Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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réquisition (droit de) (suite)

Origine

Traditionnellement, l’idée que chaque combattant faisait la guerre* à son profit impliquait pour lui le droit de prélever des biens — vivres, vêtements, esclaves... — dont il avait besoin. Mais c’est avec l’Empire romain qu’apparaît une véritable réglementation des réquisitions, destinée à protéger les citoyens et les alliés : d’une part, un impôt spécial en nature — l’annone — est créé, qui permet à l’armée de rassembler tout l’approvisionnement nécessaire en vue d’une campagne ; d’autre part, Dioclétien* impose aux habitants des frontières les réquisitions de logement, fondées jusque-là sur les traditions de l’hospitalité antique (« munus hospitii »).

S’inspirant du droit romain, le droit français va conserver ce double aspect des réquisitions : prestations en nature et prestations de logement. La féodalité* réalise l’extension des réquisitions : d’une part, l’obligation de fournir des cantonnements s’impose à l’habitant sous diverses formes ; d’autre part, le « jus mansionaticum » autorise ceux qui voyagent dans l’intérêt de l’État à réclamer une foule de prestations. Enfin, le privilège royal du « droit de prises » constitue l’ancêtre direct du droit moderne des réquisitions. La Révolution française autorise les réquisitions, qui « suppriment pourtant la propriété ». Mais c’est la guerre franco-allemande de 1870 qui, en consacrant l’inefficacité de la législation des réquisitions, va susciter la création de l’actuel droit de réquisition.


Conditions d’exercice

Deux lois organisent le régime général des réquisitions : la loi du 3 juillet 1877 pour les réquisitions militaires ; la loi du 11 juillet 1938 pour les réquisitions civiles. Des régimes particuliers, tel le logement d’office, existent par ailleurs.

• Conditions de fond. Sous la loi de 1877, le droit de réquisition apparaît, conformément à son origine, comme un droit limité :
— par son emploi (« institution du temps de guerre », il s’exerce en cas de mobilisation ou de rassemblement des troupes) ;
— par son but (il ne peut être utilisé « qu’en vue de satisfaire un intérêt proprement militaire ») ;
— par son objet, qui est principalement l’acquisition de biens mobiliers, ce qui le distingue de l’expropriation, mode d’acquisition forcée des immeubles.

Accusée par certains auteurs d’avoir fait perdre à la réquisition son caractère d’institution de crise, la loi de 1938 réalise l’extension de ces trois éléments :
— ouvert désormais « en période de tension extérieure lorsque les circonstances l’exigent », le droit de réquisition tend à devenir permanent avec la loi du 28 février 1950, qui proroge sine die l’application de la loi de 1938 ;
— pouvant être utilisée à la « satisfaction des besoins du pays », la réquisition civile peut, désormais, servir des buts multiples ;
— la totalité des ressources en hommes et en biens est pratiquement mise au service du pays, ce qui permet la réquisition des biens (propriété des meubles, mais aussi usage des immeubles), des personnes, des services et des entreprises.

• Conditions de forme. Procédure de contrainte, le droit de réquisition s’accompagne de garanties de procédure :
— obligatoirement écrite et signée, la réquisition est faite par le maire et doit respecter le principe de l’égale répartition des charges entre les habitants de la localité ;
— les ministres, pour la réquisition civile, le ministre de la Défense et certains généraux, pour la réquisition militaire, détiennent seuls le droit de réquisition avec la possibilité de le déléguer.


Effets du droit de réquisition

• L’indemnisation. Récente, l’allocation d’une indemnité a dépouillé en partie le droit de réquisition de son caractère spoliateur. Mais, contrairement à l’indemnité « préalable », due en matière d’expropriation, elle n’est réglée que postérieurement à la réquisition. Cela constitue une garantie inférieure, qui s’explique par le caractère d’urgence et de nécessité de toute réquisition. Fondée sur le principe de l’égalité des citoyens devant les charges publiques, l’indemnité est évaluée selon des barèmes et tarifs préétablis, fixés soit par commission, soit par la juridiction civile.

• Les sanctions pénales. Pour permettre au droit de réquisition d’« obliger » les particuliers à fournir les prestations demandées, la loi de 1938 prévoit des sanctions pénales (emprisonnement et amendes) à l’encontre des personnes refusant de déférer aux réquisitions « légalement » ordonnées.


Le contentieux

Procédé de cession forcée, le droit de réquisition a suscité par son utilisation des incidents et fait naître un contentieux, notamment lors de la Seconde Guerre mondiale. Le juge administratif est en principe le juge compétent tant pour le contentieux de la légalité, puisque la réquisition est un acte administratif unilatéral, que pour le contentieux de l’indemnité, puisque cet acte est provoqué par une activité de l’Administration. Des textes spéciaux et la théorie de la voie de fait permettent néanmoins à la compétence judiciaire de s’appliquer dans certains cas.

Types particuliers de réquisition

1. Les réquisitions de personnels des services publics

Elles sont autorisées par une loi du 11 juillet 1938 : elles servent au gouvernement pour lutter contre les grèves dans lesdits services.

2. Les réquisitions pour logement d’office

Procédure spéciale destinée à remédier à la crise du logement, elles sont décidées par le préfet pour une période d’un an renouvelable. Elles ne peuvent s’appliquer qu’à des locaux vacants, inoccupés ou insuffisamment occupés. Le bénéficiaire doit remplir certaines conditions : être dépourvu de logement ou logé dans des conditions insuffisantes, ou bien encore être sous le coup d’une mesure d’expulsion définitive. La réquisition donne lieu au paiement par lui d’une indemnité d’occupation dans les limites du prix licite en matière de loyer.