Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
R

révolution russe de 1917 (suite)

Du Moyen Âge au capitalisme russe

La position des mencheviks, les hésitations des bolcheviks en 1917 s’expliquent par le caractère proprement médiéval de la situation politique en Russie à cette époque : dictature de la bureaucratie nobiliaire, de la police, de l’armée et de l’Église orthodoxe ; soumission de la famille impériale à l’influence d’un Raspoutine ; importance de la population rurale (85 p. 100 des Russes vivent à la campagne), qui ne possède collectivement, sous la forme archaïque de la propriété communautaire du sol, le mir, qu’une partie insuffisante de la terre ; mortalité infantile et famines ; arriération culturelle ; etc. « Il n’y a nulle part en Europe un pays aussi sauvage », écrit Lénine. Cependant, un système capitaliste se forme lentement. Depuis 1906 (réforme de Stolypine), une nouvelle catégorie de grands paysans propriétaires apparaît, les koulaks. Surtout l’industrie moderne (charbon, pétrole, métallurgie) s’est développée, plaçant la Russie au cinquième rang des nations industrielles dans le monde. Mais elle est entre les mains (à 85 p. 100 pour les mines, à 50 p. 100 pour la métallurgie) du capital étranger (français, allemand et belge). Il y a déjà 3,5 millions d’ouvriers, fortement concentrés (l’usine Poutilov, à Petrograd, compte 24 000 travailleurs).


La guerre engendre la révolution

L’Empire russe, en tentant d’échapper à ses contradictions par la guerre, ira à sa fin. L’armée, essentiellement paysanne (9 soldats sur 10), subit de lourdes pertes (900 000 prisonniers en 1915). Elle coûte cher, ce qui déclenche l’inflation, et la crise du ravitaillement dès la fin de 1915. Les armes manquent sur le front, et les grèves sont nombreuses dans les villes. Même la bourgeoisie dénonce, par la bouche de l’industriel Pavel Pavlovitch Riabouchinski, « un gouvernement qui n’est pas à la hauteur ».

La majorité des mencheviks, suivant l’exemple des sociaux-démocrates occidentaux, soutient l’union sacrée des Russes dans l’effort de guerre. Lénine, au contraire, se fait l’apôtre du « défaitisme révolutionnaire », déclarant, dès novembre 1914, que « la transformation de la guerre impérialiste actuelle en guerre civile est le seul mot d’ordre prolétarien juste [...] ».


Février 1917

L’hiver 1916-17 marque le sommet de la crise : le froid est intense, et tout manque dans les villes ; les prix montent de 25 p. 100 en trois mois ; les grèves, intenses en octobre 1916 (près de 200 000 grévistes), reprennent en janvier 1917 ; les désertions se multiplient à l’armée. La bourgeoisie se prépare à éliminer Nicolas II* au profit de son frère Michel. Les ambassadeurs de France et de Grande-Bretagne favorisent le complot. Raspoutine est assassiné le 31 (18 anc. style) décembre. Trois présidents du Conseil se succèdent en deux mois.

Le « bureau russe du Comité central » du parti bolchevik a été organisé en 1916. Sous la direction de A. G. Chliapnikov et de V. M. Molotov, il décide l’organisation d’une grève générale avec manifestation le 21 (8) janvier 1917. Ce jour-là, le tiers des ouvriers de Petrograd fait grève, mais les manifestations contre la guerre et la vie chère sont un échec.

La douma a été suspendue par le tsar jusqu’au 27 (14) février. Les mencheviks, qui veulent unir ouvriers et bourgeois contre le tsarisme, décident une manifestation de soutien à la réouverture de la douma en exigeant la formation d’un gouvernement « de salut national ». Ce mot d’ordre, les bolcheviks le refusent ; ils appellent, pour leur part, à manifester le 26 (13) sur leur propre programme. Les deux journées connaissent un succès relatif. Mais, le 1er mars (16 févr.), le pain est rationné. À la suite d’une tentative de grève, l’usine Poutilov est fermée. Le 8 mars (23 févr.), à l’occasion de la journée internationale des femmes, grèves et manifestations pour le pain et la paix se multiplient dans les faubourgs ; les femmes y sont particulièrement actives. Le 9 mars (24 févr.), les manifestations reprennent ; les ouvriers se heurtent à la police, qui lire. Le 10 mars (25 févr.), les manifestants s’arment en pillant les commissariats. Le tsar et l’état-major envoient vers Petrograd des troupes sûres. Mais le 12 mars (27 févr.), deux régiments se joignent aux ouvriers du faubourg de Vyborg. Le ralliement d’une partie de l’armée est essentiel : il permet l’armement des ouvriers (40 000 fusils sont pris à l’arsenal). La ville est aux mains des insurgés. Le tsar ayant dissous la douma le 11 mars (26 févr.), celle-ci élit un comité provisoire pour le rétablissement de l’ordre. Cependant, comme en 1905, se constitue un soviet de Petrograd, formé par les mencheviks, sur la base d’un représentant pour 1 000 ouvriers. Les bolcheviks s’y rallient. Le soviet désigne un comité exécutif provisoire, qui comprend Kerenski*, des mencheviks et des bolcheviks. Une commission pour le ravitaillement est créée, les détenus sont libérés et les bâtiments officiels sont occupés. On lève une milice ouvrière. Le 14 (1er ) mars, des soviets se créent à Moscou et en province. Le tsar abdique le 15 (2) mars en faveur de son frère le grand-duc Michel, dont la renonciation au trône marque la fin de la monarchie tsariste. Les députés modérés de la douma forment un gouvernement provisoire, présidé par le prince Gueorgui Ievguenievitch Lvov (1861-1925). Nicolas II et sa famille sont arrêtés quelques jours plus tard.

Le gouvernement provisoire établit les libertés démocratiques. Les ouvriers ont joué avec les paysans-soldats un rôle décisif, mais leur expression politique reste hésitante, même au soviet. La bourgeoisie a, apparemment, pris le pouvoir.


Février-octobre : le double pouvoir


Les « thèses d’avril »

Le soviet de Petrograd avait lancé au début de mars le célèbre « prikaz no 1 », arrêt qui plaçait les unités militaires sous son contrôle et sous celui des comités de soldats. Dès le 19 (6) mars, le gouvernement provisoire, au contraire, rappelle aux soldats qu’ils doivent obéissance aux officiers. Le prikaz no 1 est annulé. Il y a en fait deux pouvoirs, en raison non pas de l’opposition du soviet au gouvernement — la majorité menchevik le soutient —, mais de l’existence, à côté du pouvoir bourgeois, d’un embryon de pouvoir populaire.