Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Révolution française (suite)

État laïc ? Il est vrai que les révolutionnaires se sont efforcés de mieux délimiter les rapports entre l’Église, à laquelle était retirée la tenue des registres de l’état civil, et l’État. Il est vrai que, même sous la Terreur, des Montagnards comme Robespierre ont voulu maintenir la liberté de conscience. Mais ces nouveaux rapports entre l’Église et l’État (v. Église constitutionnelle) ne se sont pas faits sans arrière-pensées et réticences de la part aussi bien de la bourgeoisie révolutionnaire que de cette fraction de l’Église dont on parle beaucoup moins que celle des contre-révolutionnaires : celle des « jureurs ». Les travaux de l’abbé Bernard Plongeron nous indiquent leur importance dans un débat qui est encore celui de la catholicité. Ces prêtres « républicains » ont voulu, comme le disait l’un d’entre eux, l’abbé Henri Grégoire (1750-1831), « rester toujours fidèles aux préceptes de l’Évangile tout en restant soumis aux lois de la Patrie ; ils ont montré la sublime alliance de la piété et de la liberté ». Mais si ces prêtres annoncent par certains aspects de leur action l’Église de Vatican II, ils sont aussi profondément enracinés dans leur siècle, ils veulent s’associer à l’État pour mieux lutter contre l’indifférentisme, ils ne songent pas à la séparation qui interviendra en 1794.

État de justice : la Révolution a commencé une codification qui sera lente et imparfaite, mais dont bénéficieront Napoléon et la France moderne. Mais comment oublier qu’il y eut dans les faits contradiction entre l’affirmation des principes et leur application. Tous les citoyens sont égaux au regard de la loi. Mais la justice demeure onéreuse et permet de mettre sur deux plans totalement différents le riche et le pauvre.

L’État a enlevé l’enseignement à l’Église. La Révolution a voulu satisfaire « ce premier besoin du peuple après le pain », comme le disaient les cahiers de doléances et comme le répétera Danton. Mais, là encore, les vœux n’ont pas été réalisés. L’effort a porté sur l’enseignement supérieur, et, à ce niveau, les réalisations remarquables ont été bien souvent le fait de la Convention : École normale supérieure, École des travaux publics (dont dérivera l’École polytechnique), Écoles de médecine. Des établissements scientifiques comme le Muséum d’histoire naturelle, le Conservatoire des arts et métiers sont nés. Mais l’enseignement secondaire n’a été rénové que sur le papier par la décision d’organiser une École centrale par départements, et l’enseignement primaire a été presque entièrement délaissé. Faut-il y voir la volonté de la bourgeoisie de constituer un enseignement gradué et sélectif au profit de ses fils ?


La « Grande Nation » et l’Europe

Liberté ou contrainte ? La Grande Nation, « sous le masque hypocrite des Droits de l’homme », n’a-t-elle pas poursuivi des buts impérialistes ? Elle a proclamé le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, la Liberté et l’Égalité ; elle a traité ses alliés en vassaux, elle n’a tenu aucun compte de la volonté populaire exprimée par le vote et elle a pressuré riches et pauvres. Ses généraux se sont exercés à l’extérieur au coup d’État, imposant des Constitutions qu’ils s’empressaient de violer, faisant et défaisant des gouvernements. La Grande Nation a asservi l’Europe ; avant l’Empire, celle-ci a commencé à se révolter.

Sans contester certains de ces faits, les historiens contemporains, tel J. Godechot, auteur de la Grande Nation, nous invitent à en retracer la genèse et à distinguer deux périodes, dont 1794 forme la charnière. Avant cette date, la France est bien terre de liberté. « Rédactrice des Droits de l’homme et du citoyen, championne du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, créatrice de l’État moderne, unifié, indivisible et centralisé », son image « restera désormais dans la mémoire des hommes [...]. C’est par référence à cette image qu’on va juger la politique de la France, non seulement à l’époque du Directoire, mais jusqu’à nos jours, et on la condamnera d’autant plus sévèrement qu’elle paraîtra contredire ou renier les principes que la Grande Nation avait proclamés » (J. Godechot).

En 1792-93, en effet, la Grande Nation mène une guerre défensive contre l’Europe des rois. La lutte qu’elle mène enthousiasme les peuples étrangers. Parmi bien d’autres exemples, voici la leçon que tire pour ses enfants un Allemand en apprenant les événements qui secouent la France : « Enfants, que vous êtes dignes d’envie, quels jours heureux et brillants se lèvent devant vous ! Maintenant, si vous ne vous créez pas chacun une position indépendante, la faute n’en sera qu’à vous. Toutes les barrières de la naissance et de la pauvreté vont tomber ; désormais le dernier d’entre nous va pouvoir lutter contre le plus puissant, à armes égales et sur un même terrain ! »

À l’intérieur même de la France, les « patriotes » étrangers en exil se mêlent aux assemblées populaires ou prennent rang dans les armées de la France. Ils incitent celle-ci à une guerre offensive et libératrice. Mais la guerre, transportée à l’extérieur des frontières de la République, pose le problème de l’approvisionnement des troupes. N’est-il pas légitime que les libérés partagent avec leurs libérateurs non seulement les avantages, mais aussi le prix de la liberté ? La Grande Nation incite ses généraux à réquisitionner « les vivres, fourrages, bestiaux, chevaux, cordes, fer, chanvre, toiles, cuirs, étoffes, laines et toutes espèces de hardes, le charbon, le bois de chauffage et tous les objets qui ne seront pas d’une nécessité indispensable ». La Commission des arts et de l’agriculture intervient pour obtenir l’établissement, auprès de chaque armée, d’une agence qui sélectionnera parmi les prises celles qui pourront être le plus utiles au « progrès des arts et de l’agriculture ou à la subsistance du peuple français ». C’est ainsi qu’au cours de l’été de 1794 la région autour de Bruxelles fournit près de 30 000 vaches, 6 683 génisses, 1 296 bœufs, 648 taureaux, plus de 16 000 moutons et 250 béliers. Les chefs de guerre ne firent pas toujours, lors de leur prélèvement, la distinction, recommandée par le gouvernement, entre le « château et la chaumière ». Les soldats eux-mêmes taxaient les populations. Ils s’irritaient de rencontrer auprès de ceux pour lesquels ils se sacrifiaient passivité et bientôt hostilité. Les étrangers veulent demeurer des esclaves, qu’on leur applique l’ancien droit de la guerre !