Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
R

responsabilité (suite)

La responsabilité administrative

Le régime juridique français de la responsabilité administrative a été élaboré par la jurisprudence du Conseil d’État et du Tribunal des conflits (v. administration). Les solutions apportées aux deux problèmes principaux que pose la responsabilité — titulaire et étendue de cette responsabilité — montrent que la responsabilité administrative est une construction juridique originale.

Le titulaire de la responsabilité

Écartant à la fois la mise en jeu systématique de la responsabilité du fonctionnaire auteur d’un dommage (ce qui aurait risqué de paralyser tout esprit d’initiative) comme celle — exclusive — de la personne publique du fait de ses agents ou du fonctionnement de ses services publics, le droit administratif français a choisi avec l’arrêt Pelletier (Tribunal des conflits, 30 juill. 1873) un système mixte fondé sur la distinction de la faute personnelle et de la faute de service.

L’Administration n’est responsable vis-à-vis des administrés que si l’acte dommageable commis par son agent constitue une faute de service. Le fonctionnaire, auteur du dommage, est seul responsable en cas de faute personnelle. (Dans ce cas, la victime s’adresse au juge judiciaire qui applique les règles du droit civil, car il s’agit alors d’un litige entre particuliers.)

Se ralliant à un critère subjectif, certains auteurs définissent la faute personnelle comme celle qui « révèle l’homme avec ses faiblesses, ses passions, ses imprudences » (Laferrière), alors que, pour d’autres, c’est la « faute lourde ». (Jèze). Plus nette que la doctrine, la jurisprudence définit la faute personnelle comme la faute commise par le fonctionnaire en dehors de l’exercice de sa fonction (dans sa vie privée par exemple), ou la faute commise dans l’exercice de la fonction, mais qui en est détachable en raison de son caractère intentionnel ou de sa gravité.

Logiquement, cette distinction conduit à la mise en jeu de la responsabilité de l’Administration ou de celle du fonctionnaire. Or la jurisprudence a admis et même étendu le cumul des responsabilités : la responsabilité de l’Administration peut être engagée en cas de « pluralité de fautes » (faute personnelle et faute de service), comme en cas de faute unique commise à l’occasion du service (arrêt Lemonnier, 1918), ou hors du service si l’acte dommageable « n’est pas dépourvu de tout lien avec le service ».

Le cumul des responsabilités n’implique pas, cependant, celui des indemnisations, et l’Administration, le plus souvent actionnée par la victime, dispose depuis l’arrêt Laruelle (Conseil d’État, 28 juill. 1951) d’une action récursoire pour se faire rembourser par le fonctionnaire.

L’étendue de la responsabilité

La souveraineté de l’État a longtemps été considérée comme impliquant son irresponsabilité. Puis la responsabilité de l’État fut admise dans les cas limites où il agissait comme une personne privée. Affirmant l’autonomie de la responsabilité administrative, l’arrêt Blanco (tribunal des conflits, 8 févr. 1873) provoque l’extension de cette responsabilité. Des trois conditions exigées pour mettre en jeu la responsabilité de l’Administration : préjudice, fait dommageable, fonction étatique, ce sont les deux dernières qui ont le plus bénéficié de cette extension.

Le fait dommageable
Le système de responsabilité du droit administratif se distingue de celui du droit civil par la place qu’il donne au risque à côté de la faute, celle-ci jouant à titre principal. Le droit commun de la responsabilité exige une faute de l’Administration que la victime doit prouver : faute de service, s’il s’agit de la faute individuelle d’un fonctionnaire, faute du service public s’il s’agit de mauvaise organisation ou de fonctionnement défectueux du service. L’idée d’égalité des individus devant les charges publiques, fondement de la théorie du risque, présentait des inconvénients financiers si elle était généralisée. La jurisprudence n’admet donc la responsabilité pour risque qu’à titre complémentaire, limitant son application à des domaines précis (travaux publics par exemple) où exigeant pour la faire jouer une donnée exceptionnelle telle qu’un « risque anormal de voisinage » ou une prérogative exorbitante de l’Administration.

La fonction publique, cause du dommage
Quand elle a été admise, la responsabilité de l’État a longtemps été limitée à sa fonction administrative (responsabilité du fait des règlements administratifs par exemple). L’idée de souveraineté semblait exiger l’irresponsabilité absolue de l’État législateur. Mais des textes prévoyant une indemnisation, et surtout l’arrêt La Fleurette (1938), insistant sur l’idée d’égalité devant les charges publiques, firent admettre la possibilité d’une responsabilité de l’Administration dans ce domaine. Le Conseil d’État limite néanmoins les cas où cette responsabilité peut être recherchée en exigeant des conditions très strictes.

Fondée aussi sur l’idée de souveraineté, l’irresponsabilité de l’État à l’occasion de sa fonction juridictionnelle demeure la règle. Bien que certains aient dénoncé là une lacune du droit, cette irresponsabilité, conséquence du principe de l’autorité de la chose jugée, semble ne pas devoir bénéficier, pour le moment, des progrès constants que réalise la théorie de la responsabilité de l’Administration.

F. S.

M. C.

➙ Accident / Accidents du travail / Assurance / Sécurité sociale.

 H. et L. Mazeaud et A. Tunc, Traité théorique et pratique de la responsabilité civile délictuelle et contractuelle (Sirey, 1947-1950 ; nouv. éd., Montchrétien, 1965-1970 ; 3 vol.). / C. Beudant, Cours de droit civil, t. IX bis (Rousseau, 1952). / H., L. et J. Mazeaud, Leçons de droit civil, t. II (Montchrétien, 1956 ; 4e éd. par M. de Juglart, 1969, 2 vol.). / J. Carbonnier, Droit civil, t. IV (P. U. F., 1957 ; 6e éd., 1969). / G. Marty et P. Raynaud, Droit civil, t. II (Sirey, 1962). / D. Rasy, les Frontières de la faute personnelle et de la faute de service en droit administrant français (L. G. D. J., 1962). / G. Viney, le Déclin de la responsabilité individuelle (L. G. D. J., 1965). / C. Emeri, De la responsabilité de l’administration à l’égard de ses collaborateurs (L. G. D. J., 1966). / A. Tunc, la Sécurité routière ; esquisse d’une loi sur les accidents de la circulation (Dalloz, 1966). / R. Savatier, Comment repenser la conception française actuelle de la responsabilité civile (Dalloz, 1967). / X. et B. Delcros, la Responsabilité administrative (la Documentation française, 1972). / N. Jacob et P. Le Tourneau, Assurances et responsabilité civile (Dalloz, 1972-1974 ; 2 vol.). / B. Starck, Droit civil. Obligations (Libr. techniques, 1972). / M. L. Rassat, la Responsabilité civile (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1973). / G. Boyer-Chammard et P. Monzein, la Responsabilité médicale (P. U. F., 1974). / F. Chabas, Responsabilité civile et responsabilité pénale (Montchrestien, 1975).