Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
R

ressources naturelles (suite)

La situation en ce qui concerne les ressources non renouvelables est apparemment plus critique : il paraît évident que les premières mines ouvertes s’installent là où les conditions sont les plus favorables à une extraction à des coûts très faibles. Au fur et à mesure que les besoins augmentent, on est amené à mettre en exploitation de nouveaux gisements, qui sont moins faciles à mettre en valeur, ou moins bien placés vis-à-vis des utilisateurs. Le prix de revient de la production marginale augmente, et, comme les premiers sièges s’épuisent, l’augmentation des coûts se développe même si la population n’augmente pas, si ses besoins ne croissent pas, même si, à la limite, on a affaire à une population décroissante aux besoins décroissants.

Lorsqu’on étudie comment ont évolué les prix des matières premières depuis un siècle, on constate cependant qu’il y a eu stabilité plutôt qu’augmentation. Dans le domaine des produits agricoles, la hausse est assez compréhensible, encore que celle des denrées alimentaires ait été très modérée, eu égard à l’augmentation rapide de la population mondiale. Celle des produits forestiers a été plus rapide, ce qui est assez normal puisque les usages industriels se sont multipliés avec l’essor de la consommation de papier alors que les superficies enforestées diminuaient à la mesure même des progrès de la production agricole.

Mais ce qui est plus paradoxal, c’est de voir que les produits minéraux coûtaient moins cher en 1970 qu’un siècle auparavant. En prix constants, leur valeur a baissé rapidement jusqu’aux environs de 1900 et, pendant plus d’un demi-siècle, elle a fluctué, avec même, jusqu’à la fin des années 1960, une tendance légère au fléchissement.

Pourquoi cette évolution paradoxale ? Pourquoi cette longue baisse des prix des produits minéraux, alors qu’ils devraient logiquement avoir toujours tendance à la hausse ? Essentiellement parce que la technologie de l’exploitation et celle du transport ont changé, et que l’exploration géologique a progressé. Bien souvent, les premiers gisements exploités sont les plus proches, les plus faciles à mettre en valeur, parce que superficiels. Ce ne sont pas ceux qui offrent les possibilités réelles les meilleures. Le jeu des économies d’échelle permet de tirer parti de ressources jugées longtemps trop médiocres. Ainsi, les moyens modernes d’extraction à ciel ouvert et les procédés de concentration sur le carreau des exploitations élargissent sans cesse le champ des ressources utilisables à bon compte : on s’est mis ainsi à extraire les taconites du lac Supérieur, longtemps estimées trop pauvres. Pour la production du cuivre, la teneur minimale pour qu’un minerai soit exploitable était de 3 p. 100 en 1880. Elle est aujourd’hui de l’ordre de 0,6 ou de 0,7 p. 100.

Un autre facteur explique l’abondance à court et à moyen terme des ressources minérales, que traduit la stabilité ou la baisse de leur prix : ce sont les substitutions. Lorsqu’un produit se raréfie, que son prix augmente, on apprend à le remplacer par d’autres, fournis à meilleur compte. Le cuivre supplante le plomb pour les conduites d’eau, en attendant peut-être que les matières plastiques le chassent à son tour... Les progrès de la chimie multiplient ces chasses-croisés.

Dans les années 1970, l’évolution des prix des ressources naturelles est bien différente. Les hausses spectaculaires et répétées du pétrole brut donnent le ton, entraînant des augmentations sensibles non seulement dans l’ensemble du secteur de l’énergie (gaz naturel, charbon), mais par contagion dans la plupart des autres productions du sol (coton) ou du sous-sol (phosphates). En réalité, l’ère des conquêtes coloniales étant révolue et la dépendance du monde industrialisé atteignant un tel niveau à l’égard des ressources naturelles fournies par les pays du tiers monde, il s’ensuit que, désormais, ceux-ci, faibles consommateurs de leurs richesses naturelles, sont en mesure d’imposer leurs conditions sur le marché mondial. Celui-ci est devenu un marché d’acheteurs et non plus de vendeurs, comme avant 1970. L’augmentation générale du prix des ressources naturelles n’est d’ailleurs qu’une traduction de cette transformation qui se concrétise encore par d’autres actions, plus radicales sinon toujours plus efficaces, nationalisations en tête.


Abondance ou pénurie ?

À très long terme, les perspectives sont relativement sombres. La consommation des matières premières augmente à un rythme géométrique, et les stocks sont limités. Dans l’immédiat, il est difficile de prévoir un ralentissement de la croissance : même si les pays riches renonçaient à développer leur production, la satisfaction des besoins du tiers monde impliquerait un taux de croissance très élevé, et de plus en plus accéléré si la progression de leur population ne s’arrête pas.

On connaît les travaux du club de Rome (1972). Un certain nombre de chercheurs ont essayé de voir ce qui se produirait si les tendances actuelles se maintenaient en matière d’évolution de population, de technologie et de niveau de consommation individuelle. Ils ont tenu compte de toutes les interactions connues de secteur à secteur et n’ont négligé que les effets d’anticipation qui peuvent infléchir les comportements à partir de l’appréciation qu’on a du futur. Dans cette hypothèse, la moitié des ressources naturelles globalement exploitables serait épuisée vers 2010 ; les niveaux de consommation individuels en matière agricole et industrielle commenceraient à fléchir à partir de cette date ; la croissance de la population serait bloquée par la rareté des ressources vers 2050 ou 2060, puis le nombre des hommes diminuerait très vite.

Les résultats obtenus avec des hypothèses un peu moins restrictives ne sont guère meilleurs : en supposant qu’on puisse doubler le montant des ressources exploitables grâce à une meilleure technologie, le point critique se trouve reculé d’une vingtaine d’années, mais à long terme le drame se dénoue de même. Si on tient compte du progrès technologique dans d’autres domaines, la période de pénurie croissante est repoussée de trente, quarante ou cinquante ans, mais arrive toujours avant la fin du xxie s.