Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Asie de la mousson (suite)

Cependant, au moment où le bouddhisme semble triompher (ve-xe s.), sa position en Inde même est déjà très fortement menacée. Ses conquêtes n’ont sans doute été qu’apparentes : la société indienne est restée hindouiste dans son fond et a réagi vigoureusement aux conceptions égalitaires du bouddhisme ; il n’est pas certain que les monarques gupta aient été bouddhistes. Les conquêtes bouddhiques, en tout cas, ont été partielles : les États du Deccan sont hindouistes (Pallava, puis Chola, xe-xiiie s.), ainsi que les monuments de Mahābalipuram (viie s.), d’Ellorā et d’Elephanta (viiie-ixe s.), et la plaine du Gange dans sa partie occidentale l’est peut-être aussi. Ce sont les Rājpūts hindouistes qui s’opposent, aux xie et xiie s., aux Turcs musulmans et sont vaincus à Thānesar par Muḥammad de Ghor (1192). La victoire musulmane a sans doute porté le coup de grâce au bouddhisme dans l’Inde, là où il était resté le plus fort, dans la vallée moyenne du Gange : les communautés de moines bouddhistes étaient particulièrement vulnérables. Les musulmans dominent désormais l’Inde jusqu’au milieu du xviiie s. ; les grands monuments de Delhi et d’Āgra (Tādj Mahall) sont musulmans. L’islām s’implante fortement dans les plaines de l’Indus. Mais ce serait volontairement par haine de l’hindouisme et de sa hiérarchie des castes que les Bengalis bouddhistes, en majorité, se seraient convertis à l’islām.

À Java, le bouddhisme du grand véhicule a sans doute décliné dès le xie s. Les royaumes de Singasari et de Majapahit (Java oriental à partir du xiiie s.) sont hindouistes ; ce dernier sera vaincu par les musulmans vers 1520. Au xvie s., l’Indonésie entière est musulmane, sauf l’île de Bali, où se maintiennent les cultes hindouistes.

En Asie centrale, les musulmans se sont emparés des oasis du Turkestan et du Xinjiang (Sin-kiang), où des populations turques se substituent aux autochtones aryens : le bouddhisme chinois est privé de ses sources indiennes. Une réaction nationale fait, sous les Song, triompher en Chine un néo-confucianisme (xiie s.). Le bouddhisme du grand véhicule, en Chine et au Viêt-nam, se maintient dans quelques monastères et survit, sous une forme très abâtardie, dans le syncrétisme religieux populaire, conjointement avec la morale confucéenne, le culte des ancêtres, des superstitions animistes, la croyance aux génies et quelques traces de mystique taoïste : la tendance populaire est la déification du Bouddha. Au Japon, le shintoïsme, qui est surtout un culte national de la nature, réduit l’influence bouddhiste aux monastères (bouddhisme zen en particulier) : toutefois, les Japonais, s’ils pratiquent le shintoïsme, fréquentent aussi les temples bouddhistes. Enfin, le bouddhisme du grand véhicule et l’hindouisme ont cédé la place, à partir du xiiie s., au bouddhisme du petit véhicule ou du Sud (theravāda), originaire de Ceylan, de la Birmanie, de la Thaïlande, du Cambodge et du Laos, où il imprègne profondément la vie des peuples, y compris leur vie quotidienne.

L’Asie de la mousson est ainsi divisée en deux mondes : le monde sinisé, qui est pragmatique, et le monde indianisé, qui est religieux. Le premier est beaucoup plus homogène que le second.


Le monde chinois et sinisé

L’Extrême-Orient a une certaine homogénéité ethnique : les populations mongoloïdes, claires, aux pommettes saillantes et aux yeux bridés, y sont presque seules ; les minorités ethniques se réduisent à quelques milliers de Blancs (Aïnous) dans Hokkaidō et à quelques milliers de « bruns » à Taiwan (T’ai-wan).

En République populaire de Chine, certes, il y a des minorités ethno-linguistiques : outre celles qui peuplent l’Asie centrale (Tibétains, Ouïgours, Mongols), il y a toutes celles de la Chine méridionale. En outre, il y a plusieurs langues chinoises ou han, monosyllabiques et « toniques ». La langue officielle, dite « langue mandarine », parlée par la grande majorité de la population, est la langue du Nord. Dans le Sud existent d’autres langues han : les dialectes du Fujian (Fou-kien), le hakka et surtout le cantonais. Cette diversité serait un obstacle considérable à l’unité nationale si tous les Han n’employaient la même écriture. Celle-ci présente l’inconvénient d’exiger un long apprentissage et d’être peu apte à l’expression scientifique moderne ; une écriture romane a été créée, mais sa diffusion exige l’unité linguistique.

Une seule langue est parlée en Corée, langue agglutinante transcrite en écriture chinoise ou dans une écriture alphabétique dérivée du sanskrit.

Les Japonais forment, eu égard à leur nombre, le peuple le plus homogène du monde. Ce peuple de 100 millions d’individus a, en dépit de quelques différences dialectales, la même langue, le même costume traditionnel et, en dépit des différences considérables de latitude, la même maison, construite sur pilotis, entièrement végétale, particulièrement inadaptée aux froids hivernaux.

Dans les montagnes vietnamiennes vivent nombre de minorités ethniques : mongoloïdes au nord (Thaïs et Miaos), brunes au sud (dites « proto-indochinoises »). Mais les Vietnamiens sont seuls dans les plaines ; leur langue, longtemps transcrite en caractères chinois, l’est aujourd’hui par une écriture alphabétique romane (quôc-ngu). Ils habitent, à l’imitation des Chinois, des maisons à terre mal adaptée au climat tropical. Ils ne connaissent qu’une grande fête (le Tet), qui est le nouvel an chinois. Il faut toutefois signaler qu’il y a des différences linguistiques assez sensibles entre le Nord et le Sud du Viêt-nam et, également, que des influences indiennes transmises par les Khmers (attelage à deux têtes) sont sensibles dans le Sud.

Il y a une grande unité culturelle du monde sinisé, due à l’écriture. Il y a aussi une grande unité de civilisation matérielle, que symbolisent riz, thé et mûrier. Cependant, ces plantes ne sont pas celles de la Chine du Nord, berceau de cette civilisation ; la grande culture alimentaire y est celle des millets, du sorgho (Sorgum ; en chinois, gaoliang [kao-leang]) et du petit mil (Pennisetum) ; la culture du théier y est impossible, et, si l’élevage du ver à soie fut peut-être mis au point au Shandong (Chan-tong), le ver n’y était pas nourri de feuilles de mûrier. Riz, thé, soie sont donc apparus tardivement dans la civilisation chinoise. Cependant, le riz est, depuis des siècles déjà, la nourriture noble. Le thé est partout la boisson coutumière. Les Chinois distinguent de véritables « crus » de thé ; ils mélangent des feuilles de variétés diverses et des feuilles d’autres arbres pour obtenir un produit particulièrement délicat ; au Japon, la préparation de l’infusion est un art raffiné, qui est au cœur même de la vie de relations. Le mot thé serait un mot foukiénais ; la culture du théier et la préparation du thé sont originaires de la Chine, au sud du Yangzijiang (Yang-tseu-kiang). « La sériciculture est le chef-d’œuvre de la civilisation agricole de l’Extrême-Orient » (P. Gourou). Les mûriers sont semés ou plantés par rangées parallèles, soit en plaines basses faiblement inondées, car le mûrier peut supporter plusieurs jours de faible inondation (région du lac Taihu [T’ai-hou], en Chine), soit en plaines hautes (terrasses pléistocènes), ou sur les bas versants ; on compte plusieurs cueillettes par an. Les vers sont élevés dans une pièce spéciale de l’habitation.