Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Restauration (suite)

Les élections

Elles ne reflètent en aucun cas l’opinion d’un pays où, sur 30 millions d’habitants, on compte 90 000 électeurs, soit 1 électeur sur 100 Français majeurs, et environ 16 000 éligibles. La manipulation des scrutins est une des armes essentielles du gouvernement, et Decazes comme Villèle pratiquent systématiquement les dégrèvements fiscaux dans le but de radier des listes les opposants. Entre 1820 et 1829, on élimine ainsi 4 000 éligibles. Le 12 juin 1820 est votée la loi dite « du double vote ». Dans ce système, l’ensemble des électeurs vote une première fois dans les collèges d’arrondissement — les petits collèges — pour élire les trois cinquièmes des députés. Ensuite, le quart des électeurs les plus imposés vote une seconde fois au chef-lieu du département — le grand collège — pour élire les deux cinquièmes restants, ce qui favorise outrageusement les riches propriétaires fonciers. Sur ce corps électoral restreint — le général Sébastiani était élu député de la Corse par... 28 voix —, toutes les pressions administratives sont possibles. Menaces, marchandages et manœuvres illégales se donnaient libre cours. La Chambre des pairs, nommée et non élue, sert aussi d’arme, au moment décisif, pour briser tantôt l’opposition ultra (Louis XVIII nomme 59 pairs en 1819 pour renforcer Decazes), tantôt celle des libéraux (une nouvelle fournée de 76 pairs est créée en novembre 1827 par Charles X à la veille des élections à la Chambre des députés).


La guerre des élites

La France de la Restauration vit la phase terminale d’un Ancien Régime politiquement disparu, mais qui se prolonge encore dans les structures économiques et sociales : des modes de production traditionnels largement dominants ; une société où les hiérarchies et la considération procèdent encore de survivances. Cette période est aussi probablement celle où a éclaté le premier vrai conflit de classes du xixe s., lutte pour le maintien ou la conquête de la suprématie engagée entre l’aristocratie foncière et la bourgeoisie, et qui s’achève en juillet 1830 par le triomphe de la seconde. Guerre totale, si l’on peut dire. Elle se déroule sur tous les plans et utilise tous les moyens : religion, mode de scrutin, morale, journalisme, patriotisme, rôles d’imposition. Guerre fatale ! Ce n’est pas sûr. Les Bourbons avaient pu revenir et se maintenir grâce aux circonstances exceptionnelles nées de la défaite impériale. En 1814, la lassitude des désordres et des guerres leur avait rallié une grande partie de la nation, à commencer par les futurs chefs de l’opposition libérale. Mais l’aristocratie, qui constituait l’assise sociale du régime, demeurait obstinément attachée à un système de valeurs totalement dépassées, qui reposait avant tout sur le sentiment de son exclusive prééminence. Érigeant cet exclusivisme en système et l’intolérance en dogme, elle refoula avec hauteur une bourgeoisie ambitieuse et en pleine ascension, qui ne demandait à l’origine que le partage des responsabilités.

Les journées de juillet 1830

À quand remonte en fait la débâcle de la Restauration ? On peut invoquer l’avènement de Charles X, le roi des ultras, inconscient et maladroit, qui ravive les plaies au lieu de les panser et qui, après avoir lâché Villèle, puis Martignac, s’en remet à la pire des expériences, le ministère Polignac (1829). Ou encore 1820, le tournant à droite opéré après l’assassinat du duc de Berry ? Une chose est sûre : 1815 avait été subi, mais jamais oublié.

Le 25 juillet 1830, Charles X, invoquant l’article 14 de la Charte, signe les quatre ordonnances célèbres par lesquelles la liberté de la presse est suspendue, la Chambre dissoute et la loi électorale révisée. C’est le coup d’État légal, la riposte du trône à l’offensive libérale, renforcée par le triomphe de l’opposition aux élections de juillet. La décision est d’une exceptionnelle gravité, mais à Saint-Cloud on affecte la sérénité et on compte beaucoup sur l’effet psychologique de l’expédition d’Alger.

Lundi 26 juillet

Les milieux politiques semblent pris au dépourvu. C’est le monde de la presse qui réagit vivement quand paraît l’arrêté du préfet de police interdisant d’imprimer les journaux qui n’ont pas reçu l’autorisation. Dans l’après-midi du 26, rédacteurs et journalistes des principaux organes d’opposition rédigent au bureau du National une protestation : « Le régime légal étant suspendu... l’obéissance cesse d’être un devoir. » Le texte est distribué dans les rues et dans les cabarets. Les imprimeries débauchent leur personnel et quelques industriels les imitent. Des attroupements se forment sur les boulevards, au tribunal de Commerce et au Palais-Royal. Vers le soir, ouvriers du livre et étudiants manifestent. La pègre s’en mêle. Il y a des bousculades et des vitres cassées. Tandis qu’à Saint-Cloud le roi rentre de la chasse, la Bourse inquiète enregistre une légère baisse.

Mardi 27 juillet

Premier acte de résistance : le National, le Temps et le Globe paraissent sans autorisation et publient le manifeste des journalistes. Rue de Richelieu, la police saisit les presses du Temps, incident habilement exploité par les libéraux. Plusieurs milliers d’ouvriers et d’artisans désœuvrés sont dans la rue. Les heurts se multiplient et s’aggravent. On pille des armureries. Si les députés d’opposition brillent par leur absence ou leur pusillanimité, les chefs des sociétés secrètes républicaines sortent de l’ombre et cherchent à encadrer les masses. Devant la dégradation de la situation, Charles X confie au maréchal Marmont, duc de Raguse, le commandement de la garnison de Paris. Choix malheureux. Le duc de Raguse est capable, mais vénal et impopulaire. Clairvoyant, il se rend compte que rien n’a été préparé. L’armée est à Alger, beaucoup de régiments dans de lointaines garnisons de province. Le gouvernement dispose sur place de 20 000 hommes. Mais les « lignards » ne suivront que si la garde nationale est à leurs côtés. Or, la garde est dissoute, et les « épiciers-janissaires » hostiles au régime n’ont revêtu leur uniforme que pour défendre leur boutique. Marmont, prudent ou complice, dispose ses troupes sans zèle excessif. Hormis La Fayette et Laffitte, qui tentent vainement d’entraîner leurs collègues, les chefs parlementaires de l’opposition adoptent la même attitude d’expectative.

Thiers s’est mis à l’abri, et Casimir Perier fustige les fauteurs de trouble. Où sont les 221 ?