Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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République (Ve) (suite)

Georges Pompidou fait appel à un Premier ministre de conciliation, l’ancien président de l’Assemblée nationale Jacques Chaban-Delmas (21 juin 1969 - 7 janv. 1971). Le ministère des Finances et Affaires économiques et celui de l’Agriculture sont confiés à deux hommes dont le ralliement en mai a assuré son succès en juin : Valéry Giscard d’Estaing et Jacques Duhamel, qui président respectivement aux destinées des républicains indépendants et de Progrès et démocratie moderne, groupe qui sert bientôt de berceau au Centre démocratie et progrès (C. D. P.), fondé le 4 juillet.

Désireux de renouveler le régime dans le cadre de la « nouvelle société », Jacques Chaban-Delmas procède à un certain nombre de réformes sociales. Il est critiqué pour son esprit d’ouverture par Présence et action du gaullisme et par les Comités de défense de la République (C. D. R.) ; aussi ne maintient-il qu’avec difficulté la cohésion de l’U. D. R., qui remporte pourtant toutes les élections partielles, à deux exceptions près : celle du secrétaire général du P. S. U., Michel Rocard, dans les Yvelines le 26 octobre 1969 et celle du secrétaire généra] du parti radical-socialiste, Jean-Jacques Servan-Schreiber, à Nancy le 28 juin 1970, respectivement au détriment de Maurice Couve de Murville et de Roger Souchal. Mais, puisant une nouvelle autorité dans sa réélection comme député de Bordeaux, le 20 septembre suivant, avec 63,55 p. 100 des suffrages exprimés, le Premier ministre constitue un second gouvernement (7 janv. 1971 - 5 juill. 1972), au sein duquel se trouve renforcé le rôle de personnalités proches du chef de l’État, tels Robert Poujade et Jacques Chirac, nommés respectivement ministre délégué de la Protection de la nature et de l’environnement et ministre délégué chargé des Relations avec le Parlement. En fait, l’autorité du gouvernement est ébranlée peu à peu par de nombreuses attaques venues souvent du sein même de la majorité (critique des cinq présidents de commission de l’Assemblée nationale contre la « mauvaise conception » des rapports entre l’exécutif et le législatif le 12 juillet 1971), par des échecs relatifs (39,64 p. 100 d’abstentions lors du référendum du 23 avril 1972 sur l’élargissement de la C. E. E.), par des scandales financiers exploités pendant l’hiver et le printemps 1971-72 par une opposition qui cherche à se regrouper en vue des élections législatives de mars 1973.

Prenant acte de la dislocation de la F. G. D. S. au lendemain des élections de juin 1968, le congrès d’Issy-les-Moulineaux (11-13 juill. 1969) fonde un nouveau parti socialiste (N. P. S.) sur les ruines de la S. F. I. O. et choisit pour premier secrétaire Alain Savary. Le 18 décembre, celui-ci décide d’entamer avec le parti communiste (dont Georges Marchais devient le secrétaire général adjoint le 8 février 1970) un dialogue, qui se révèle difficile en raison des suites de l’affaire tchécoslovaque. Le dialogue est repris par François Mitterrand, devenu premier secrétaire du parti socialiste. Socialistes et communistes élaborent un « programme commun de gouvernement » le 27 juin 1972, au contenu duquel se rallie l’aile gauche du parti radical-socialiste. Par contre, ce programme est condamné par le Mouvement réformateur, né de l’accord conclu le 3 novembre 1971 entre Jean Lecanuet au nom du Centre démocrate et Jean-Jacques Servan-Schreiber au nom du parti radical-socialiste, dont il est devenu président (15-17 oct. 1971). Renforcé par le Parti de la démocratie socialiste (P. D. S.) d’Émile Muller, par le Mouvement national progrès et liberté de Jacques Soustelle, par le Parti libéral européen de Jean-Paul David et par le Centre républicain d’André Morice, le Mouvement réformateur se présente comme une « force de proposition » qui s’insère difficilement au centre de l’échiquier politique, entre une opposition de gauche renforcée et une majorité à laquelle le chef de l’État entend donner une crédibilité politique nouvelle en substituant le 5 juillet 1972 à la tête du gouvernement Pierre Messmer à Jacques Chaban-Delmas, malgré le vote de confiance accordé à ce dernier par l’Assemblée nationale le 24 mai précédent.

En fait, la morosité ne se dissipe pas malgré une situation économique qui reste favorable. Pour donner aux candidats de la majorité un projet d’avenir à opposer à celui de la gauche unie, Pierre Messmer élabore au cours d’une campagne électorale acharnée le programme de Provins, qu’il présente le 7 janvier 1973 et qu’il s’engage à faire appliquer au cours de la nouvelle législature. Aux élections des 4 et 11 mars, c’est la majorité qui l’emporte. Sans doute, l’U. D. R. n’a-t-elle plus que 184 élus ; mais, avec l’appoint des 54 députés républicains et avec celui des 23 députés C. D. P., elle peut se maintenir au pouvoir, tandis que l’opposition de gauche se renforce en particulier grâce aux succès remportés par le P. C. F. (73 élus) et plus encore par l’U. G. D. S. (Union de la gauche démocrate et socialiste) [100 élus]. Ne comptant, par contre, que 32 élus, le Mouvement réformateur ne peut même pas espérer jouer le rôle d’arbitre au sein de la nouvelle Assemblée, dont la composition souligne la tendance à la bipolarisation de la vie politique française. Le 2 avril, Edgar Faure est élu président de l’Assemblée nationale. Le deuxième gouvernement Messmer, constitué le 6, renonce au concours de Michel Debré ; il fait appel à celui de Michel Poniatowski, secrétaire général de la Fédération nationale des républicains indépendants, dont le vote négatif lors du référendum du 27 avril 1969 a été peu apprécié des partenaires les plus fidèles du général de Gaulle.

La majorité apparaît donc moins cohérente à l’opinion publique à l’heure où elle entreprend des réformes : création d’un médiateur (v. ombudsman) chargé de défendre le citoyen contre l’arbitraire de l’Administration (loi du 3 janvier 1973 ; nomination d’Antoine Pinay à ce poste le 24 janvier) ; mise en application, à partir du 1er janvier 1974, de la loi sur la régionalisation ; préparation par Jean Royer de la loi réformant le commerce et l’artisanat ; difficile élaboration de la loi concernant la libéralisation de l’avortement, condamnée par de nombreux députés de la majorité... En fait, c’est tout le problème de la qualité de vie qui se trouve posé au gouvernement à l’heure où, après la quatrième guerre israélo-arabe, l’augmentation du prix de vente des matières premières — et en particulier du pétrole — par les pays producteurs semble remettre en cause la prospérité économique d’un pays très attaché à l’idée de croissance continue, même si certains de ses membres la contestent en tant que support de la société de consommation, génératrice d’une insatisfaction permanente.

Le 27 février 1974, Pierre Messmer remet la démission de son gouvernement au président de la République ; le jour même, G. Pompidou le désigne de nouveau comme Premier ministre.