C. C. contre « une bande de révisionnistes contre-révolutionnaires [...] qui à la première occasion prendront le pouvoir et substitueront la dictature bourgeoise à la dictature du prolétariat ».

À partir de ce moment, et bien que Mao reste dans l’ombre, la Révolution culturelle rentre dans sa phase politique et publique. Le 25 mai, le premier « dazibao » est placardé sur les murs de l’université de Pékin. Une jeune femme, professeur de philosophie, y attaque violemment le recteur de l’université. Peu après, Mao Zedong approuve ce texte et déclare que « le premier coup de canon de la Révolution culturelle » vient d’être tiré. Désormais et pendant cinquante jours, le mouvement ne va cesser de s’amplifier. Les critiques contre certains dirigeants se font de plus en plus violentes. La pédagogie est fondamentalement remise en cause. Bientôt, les écoles ferment.

Dans un premier temps, des « équipes de travail » tentent de freiner l’ardeur révolutionnaire des jeunes. Cependant, il apparaît très vite que ces équipes sont dirigées par le président de la République, Liu Shaoqi, et ses alliés. La résistance à leur activité s’organise avec le soutien tacite de certains leaders politiques, parmi lesquels la femme de Mao, Jiang Qing (Kiang Ts’ing). Les premières équipes de « gardes rouges » font leur apparition.

Le 16 juillet, Mao Zedong, que l’on n’avait pas vu depuis fort longtemps, se montre en public à Wuhan (Wou-han) et traverse triomphalement le Yangzi Jiang (Yang-tseu-kiang) à la nage.

Entre les « gardes rouges », qui se rebellent contre la « bande noire » des gouvernants, et celle-ci, entre les maoïstes, qui misent sur un soulèvement des masses guidées par le « grand timonier », et les tenants de la légalité, une lutte très âpre s’engage, chacun se targuant d’être du côté de Mao et de la Révolution culturelle. En effet, pendant toute la durée de celle-ci, personne, pratiquement, ne se réclamera d’un autre camp. Et pour cause : le culte de la personnalité de Mao Zedong ne cessera qu’avec la Révolution culturelle. Lui-même s’est, d’ailleurs, expliqué de la nécessité temporaire d’une telle pratique : dans la mesure où, à l’époque, le parti lui échappait, il jugeait bon de focaliser les masses sur sa personne (et sa légende) et ainsi de se donner les moyens de reprendre le pouvoir.

Ce culte, illustré par les énormes défilés des « gardes rouges » sur la place Tian’anmen (T’ien-Ngan-Men) comme par la multiplication des exemplaires du Petit Livre rouge, ne va pas sans une certaine confusion, tout le monde faisant référence à la pensée de Mao Zedong, même si celle-ci se trouve parfois complètement dénaturée.

Le 8 août 1966, le Comité central adopte un programme en seize points qui sera la charte de la Révolution culturelle. Des éléments « engagés dans la voie capitaliste », infiltrés au plus haut niveau dans le parti, y sont dénoncés. Ils doivent être combattus et éliminés. Pour ce faire, il faut que les masses se mobilisent et se libèrent par l’action. L’esprit critique des masses, leurs initiatives doivent permettre d’écarter ces « éléments antiparti et antisocialistes », qui, au demeurant, ne représentent que 5 p. 100 des cadres et des militants. Les journaux muraux, les grands débats permettront de trier le bon grain de l’ivraie, étant bien entendu que l’on ne devra pas craindre les désordres. Cependant, des mises en garde sont faites contre certains excès ; d’autre part, il est bien précisé que la Révolution culturelle ne doit pas perturber la production. Enfin, la pensée de Mao Zedong est sublimée, et l’ensemble de la population est appelée à étudier ses œuvres d’une « façon créatrice ».

Si Liu Shaoqi n’est pas expressément nommé, les « équipes de travail » qu’il a inspirées sont, elles, violemment condamnées.


Le développement

Dès lors, le mouvement des gardes rouges prend de plus en plus d’ampleur. Les premières actions tendent à faire ressortir la persistance des influences en régime socialiste. D’autre part, en perquisitionnant chez d’anciens capitalistes, chez des propriétaires fonciers de naguère, les gardes rouges veulent prouver que la bourgeoisie n’est pas morte en Chine. Cette effervescence ne va pas sans certaines violences.

Bientôt, des millions de jeunes Chinois sillonnent le pays ; beaucoup convergent vers la capitale, transformée en un énorme campus.

Le 18 août 1966, Mao Zedong reçoit un million d’entre eux sur la place Tian’anmen. Il porte le célèbre brassard des gardes rouges. Par sept fois, le même scénario se répétera. Pour l’occasion, les dirigeants ont revêtu l’habit militaire, en hommage à la période héroïque du Jiangxi (Kiang-si), mais aussi pour souligner le rôle prépondérant attribué à l’armée.

On remarque d’autre part les changements de préséance. Si Liu Shaoqi passe de la deuxième à la septième place, Lin Biao, lui, devient « le plus proche camarade de combat du président Mao ». C’est d’ailleurs à lui qu’est confié l’honneur de s’adresser à cette foule enthousiaste. Zhou Enlai (Tcheou Ngen-lai* ou Chou En-lai) prendra aussi la parole.

L’utilisation, par Mao et ses alliés, de cet énorme instrument de propagande qu’est la jeunesse illustre bien toute l’habileté du vieux révolutionnaire. En effet, ces iconoclastes pleins d’ardeur, qui n’ont été soumis ni aux contraintes de la production ni à celles de l’appareil bureaucratique, sont tout désignés pour attaquer la « bande noire » de dirigeants du P. C. C. C’est d’ailleurs en ce sens que Mao Zedong a, le 5 août, rédigé son propre « dazibao » intitulé « Bombarder les états-majors ».