Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Asie de la mousson (suite)

Les plaines

Les plaines concentrent, quoique inégalement, les densités humaines, et c’est là que les grandes civilisations se sont d’abord épanouies.

Ces plaines de l’Asie de la mousson sont toutes des plaines alluviales, donc très plates. Il n’y a pratiquement pas de plaines sédimentaires. Et les plaines d’érosion (pénéplaines ou pédiplaines au niveau de la mer), non recouvertes d’alluvions récentes, sont rares. Il existe deux grands ensembles : les plaines indo-gangétiques, les plaines du Nord et du Nord-Est chinois.

Les plaines indo-gangétiques couvrent 3 000 km de l’Indus au Brahmapoutre, et la ligne de partage des eaux entre les deux fleuves est à 277 m d’altitude. Cet ensemble comprend deux deltas et deux plaines. Les deltas de l’Indus et de la Padma (Gange et Brahmapoutre) sont très bas et ont une hydrographie complexe et indécise ; il y a moins de trois siècles que le Gange s’est déplacé vers l’est pour rejoindre le Brahmapoutre. Mais le climat oppose très fortement un delta de l’Indus désertique et un delta de la Padma très arrosé, sous la menace des typhons et des raz de marée, aux estuaires encombrés par la mangrove à palétuviers (Sundarbans). Les plaines du Pendjab (ou des cinq rivières : Jhelum, Chenāb, Rāvi, Beās, Sutlej) et du Gange sont un peu plus variées. Au pied des Siwālik s’étend un piedmont détritique de graviers plus ou moins grossiers (Bhabar) ; en plaine même, les rivières sont séparées par les « doābs », ou terres hautes d’alluvions anciennes (bhangar), le plus souvent très fertiles (terres dumat), parfois stérilisées par des concrétions calcaires ou des sels ; le doāb le plus célèbre sépare le Gange de la Jamna, son grand affluent de rive droite. Enfin, les lits majeurs des fleuves sont des plaines basses d’alluvions récentes (Khadar), sableuses en amont, argileuses en aval, où les rivières divaguent, débordant fréquemment. Mais, ici encore, les différences essentielles sont dues au climat, sec au Pendjab, de plus en plus humide vers l’est. Les dunes du désert de Thar envahissent la zone de partage des eaux, et les Arāvalli atteignent Delhi : finalement, les deux plaines communiquent par un couloir assez étroit, qui fut le champ de bataille de l’Inde (Thānesar, 1191 et 1192 ; Pānipāt, 1526 et 1761).

En Chine, la Plaine du Nord-Est et la Grande Plaine sont plus nettement séparées. L’une et l’autre sont essentiellement des plaines alluviales dans des fossés tectoniques. Mais la Plaine du Nord-Est est complexe, car l’affaissement y a été inégal, beaucoup plus marqué au sud qu’au nord et surtout au centre. La Grande Plaine (390 000 km2) est un fossé tectonique en voie de remblaiement par les alluvions lœssiques du Huanghe (Houang-ho) : les alluvions quaternaires ont de 800 à 1 000 m d’épaisseur. Cette plaine mérite d’être appelée la « plaine du Huanghe » : construite par ce fleuve, le plus brutal et le plus chargé d’alluvions de tous les fleuves du monde, elle est perpétuellement sous la menace de ses terribles inondations. Le fleuve est depuis longtemps endigué, mais il alluvionne dans le fond de son lit, qui s’exhausse. Tout au long de l’histoire, le fleuve Jaune n’a cessé de déplacer son lit de part et d’autre de la presqu’île du Shandong (Chan-tong), balayant chaque fois la Grande Plaine sur 800 km !

En dehors de ces grands ensembles, les plaines, plus petites, sont des plaines côtières et des deltas. Toutefois, le Yangzijiang (Yang-tseu-kiang) a construit, outre son delta très bas, très plat, en grande partie lacustre (lac Taihu [T’ai-hou]), un chapelet de petites plaines au Anhui (Ngan-houei) et surtout, avec son affluent le Han, les plaines du Hubei (Hou-pei), en grande partie lacustres et menacées, elles aussi, par l’inondation. La plupart des deltas orientaux du Deccan sont sans doute des pédiplaines à inselbergs masquées par une faible épaisseur d’alluvions ; ils sont — ou étaient — menacés par les caprices des fleuves qui les ont construits, et en particulier le delta de la Mahānadi. Les plaines et les deltas de la péninsule indochinoise, sauf le delta de l’Irrawaddy, qui s’est installé dans un profond sillon tertiaire, sont aussi des pédiplaines à inselbergs incomplètement et inégalement masquées par les alluvions : celles-ci, apportées par des fleuves qui ont traversé de vastes régions calcaires, sont généralement fertiles. L’immense plaine orientale de Sumatra est une plaine alluviale typique, amphibie dans ses parties côtières, de médiocre fertilité, semble-t-il ; les plaines littorales de Java, beaucoup plus étroites, toutes au nord de l’île, sauf une, sont de fertilité inégale ; la plus riche est le delta commun du Solo et du Brantas à l’est. Les Philippines n’ont qu’une plaine importante, la plaine centrale de Luçon. Taiwan (T’ai-wan) a une grande plaine littorale sur sa face occidentale. Quant au Japon, ses plaines, petites et morcelées, ont ce caractère unique d’être, pour une très grande part, constituées d’alluvions anciennes (diluvium), formant de magnifiques terrasses qui peuvent atteindre 200 m de haut, souvent saupoudrées de cendres volcaniques, mais peu fertiles et ne convenant pas à la culture du riz. Les plaines basses, d’alluvions récentes, sont parcourues de fleuves courts, rapides et brutaux, aux lits immenses, qu’il a fallu endiguer.


Peuples et civilisations

De très grandes civilisations se sont épanouies dans les plaines. Les premières civilisations sont apparues en pays tempérés, dans les plaines de l’Indus (Mohenjo-Daro, Harappā vers 3300 av. J.-C.) et dans la vallée du Huanghe (Houang-ho), aux lisières de la Grande Plaine (dynastie Xia [Hia] au début du IIe millénaire av. J.-C.). Les villes de l’Indus ont été détruites entre 2000 et 1000, probablement par les Aryens, peuples blancs, de langue indo-européenne (sanskrit), qui se transmettaient oralement les Veda (recueils d’hymnes et de formulaires), où apparaissent déjà les grands dieux du panthéon hindou (Vishnu, Śiva Brahman) ; les Veda ont été écrits au ive s. en écriture araméenne. Au vie s., les Upanishad définissent, dans le cadre du védisme, le dogme de la réincarnation, ou transmigration, sur lequel repose toute la pensée du monde indien et du monde « indianisé », c’est-à-dire de quelque 600 millions d’êtres humains. L’« ātman », à la fois « esprit » et « souffle vital », est éternel ; à la mort, il se réincarne sous une autre apparence. La méditation de Śākyamuni (ve s.), à partir de cette croyance en la réincarnation, aboutit au bouddhisme. En réaction, sans doute, contre le bouddhisme, contre son athéisme et son égalitarisme apparaissent au iiie s. av. J.-C. les grandes épopées hindoues, le Rāmāyaṇa et le Mahābhārata ; le premier chante les avatars de Vishnu et est la source essentielle des thèmes littéraires et artistiques dans tout le monde indien et indianisé ; le second donne dans un de ses chants, la Bhagavad-Gīta, une origine religieuse aux « varna », c’est-à-dire à la hiérarchie des castes : l’appartenance à une des quatre varna (brahmanes, kshatriya, vaisya, sūdra) ou l’exclusion de ces varna (intouchables) est la conséquence, pour chaque individu, de son « Karman » et la récompense ou la punition de ses vie passées.