Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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République (IIIe) (suite)

Le temps de Thiers (1871-1873)

L’homme du jour est Adolphe Thiers*, qui passe pour avoir été, en juillet 1870, un adversaire de la guerre et qui, en février 1871, semble pouvoir faire contrepoids au bellicisme des jacobins et de Gambetta. Élu par l’Assemblée chef du pouvoir exécutif (17 févr.) — avec des pouvoirs considérables —, Thiers s’engage à rester neutre dans le débat qui doit régler le sort du régime : république ou monarchie ? C’est le pacte de Bordeaux, le 10 mars. Dès lors, Thiers peut clore la période de guerre : les préliminaires de paix signés à Versailles (26 févr.) et ratifiés par l’Assemblée (1er mars), sont entérinés par le traité de Francfort le 10 mai. (V. franco-allemande [guerre].) Mais, auparavant, Thiers est affronté au mouvement insurrectionnel de la Commune* de Paris (18 mars - 28 mai 1871), qu’il écrase. Le 20 mars, l’Assemblée s’installe à Versailles.

Voué à la réorganisation du pays dans un sens conservateur, Thiers obtient la libération anticipée du territoire occupé par les Allemands (elle est achevée en septembre 1873). Cependant, l’Assemblée — dont la majorité aspire à la restauration de la monarchie, mais qui est divisée sur le candidat — reproche vite au chef de l’exécutif de fausser le « pacte » au profit des républicains. Mais les difficultés de la « fusion » monarchique et la menace d’une république de gauche renforcent en fait l’autorité de Thiers, qui, par la loi Rivet (31 août 1871), obtient le titre de président de la République : Thiers travaille alors à la réorganisation des conseils généraux et du service militaire, au remaniement du système fiscal, les intérêts de la bourgeoisie restant au premier plan de ses préoccupations. Cette politique rétablit la confiance ; l’encaisse-or est rapidement reconstituée.

Quand Thiers, après cet effort qui lui vaudra le titre de « libérateur de la patrie », n’est plus indispensable, l’Assemblée s’emploie à se débarrasser de lui. La majorité royaliste, coalisée autour du duc de Broglie*, l’oblige, le 13 mars 1873, à accepter sans réserve le pouvoir constituant de l’Assemblée ; le 24 mai, après une série d’incidents, Thiers est acculé à la démission et est remplacé le jour même par le maréchal de Mac-Mahon*.


L’Ordre moral (1873-1879)

Le duc de Broglie étant Premier ministre dès le 25 mai 1873, l’Ordre moral — qu’il a réclamé — est instauré immédiatement : une véritable coalition monarcho-cléricale s’instaure, qui semble triompher quand, le 5 août, à Frohsdorf, le comte de Chambord et le comte de Paris tombent d’accord sur un ordre de succession. La monarchie est faite, pense-t-on, mais, le 27 octobre, une lettre de Chambord (« Henri V ») dément cet optimisme (v. Bourbon). Pour gagner du temps, l’Assemblée fixe à sept ans les pouvoirs de Mac-Mahon (20 nov.). Mais elle se doit de se pencher sur la Constitution à donner au pays.

On appelle « Constitution de 1875 » l’ensemble des lois constitutionnelles qui sont votées par l’Assemblée nationale le 24 février (organisation du Sénat), le 25 février (organisation des pouvoirs publics) et le 16 juillet 1875 (rapports des pouvoirs publics), et qui sont complétées par les lois organiques du 2 août (élection des sénateurs) et du 30 novembre 1875 (élection des députés). Ces lois entrent en vigueur le 30 décembre 1875.

En réalité, il ne s’agit que d’un corpus juridique, sans préambule, sans affirmation de principes. La Constitution de 1875 est le résultat de longs débats et d’innombrables compromis, étant tenus pour acquis le suffrage universel, le bicamérisme et la théorie de la séparation des pouvoirs. Il suffit de rappeler de quelle façon (353 voix contre 352) l’amendement Wallon, le 30 janvier 1875, introduit le mot république dans les textes constitutionnels. Œuvre d’une majorité monarchiste désireuse de préparer un moule assez souple pour une monarchie constitutionnelle, elle va asseoir la république et durer soixante-cinq ans, battant de beaucoup les Constitutions plus structurées qui l’avaient précédée.

Si le pouvoir exécutif est confié à un président de la République élu pour sept ans par les Chambres réunies et à ses ministres, et le pouvoir législatif à un Sénat élu pour neuf ans au suffrage collégial et à une Chambre des députés élue pour quatre ans au suffrage universel, aucune modification n’est apportée à l’organisation administrative, judiciaire et religieuse de la France ; c’est dire le conservatisme de l’Assemblée nationale, qui se fit constituante par la force des choses.

Cependant, le cabinet de Broglie, puis le cabinet de Cissey (orléaniste) [mai 1873 - févr. 1875] sont attaqués à la fois par l’opposition républicaine et par l’extrême droite légitimiste — « les chevau-légers ». En mars 1875, un cabinet Buffet, de centre gauche, est installé ; il préside au vote de la loi instaurant la liberté de l’enseignement supérieur (12 juill.).

Le 31 décembre, l’Assemblée nationale se sépare. Si les élections sénatoriales du 30 janvier 1876 amènent à la Chambre haute (qui compte des sénateurs inamovibles) une majorité conservatrice, les élections du 20 février et du 5 mars créent à la Chambre des députés une majorité républicaine.

La position de Mac-Mahon devient, dès lors, délicate ; en conflit avec le ministère A. Dufaure (mars-déc. 1876), puis avec le cabinet J. Simon (déc. 1876 - mai 1877), Mac-Mahon oblige ce dernier à la démission le 16 mai et, en confiant le ministère au duc de Broglie, crée une situation « de force » qui provoque la réaction de 363 députés républicains. Usant de ses pouvoirs, et avec l’accord du Sénat, le chef de l’État dissout la Chambre (25 juin). Après une campagne menée pour les républicains par Gambetta sur le thème « se soumettre ou se démettre », les électeurs réélisent en octobre une majorité légèrement amoindrie de républicains, qui contraignent Mac-Mahon à rappeler Dufaure (déc.). Quand, en janvier 1879, les républicains deviennent majoritaires au Sénat, Mac-Mahon se démet (30 janv.). Il est remplacé par Jules Grévy, dont l’élection consacre l’avènement de la « République des républicains » (1879-1893) ; ceux-ci concrétisent leur succès en décidant le retour des Chambres à Paris, effectif en novembre 1879, et en votant une loi d’amnistie en faveur des condamnés de la Commune (juill. 1880).