Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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revenus (suite)

Cette stabilité relative de l’inégalité des revenus a été l’origine d’une interrogation sur les facteurs de l’inégalité. L’analyse, de caractère surtout sociologique, a cherché à savoir pourquoi les individus, partant avec des aptitudes à peu près comparables, achèvent leur existence avec des différences de revenus considérables, parfois de l’ordre de 1 à 50. À ce sujet, on a fait valoir une multitude de facteurs, allant de l’influence génétique jusqu’à l’environnement (familial, social, urbain, rural) en passant par la réussite scolaire et le choix de la profession. Bien entendu, ces différents facteurs s’influencent mutuellement : il est bien évident, par exemple, que le choix de la profession est, dans une certaine mesure, dicté par le milieu social et la réussite scolaire.


La politique des revenus


L’enjeu

L’expression politique des revenus a acquis droit de cité dans le langage économique en raison du phénomène de l’inflation, de plus en plus généralisé au sein des économies occidentales après la Seconde Guerre mondiale, plus particulièrement depuis les années 60. Le degré de nouveauté inclus dans l’expression politique des revenus est d’ailleurs sujet à discussion, voire à équivoque. Il y a en effet longtemps que les gouvernements interviennent dans la répartition des revenus par des moyens tels que l’impôt, les prestations sociales, la fixation du salaire minimal, le soutien des prix agricoles, etc. Mais ces diverses actions avaient — et ont encore — un objectif limité. Leur but est de corriger la répartition des revenus telle qu’elle résulte des forces du marché, parce que cette répartition primaire est jugée mauvaise pour des raisons économiques ou surtout sociales. Dans la grande majorité des cas, ce qui est recherché, c’est une répartition plus équitable (ou considérée comme telle) ; les moyens d’action consistent alors essentiellement en transferts de revenus prélevés sur certains agents économiques pour être redistribués à d’autres. Aussi greffe-t-on sur la répartition initiale des revenus — processus primaire — des mécanismes correcteurs de répartition — processus secondaires —, aboutissant à une situation considérée comme plus conforme à l’équité. Il s’agit d’une correction plus ou moins ample, mais toujours limitée dans son inspiration et ses moyens.

La « politique des revenus », telle que cette expression est entendue après un emploi répété, a, en réalité, une signification infiniment plus large et d’autres ambitions. Elle prétend agir au stade même de la formation des revenus, donc au plan de la répartition primaire, pour éviter que le mouvement des rémunérations nominales ne mette en péril l’équilibre économique général, c’est-à-dire — avant tout — la stabilité de la monnaie et la croissance de l’économie. En effet, de plus en plus, il apparaît que le degré de stabilité de la monnaie n’est pas sans exercer une certaine influence sur la croissance de l’économie ; l’un et l’autre sont liés, comme le souligne l’évolution économique des pays occidentaux depuis 1960. Les pays relevant d’économies de type capitaliste manifestent, a-t-on souligné, une propension quasi permanente à l’inflation : en effet, les revenus en monnaie tendent à y croître plus vite que le volume de la production réelle. Les prix sont ainsi entraînés dans un mouvement de hausse qui présente des inconvénients bien connus (en particulier celui de menacer l’équilibre de la balance des paiements), à moins que le phénomène inflationniste n’atteigne pas simultanément ni avec la même acuité) tous les partenaires commerciaux du pays intéressé, hypothèse évidemment bien peu réaliste.

Or, en face d’un mouvement inflationniste, les gouvernements contemporains ne sont pas tellement désarmés : on dispose de la politique budgétaire et de la politique monétaire, qui réduisent le rythme de progression de la demande* effective. Mais l’expérience a montré que cela ne suffisait pas à résoudre le problème de l’inflation, ni surtout celui de la croissance économique à moyen terme. Une politique restrictive déclenche un ralentissement de l’expansion, voire une récession, et le niveau de l’activité est atteint sans que les prix baissent pour autant. Au bout d’un certain temps, il faut relancer l’expansion, ce qui ne manque pas de susciter de nouveau de l’inflation. Le processus économique de croissance se déroule donc par à-coups (« stop and go »), et le résultat, à moyen terme, s’analyse en une croissance réelle ralentie et en une dépréciation de la monnaie.

Pour éviter ces inconvénients, il est apparu que les moyens de régulation de la demande effective étaient insuffisants ; on a donc plaidé l’introduction de techniques nouvelles, comme, en particulier, une régulation spécifique au niveau même de la formation des revenus. Cette nécessité s’est imposée récemment (depuis les années 60) et elle est à la mesure de l’efficacité relative des moyens globaux de contrôle de la conjoncture* auxquels les économies occidentales ont eu recours. À partir du moment où l’économie capitaliste réussit, par une politique de plein-emploi, à éliminer le chômage ou, au moins, à le ramener à des niveaux tolérables et jusque-là inconnus ainsi qu’à accélérer son taux de croissance — deux résultats extrêmement bénéfiques en eux-mêmes —, elle se place en permanence dans une situation de tension : elle ne peut plus — comme cela se pratiquait ouvertement entre les deux guerres, ou, de manière inavouée, il y a encore quelques années — compter sur la crainte du chômage pour modérer les revendications de salaires, d’autant que les ressources productives sont utilisées au voisinage du maximum : en particulier, la main-d’œuvre surtout qualifiée est rare. Une telle situation est éminemment favorable à une hausse des revenus dépassant l’augmentation de la production réelle disponible.


Un problème : le glissement des salaires

La faiblesse du chômage et le niveau de la demande ont pour résultat d’accroître la pression des travailleurs sur les patrons* et de réduire la résistance de ceux-ci en face des revendications. Cette tendance est renforcée par l’accélération du progrès* technique et la demande croissante de qualifications toujours plus élevées et parfois nouvelles. Pour conserver une main-d’œuvre rare, on est prêt à consentir des sacrifices et à se livrer à des surenchères, qui, pour être localisées, ne s’étendent pas moins à l’ensemble des salaires et n’en font pas moins sentir leurs effets sur l’équilibre économique. En période de prospérité, l’intransigeance serait fâcheuse, car une grève empêcherait de satisfaire les commandes, sans compter que les travailleurs les plus sollicités pourraient quitter l’entreprise. D’autre part, comme la demande est intense, il n’est pas trop difficile d’inclure dans le prix les conséquences de la hausse du coût salarial par unité produite, conséquence inévitable d’accroissements de salaires dépassant l’amélioration de la productivité du travail.