Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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République (IIe) (suite)

Le retour à l’état de siège (loi du 9 août) jugule la résistance, et les poursuites judiciaires contre les militants démocrates s’intensifient. L’Assemblée poursuit désormais au grand jour une intense activité antirépublicaine et met au pas les instituteurs, « ces petits rhéteurs pervertis et besogneux », que Thiers dénonçait comme les principaux propagandistes des idées révolutionnaires. Le 11 janvier 1850, une loi place le maître d’école sous la surveillance du préfet. Les révocations pleuvent.

Le 15 mars est votée la loi Falloux, qui met fin au monopole de l’Université sur l’enseignement. L’enjeu, c’est le choix entre le socialisme et le catholicisme. Le but, c’est d’opposer un solide barrage idéologique contre les idées subversives, et les bourgeois voltairiens s’y emploient au moins aussi activement que les cléricaux. Désormais, pour ouvrir une école, les ecclésiastiques sont dispensés des titres habituellement exigés (baccalauréat ou brevet). Le Conseil supérieur de l’Instruction publique et les conseils académiques sont remaniés et ouverts à l’influence prépondérante des notables et du clergé. L’enseignement catholique va bénéficier largement de cette faveur inespérée, mais au prix d’un anticléricalisme virulent et durable, qui allait être un des fondements de l’idéologie républicaine, et de la longue éclipse du catholicisme social. Faire pénétrer les bons principes dans le peuple était affaire de longue haleine.

La tâche la plus urgente de l’Assemblée était de modifier la loi électorale. En effet, aux élections partielles du 10 mars 1850, les démocrates-socialistes remportent 21 sièges sur 31. Parmi les élus, un insurgé de juin, l’officier Paul René de Flotte (1817-1860), et la bête noire des cléricaux, Carnot. La loi du 31 mai 1850 exige désormais trois ans de résidence pour être inscrit sur les registres. On élimine ainsi 3 millions d’électeurs, ouvriers et prolétaires des campagnes, tous les travailleurs itinérants et saisonniers. C’est en fait des espoirs de la gauche de renverser légalement le courant. Beaucoup de déshérités se prennent alors à espérer le grand coup auquel travaillent les sociétés secrètes, florissantes dans le Midi et dans le Centre.


Le coup d’État du 2 décembre 1851

Le premier heurt entre le président et l’Assemblée éclate dès l’automne 1849, quand, le 31 octobre, Louis Napoléon renvoie Barrot et constitue un ministère de fidèles, avec Achille Fould (1800-1867) et Eugène Rouher (1814-1884). Le prince laisse les parlementaires se discréter par des mesures de réaction, qu’il entérine, mais dont il ne revendique pas la paternité. Il multiplie les avances aux cercles d’affaires, aux cadres de l’armée surtout, qui bénéficient de faveurs répétées : augmentations de soldes, promotions, invitations à des dîners d’officiers somptueux et flatteurs. La majorité monarchiste se divise sur des combinaisons de prétendants. La mort de Louis-Philippe (août 1850) laisse en présence le comte de Paris, le prince de Joinville, le duc d’Aumale et le comte de Chambord (Henri V). On se déchire entre orléanistes, partisans d’une fusion avec la branche aînée, et légitimistes, qui, eux, refusent la réconciliation, tandis que Thiers s’en tient à une république conservatrice. La propagande bonapartiste s’amplifie sous l’impulsion de la Société du Dix-Décembre. De son côté, Louis Napoléon entreprend une série de voyages en province.

L’accueil qu’il reçoit l’encourage à se débarrasser de la tutelle parlementaire. Le 9 janvier 1851, le général Changarnier (1793-1877) est relevé de son commandement à la tête de la division militaire de Paris. Monarchiste convaincu, qui ne rate pas une occasion pour critiquer, voire contrecarrer la politique du chef de l’État, Changarnier passe pour être le sabre du parti de l’Ordre. Puis Louis Napoléon fait entreprendre une vaste campagne pour la révision de la Constitution. Il est évidemment essentiel d’obtenir la prorogation des pouvoirs du président. Les bonapartistes lancent une pétition qui, avec l’appui de l’Administration, réunit plus de un million de voix en quelques mois. En juillet 1851, le projet de révision, adopté par l’Assemblée à la majorité relative (446 voix contre 278), n’obtient pas les trois quarts des suffrages exigés. Le 13 novembre, une nouvelle tentative pour abroger la loi électorale du 31 mai 1850 et revenir au suffrage universel échoue. La voie légale vers le pouvoir personnel semble définitivement barrée. Dans le pays, le climat est à l’inquiétude. Le marasme économique se prolonge. Tous les milieux sont conscients que la reprise est conditionnée par la levée de l’hypothèque politique. D’ailleurs, Louis Napoléon l’a affirmé dans son message du 4 novembre : « Lorsque les préoccupations politiques auront cessé de peser sur l’état de nos finances, il sera facile d’avoir recours au crédit à des conditions favorables au Trésor. » Dans ces conditions, l’opinion en vient à penser à l’inéluctabilité d’une solution draconienne de la crise.

C’est que la perspective de 1852, date à laquelle les mandats parlementaires et présidentiel arrivent à échéance, est apocalyptique. La police fait état de documents saisis dans les sociétés secrètes révolutionnaires : les rouges s’organisent sans nul doute pour tenter le grand coup au printemps. Le publiciste Auguste Romieu lance son Spectre rouge, une brochure bonapartiste qui annonce une Saint-Barthélemy des propriétaires. Les rumeurs de coup d’État se répandent et nourrissent les conversations quotidiennes. Coup d’État « blanc » de l’Assemblée, réalisé par Changarnier et portant Joinville à la présidence ? Coup d’État « bleu », celui du président, que chacun sait imminent ? Les confidences à ce sujet vont bon train, ce qui force Louis Napoléon à retarder l’opération Rubicon, à la suite des bavardages inconsidérés du préfet de police Pierre Carlier (1799-1858), qu’on limoge séance tenante. Étrange atmosphère... Le 2 décembre 1851 à l’aube, l’affaire est faite.